L’ancienne circonscription de Ségolène Royal plombée par le Nouveau Front populaire

L’ancienne circonscription de Ségolène Royal plombée par le Nouveau Front populaire

Elle a posé son cageot d'abricots pour mieux agiter ses mains devant la candidate. « Mais qu'est-ce qu'on va faire, Madame Batho ? Hein ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? » Il est dix heures. Le marché de Sauzé-Vaussais s'anime un peu quand la députée en titre fait son entrée, en tenue bleu roi. Il ne reste des anciennes halles que la tour de l'horloge, qui égrène le temps pour 1 600 âmes, angoissées ce jeudi matin devant la poignée de stands.

Le 9 juin, Jordan Bardella a raflé ici 42,7 % des voix, écrasant tous ses concurrents. Un séisme qu'a connu toute cette circonscription rurale, la deuxième des Deux-Sèvres, acquise à la gauche depuis 1988 et le parachutage sur ces terres de Ségolène Royal. L'iconoclaste ex-candidate à la présidentielle a verrouillé son fief, avant de le léguer à Delphine Batho, en 2007. Cette année-là, le Front national n'avait obtenu que 2,83 % des suffrages? En 2024, son score dans la circonscription atteint 32,2 %. Onze fois plus !

À LIRE AUSSI Quand Ségolène Royal s'incline devant un quasi-inconnuLe maire de Sauzé-Vaussais, Nicolas Ragot, en est encore sonné. « Il y a une part de contestation et un rejet des méthodes de la majorité, qui a multiplié les recours à l'article 49.3 », pense-t-il, « l'effet des chaînes d'info en continu, qui créent un climat? Mais un vote d'adhésion, aussi ». La circonscription pourrait-elle basculer ? « Ce n'est pas sûr? Mais la question se pose pour la première fois, depuis des décennies. »

Le « boulet » Mélenchon

Delphine Batho a déboulé sur le terrain il y a quinze jours pour sauver son siège. Et pour la première fois, elle rame. « On ne sait pas trop de quel bord elle est. Elle a son propre parti, mais elle cautionne le programme du Nouveau Front populaire. Elle essaie d'être bien avec les corps armés, avec les pompiers, mais est-ce qu'elle va voter une loi pour désarmer la police ? Ça ne tient pas debout, tout ça », bougonne Frédéric Wattebled, référent local du parti Horizons. Consciente du handicap que représentent les outrances des Insoumis, Delphine Batho a effacé de ses affiches et de ses documents de campagne toute référence au Nouveau Front populaire, martèle qu'elle est « libre » et n'a rien à voir avec eux.

Jean-Luc Mélenchon, tout le monde le déteste. Je refuse d'être sur les images avec eux. La coalition se fait sur la base du PS, c'est très clair.Delphine Batho, députée écologiste

Sur le marché, Francine attaque. Elle voit bien, quand elle va en ville, que « l'insécurité progresse. Est-ce que ma petite-fille va se faire poignarder quand elle aura 15 ans ? » Delphine Batho comprend, dit-elle. « Il faut soutenir nos gendarmes, les libérer de la paperasse. » « Si vous êtes élue, y aura-t-il de nouvelles éoliennes ? » « Non, promet la candidate. J'ai fait voter dans la loi un seuil de saturation. Je suis contre tout nouveau projet éolien dans le Mellois », qui accueille sa permanence parlementaire.

«Ã‚ Mais qu'est-ce que vous faites dans cette alliance, avec les Insoumis ? s'indigne Jean-Joël Couturier, une figure politique locale. C'est scandaleux ! C'est le groupe politique qui fait honte à la démocratie, honte à la France. Olivier Faure a vendu l'âme du PS ! » Alors Delphine Batho se défend, et mitraille : « Jean-Luc Mélenchon, tout le monde le déteste. Je refuse d'être sur les images avec eux. La coalition se fait sur la base du PS, c'est très clair. » Le retraité s'étrangle : « Vous plaisantez ? Avec 230 circonscriptions LFI, et 170 pour le PS ? » Puis, d'un ton grave : « Je ne crois pas qu'on soigne un mal par un autre mal. » La candidate, mal à l'aise, tente une explication : « Je respecte l'article 27 de la Constitution. Tout mandat impératif est nul. Les députés ne sont pas au service d'un parti, ils sont au service du peuple qui les a élus. »

