Paris 2024 : plusieurs fédérations françaises traversent une zone de turbulence à un mois des Jeux
Escrime, athlétisme, skateboard. Dans ces trois disciplines olympiques, des athlètes contestent l’absence de dialogue ou la brutalité de certaines décisions des autorités fédérales.
La fleurettiste Pauline Ranvier, lors des championnats d’Europe à Bâle (Suisse), le 23 juin 2024.
La préparation du mouvement sportif français pour le rendez-vous olympique de Paris 2024 n’est pas un long fleuve tranquille. Certaines fédérations font face à la fronde d’une partie de leurs athlètes, parfois en réaction à des décisions qu’elles ont elles-mêmes engagées, dans d’autres cas du fait de dissensions anciennes ravivées à l’approche des Jeux. A quelques jours d’intervalle, l’escrime, l’athlétisme et le skateboard se retrouvent sur la sellette et illustrent, à leur manière, « un essoufflement du modèle fédéral à la française », selon les termes de l’ancien champion olympique de sabre et ministre des sports Jean-François Lamour.
«Ã‚ Il y a une grande fatigue du monde fédéral, beaucoup de désarroi, un manque de moyens, un vrai doute sur le modèle et peu de réponses àtout ça, analyse ce fin connaisseur du sport français. Très peu de fédérations peuvent aujourd’hui affirmer que tout va bien. » L’escrime, son sport de prédilection, en est un exemple.
Samedi 22 juin, à Bâle (Suisse), Alexandre Bardenet et les épéistes français montent sur la plus haute marche de l’épreuve par équipes des championnats d’Europe d’escrime. Le tireur a été appelé en dernière minute pour pallier le forfait sur blessure de son coéquipier Yannick Borel. Cantonné au rôle de remplaçant, il n’a pas disputé la moindre touche mais célèbre ce titre comme si de rien n’était. Pourtant, son amertume est grande. Durant son séjour bâlois, il n’a pas échangé le moindre mot avec l’entraîneur national d’épée masculine, Gauthier Grumier.
Mardi 25 juin, au siège du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), à Paris. Alexandre Bardenet arrive au côté de son avocat, Thierry Braillard, ex-secrétaire d’Etat chargé des sports (de 2014 à 2017). Quinzième au classement mondial, l’épéiste a saisi la conférence des conciliateurs du CNOSF à la suite de sa non-sélection pour les JO, estimant avoir été écarté pour des raisons extra-sportives. Paul Allègre, qui lui a été préféré, figure au 62e rang dans la hiérarchie internationale.
L’avis de la conférence des conciliateurs sera communiqué aux deux parties – qui peuvent décider de le suivre ou non – d’ici la fin de semaine. S’appuyant sur un vice de forme dans la composition du comité de sélection l’ayant écarté, Alexandre Bardenet demande une annulation de la sélection. Si la commission de conciliation allait dans son sens, la FFE pourrait réunir de nouveau son comité de sélection d’ici au 5 juillet, date de publication par le CNOSF de la dernière liste de sélectionnés français pour les JO.
Mais le malaise est plus profond. Depuis mars 2023, la FFE traverse une zone de turbulence et a vu démissionner sa directrice technique nationale (DTN), son président et trois de ses six entraîneurs nationaux, dont l’un à deux mois des Jeux de Paris. Les équipes de France masculines de sabre et d’épée ont implosé. Sept de leurs meilleurs éléments (dont Alexandre Bardenet, mais aussi le champion olympique d’épée en titre, Romain Cannone) ont quitté l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), où s’entraîne depuis des décennies l’élite française.
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Les escrimeurs ont pourtant obtenu des résultats satisfaisants tout au long de la saison, repartant des championnats d’Europe avec huit médailles. Ils arriveront ambitieux au Grand Palais, où se dérouleront les épreuves olympiques.
La situation de l’athlétisme français est, elle aussi, paradoxale. Malgré les bons résultats des championnats d’Europe à Rome en juin – seize médailles –, la fédération (FFA) s’est offert une polémique inattendue. Le 14 juin, trois de ses athlètes, absents du rendez-vous romain, ont reçu un courrier de convocation pour le 4 juillet devant la commission de discipline. Signée par le président de la fédération, André Giraud, la missive reproche à Hugo Hay, Mouhamadou Fall et Rougui Sow d’avoir critiqué « la FFA, ses dirigeants et collaborateurs sur le réseau social X ».
