Jacques Delpla : « Pourquoi le RN mènerait la France à la faillite »
Jacques Delpla : « Pourquoi le RN mènerait la France à la faillite »
Un point peu discuté du programme du Rassemblement national (RN) précipiterait la France vers la véritable faillite. Jordan Bardella vient de promettre de réduire unilatéralement les versements annuels de la France (26 milliards d’euros, soit 1 % de notre PIB) au budget de l’Union européenne, probablement pour économiser quelques milliards d’euros.
Or, ceci entraînerait ipso facto un défaut (une cessation de paiements) explicite de la France sur ses engagements internationaux et sur sa dette financière souveraine. Depuis le droit romain (Pacta sunt servanda, « les pactes doivent être respectés »), depuis le traité de Westphalie (1648) et encore plus depuis la Convention de Vienne sur le droit des traités (ONU, 1969), un traité international s’impose de jure complètement au droit national d’un pays.
Pacta sunt servanda
Autrement dit, pour la France, légalement, tous les traités internationaux (au moins ceux signés depuis 1969) s’imposent de jure au droit français, que ce soit aux lois ordinaires, aux lois organiques ou à notre Constitution. C’est logique : si un Etat pouvait modifier un traité à sa guise unilatéralement, il n’y aurait plus du tout de droit international. Quelle serait sinon la valeur des traités internationaux si chaque pays contractant pouvait en modifier unilatéralement le contenu ? Nulle : chaque pays, anticipant que les autres pourraient modifier unilatéralement le traité, refuserait ab initio de signer ce traité. Plus aucun traité international ne tiendrait : la mort du droit international.
Le Pacta sunt servanda n’empêche pas un pays de faire à sa guise, mais alors ce pays doit se retirer du traité par un vote de son Parlement. Ceci n’est pas une petite affaire, c’est toute la légitimité des traités internationaux qui est en jeu, notamment pour notre sécurité. « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde » (De Gaulle, 1941). Jordan Bardella envisage-t-il de rabaisser la France en violant ses traités ?
En outre, en France, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont plusieurs fois réitéré, dans leurs avis, la suprématie du droit européen sur le droit français (y compris sur notre Constitution). Or, la proposition de Jordan Bardella revient à violer unilatéralement le traité de l’Union européenne (dit traité de Lisbonne, 2007) et les engagements financiers de la France dans le cadre du budget européen actuel (2021-2027).
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Notons ici que la Grèce, au pire de sa crise financière, a toujours payé rubis sur l’ongle sa contribution financière à l’UE. Bardella veut faire, pour le statut international de la France, pire que la Grèce au fond du trou !
Notons aussi que même Mme Thatcher, au pic de sa croisade contre l’Europe, n’a jamais mis en œuvre la proposition Bardella. Elle a attendu la négociation du paquet budgétaire européen (7 ans) suivant.
Incompétence ou bluff ?
Pourquoi cette proposition du RN ?
• Première hypothèse : l’incompétence et l’ignorance. Mais Marine Le Pen est avocate et connaît le Pacta sunt servanda, pilier fondamental du droit occidental : respecter le droit des contrats est au cœur de notre civilisation. Le retrait du traité de l’UE est une proposition très ancienne du FN puis du RN : ils ont eu largement le temps d’y réfléchir. Notons que le FN/RN a toujours voté contre les traités européens.
• Deuxième hypothèse : Jordan Bardella voudrait jouer un coup de bluff pour tenter sa chance. Alors, la Commission européenne déclarerait immédiatement la France en défaut de ses obligations internationales. Elle suspendrait ses paiements à la France : ce serait pour nous la fin immédiate de la Politique agricole commune et de toutes les subventions de l’UE à nos agriculteurs. Pas sûr que ceux-ci accepteraient avec bonheur cette perspective…
Pas sûr non plus que les investisseurs en notre dette souveraine et les agences de notation apprécient ! Constatant que la France aurait violé le principe du Pacta sunt servanda, ils en déduiraient qu’un gouvernement Bardella serait prêt à tout pour une poignée immédiate de cerises. Logiquement, pour eux, un gouvernement Bardella serait prêt aussi à répudier la signature de la France sur sa dette souveraine. Rappelons que pour faire défaut sur la dette publique de la France, il suffit d’un simple décret signé par le Premier ministre et le ministre des Finances.
Le rating de la France passerait automatiquement, au bout de trois mois, de AA- à D (= défaut). Tous les investisseurs fuiraient en courant la dette française, et les taux d’intérêt appliqués à la France s’envoleraient au-delà de 20 %. Non seulement ce serait la honte absolue (la France n’a pas fait défaut formellement sur sa dette depuis la banqueroute des deux-tiers, en 1787, mais la France était en guerre contre toute l’Europe). Ce serait aussi la catastrophe économique et financière de la France, version Armageddon : faillite de toutes banques et assurances, arrêt des paiements des salaires et allocations sociales, fin des exportations et importations, arrêt des services publics. En comparaison la crise de la Grèce de 2010 apparaîtrait comme un léger rhume.
Ni la Banque centrale européenne, ni la Commission européenne, ni l’Allemagne ne viendraient à notre secours, car notre malheur proviendrait d’une décision unilatérale d’un gouvernement Bardella. Pas d’espoir depuis Francfort : la BCE n’a pas le droit d’aider un pays tant que celui-ci ne signe pas un accord FMI ou analogue (honte majeure pour la « grandeur de la France ») et tant qu’il n’entreprend pas d’efforts drastiques (= méga austérité à la grecque) pour assainir ses finances publiques. Pas sûr que les électeurs du RN apprécieraient.
• Dernière hypothèse, Bardella, avec cette proposition, veut enclencher irrémédiablement mais subrepticement la sortie de la France de l’UE et de l’euro en faisant défaut sur l’ensemble de notre dette et sur nos traités internationaux, avec le but d’engendrer le chaos total pour instaurer un pouvoir fort d’extrême droite. Vous n’y croyez pas ? Rappelons que la sortie de l’UE, de l’euro et de l’Otan fut le programme explicite du FN/RN de 1972 à 2017. L’essayer une fois, c’est pour toujours ; il n’y aura pas de billet de retour.
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Donc, nous oscillons entre l’incompétence totale du RN (mais alors pourquoi les croire sur le reste de leurs propositions économiques ?) et le cynisme caché du RN pour sortir la France de l’UE et de l’euro, avec un Armageddon financier et économique pour la France.
Les électeurs insatisfaits de leur pouvoir d’achat et/ou concernés par la grandeur de la France ne devraient pas voter RN. Seuls les dingues et les suicidaires le pourraient.