J'avoue: binational, je représente un danger pour la République française
Les binationaux sont des individus en tout point détestables, j'en sais quelque chose. | Sebastiano Piazzi via Unsplash
Un rêve s'effondre. Pour moi qui me voyais devenir ministre des Affaires étrangères dans le prochain gouvernement de Jordan Bardella, l'annonce par ce dernier que les binationaux en seraient exclus a eu l'effet d'une douche froide. Pourtant, jusque-là, j'avais tout bon: juif, j'aurais servi à le dédouaner de tout antisémitisme, et avec mes origines mêlées, cet assemblage baroque de sang belge et tunisien qui coule dans mes veines, à ses détracteurs, il aurait eu beau jeu de me présenter comme la preuve éclatante de son ouverture d'esprit.
Las, ma double nationalité franco-canadienne a mis fin à tous ces espoirs. Car oui, il me faut l'avouer, bien que né sur le territoire français, il y a quelques années j'ai commis cette faute impardonnable de demander à être reconnu comme un citoyen canadien à part entière. Quelle faute morale commis-je là! Quel devait être mon égarement pour que j'en arrive à accepter pareille gratification, moi chez qui l'amour de la France était tel qu'à la première occasion, je m'en étais échappé.
Les binationaux sont des individus en tout point détestables, j'en sais quelque chose. Ils pensent dans une langue mais quand ils parlent, les mots qui sortent de leur bouche proviennent d'un idiome différent. Ils sont fourbes, mangent à tous les râteliers, pratiquent en toutes occasions une duplicité retorse. On les croit français alors que leur cœur bat pour des contrées ennemies. Traîtres par essence, ils sont d'ici et d'ailleurs, et cette double appartenance fait d'eux les êtres les moins fiables au monde.
La France appartient aux Français, pas à des pièces rapportées dont on ne connaît jamais la réelle identité. D'apparence, ils ont tous les traits de l'autochtone mais dans les coulisses, c'est une autre affaire. Leur cerveau est bicéphale: ils enregistrent dans une langue, communiquent dans une autre. D'entre tous les binationaux, les francophones sont les pires. Ils ont beau parler la même langue, ils usent de cet atout pour encore mieux subvertir leurs interlocuteurs, lesquels pensant avoir affaire à leurs semblables s'épanchent sans se douter de rien.
Confiez-leur un secret, vous pouvez être certain que dans l'heure qui suit, l'information aura remonté jusque dans les plus hautes sphères de leur seconde patrie, un échange continu qui jamais ne s'arrête. Si par malheur, il se trouve être juif, aux deux pays dont officiellement il se réclame, d'office, ajoutez-en un troisième, Israël, vers qui toutes ses pensées sont tournées.
Prenez mon exemple: je vis en France mais mon esprit vagabonde sans cesse entre Montréal et Jérusalem. Sans parler de Moscou à qui les origines de mon nom sont forcément rattachées. Autant vous dire que mes soirées sont chargées: de tout ce que j'ai vu, entendu, accompli de la journée, il me faut adresser un rapport détaillé à toutes ces instances étrangères, travail de forçat qui me tient éveillé bien après minuit.
Je mange français mais digère en canadien et rêve en hébreu. À moi tout seul, je suis le cauchemar du Rassemblement national, un être hybride qui a prêté allégeance à tous les pays de la Terre. Je collectionne les passeports comme d'autres les boîtes de camembert. Encore heureux que je ne sois pas bisexuel, je risquerais l'internement d'office.
Les binationaux n'ont rien à faire dans un gouvernement qui œuvre au redressement moral du pays. Pas plus qu'au sein des cabinets ministériels ou dans les affaires qui touchent à la sûreté de l'État. Ces cloportes seraient tout à fait capables de voler le plan de la machine à café qui sert à abreuver nos éminences grises. Ou torturer le chat de Marine Le Pen afin qu'il lui livre tous les secrets de sa maîtresse. Pour une France retrouvée, il faut une France pure.
Marine Le Pen souhaitait, avant de se rétracter, interdire aux binationaux de l'être. Qu'elle revienne sur sa décision. Il faut extirper de la nation française tous ceux qui seraient tentés de la pervertir de l'intérieur. On ne peut pas être français et canadien. Ce serait comme autoriser la bigamie. Ou permettre de mélanger de la bière avec du vin. Une hérésie et une atteinte à l'honneur national.
Marine, déchois-moi, c'est tout ce que je te demande. Oblige-moi à choisir entre ma nationalité canadienne et française. Vu ce que tu nous promets, à mon humble avis, je ne serai pas long à trancher…