Le premier nommé, qui a réussi les minima olympiques sur 5 000 mètres, se voit reproché notamment deux tweets : « La honte » et « Merci aux athlètes et dirigeants étrangers pour le lobbying ». Le demi-fondeur faisait référence à des erreurs administratives, reconnues par la fédération, qui avait oublié d’inscrire deux athlètes tricolores pour le rendez-vous de Rome et omis, à l’inverse, de retirer de la sélection treize autres qu’elles ne souhaitaient pas envoyer en Italie.
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Joint par Le Monde, le DTN, Patrick Ranvier « assume avoir suggéré au président de saisir l’instance disciplinaire ». Face à ceux qui s’étonnent du timing, le cadre technique s’explique : « La majorité des athlètes et de l’encadrement peut parfois souffrir de déclarations intempestives sur les réseaux sociaux. C’est mon devoir de les protéger. »
En pleine préparation olympique, Hugo Hay a demandé à être auditionné en visioconférence : « Si ça n’est pas accepté, je ne me déplacerai pas pour cette mascarade. » Il s’interroge également sur le nombre d’athlètes convoqués alors que les critiques ont été plus nombreuses : « Pourquoi moi et pas les autres ? » Ce à quoi M. Ranvier répond : « On est capables de jauger les messages. Sasha (Zhoya, 110 m haies) en a fait aussi, c’est quand même plus light et moins habituel. »
L’athlète de 27 ans confirme au Monde qu’il va demander l’abandon des poursuites, « pas même un avertissement ou un rappel à l’ordre », car une sanction signifierait, pour lui, « que les sportifs de haut niveau sont privés de tout regard critique sur les agissements de la fédération ». Et d’asséner : « Surtout lorsque la critique est si peu véhémente et que le propos est en soutien des athlètes lésés. »
Hugo Hay ne craint pas une suspension pour les JO et assure que le directeur juridique de la FFA l’a appelé pour lui dire qu’il ne pensait pas qu’il serait sanctionné. « Les erreurs administratives à répétition et la procédure disciplinaire en cours font plus de mal à l’image de la fédération que quelques tweets », juge le demi-fondeur.
Une image brouillée à quelques semaines des Jeux, c’est ce qui prévaut pour la Fédération française de roller et de skate (FFRS), confrontée à un mouvement de contestation de la communauté des skateurs. Des douze sports que regroupe la fédération, le skate est le petit dernier de la famille. Il ne recense qu’environ 7 000 des 68 000 licenciés de la FFRS, mais il est aussi le seul à disposer d’un statut olympique, depuis les Jeux de Tokyo en 2021.
L’équipe de France semble bien lancée dans sa préparation pour ceux de Paris, puisque sept athlètes disputeront les épreuves de « street » et de « park » place de la Concorde, deux fois plus que pour les JO 2020.
Pourtant, là encore, la tension est palpable entre athlètes et instance fédérale. Principales têtes d’affiche du skate hexagonal, Aurélien Giraud (champion du monde 2023), Vincent Milou (quatrième aux Jeux de Tokyo) et Vincent Matheron (champion de France 2023) figurent parmi les dix-sept cosignataires d’une lettre adressée le 6 juin au président de la FFRS, Boris Darlet.
Le document, que Le Monde a pu consulter, dénonce « une situation inacceptable ». « Notre discipline n’a aucune autonomie politique et financière, elle n’a donc aucune garantie sur son avenir » s’inquiètent les auteurs du courrier, qui exigent un budget et une direction technique nationale dédiés, une évolution statutaire, et un plan de développement sur quatre à huit ans.
Le skateboard poursuit sa mue en sport de compétition
«Ã‚ Les personnes àla fédération ne connaissent pas notre sport et notre culture, estime la cosignataire Jéromine Louvet, membre de l’équipe de France et représentante des athlètes. On veut être écoutés, considérés et respectés ». « Nous allons nous voir au mois de juillet et proposer un plan d’action après les JO de Paris », lui répond M. Darlet. Pour ce dernier, les 645 000 euros engagés pour la préparation olympique du skateboard, l’équivalent du budget de l’ensemble des autres disciplines de la fédération, sont un bon indicateur de l’intérêt de sa fédération pour ce sport.
Dialoguer, oui, mais à condition d’« obtenir une feuille de route avant les Jeux, d’ici au 12 juillet », insiste Claire Barbier-Essertel, la présidente de la commission technique nationale du skateboard. Si personne ne souhaite s’exprimer sur la suite du mouvement en cas d’échec des discussions, tous en conviennent : la crise est profonde et ancienne.