Sur ses affiches de campagne, Delphine Batho a gommé toute référence au Nouveau Front populaire. Les affiches de la candidate du RN manquent dans de nombreuses municipalités, où personne n'est venu les coller.  © GW

Sur ses affiches de campagne, Delphine Batho a gommé toute référence au Nouveau Front populaire. Les affiches de la candidate du RN manquent dans de nombreuses municipalités, où personne n'est venu les coller.  © GW

Sur le marché de Chef-Boutonne, à quelques kilomètres, Delphine Batho contre les interrogations d'une vingtaine de visages angoissés, en mode urgence nationale. « Est-ce qu'une grande puissance européenne, la seule à disposer de l'arme nucléaire, va devenir du jour au lendemain l'amie de Poutine ? » Les mains tremblent. Bardella « prône la retraite à 66 ans, maintenant. » Et d'ailleurs, « le RN veut privatiser France Bleu Poitou et France 3 Poitou-Charentes, pour prendre le contrôle des esprits », prévient-elle.

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Jean-Louis Robert, le patron du club cycliste, lui promet sa voix. « Je lui fais confiance. Je la connais bien, et c'est une femme qui n'a jamais transigé sur les valeurs. Il n'aurait pas fallu qu'on ait ce président? Emmanuel Macron, c'est l'homme de la discorde. Il déclenche la sauvagerie. » Denis hésite encore : « Je l'aime bien, elle a un vrai poids national et de bonnes idées, ce n'est pas une dogmatique. Mais il y a trop de monde derrière elle. Je vais peut-être voter blanc au premier tour? »

Le spectre des violences de Sainte-Soline

En coulisse, une partie des élus du département sont durs avec la députée, dont les soutiens se sont effrités, notamment depuis les violentes manifestations de Sainte-Soline. Dans la petite ville de Melle, où Delphine Batho tient sa permanence, on exige l'anonymat avant de s'exprimer : le maire de la ville, un écologiste radical proche de la députée, a ouvert grand les bras aux militants antibassines et aux anciens zadistes de Notre-Dame-des-Landes, qui ont investi le café du Boulevard, en face de la mairie. La commune a servi de base arrière aux militants pacifistes, mais aussi aux centaines de black blocs qui ont affronté les forces de l'ordre en mars 2023, laissant agriculteurs et habitants traumatisés. « On a subi des barrages policiers et des survols d'hélicoptère pendant des jours, sans que personne n'ait été consulté », murmure une commerçante.

À LIRE AUSSI Michaël Delafosse : « Chirac, reviens, ils sont devenus fous ! » Avec l'opposition socialiste de la commune, la rupture est consommée. « Vous avez créé le chaos sur notre petite ville si tranquille. Votre fonction est d'assurer le calme et la sécurité, pas de créer du désordre et des troubles ! » s'était indigné le PS Claude Lacotte en conseil municipal. Sans résultat : plus de 10 000 activistes sont attendus dans trois semaines, entre le 16 et le 21 juillet. Les services de renseignements anticipent la venue d'« au moins 1 000 individus ultraviolents, de toute l'Europe », attirés par les caméras du monde entier qui seront présentes sur place, à une semaine des JO. Le maire de Melle Sylvain Griffault a mis à la disposition des manifestants dix hectares de terres et de bâtiments municipaux, pour organiser un « Village de l'eau. »

Dans les communes alentour, les tensions sont palpables entre pro et antibassines. Et on se souvient que Delphine Batho avait applaudi des deux mains la construction des retenues d'eau en 2018, saluant le protocole d'accord signé par toutes les parties, avant de « retourner sa veste » deux ans plus tard, quand elle s'est rapprochée d'EELV, qui était farouchement contre? « Si elle n'est pas venue aux manifestations, Delphine Batho n'a pas non plus condamné les casseurs », rappelle sa concurrente LR Émilie Baudrez.

Chemin de croix « macroniste » et non-campagne du RN

Le candidat « macroniste », qui espère se faire une place au deuxième tour, en fait un argument de campagne. Mais lui aussi, rame? « Macron est un boulet, et je n'ai commencé ma campagne qu'il y a dix jours », explique Frédéric Bizard. Natif du département, le professeur d'économie parisien a été envoyé sur place sur le quota des candidats du MoDem négocié par François Bayrou. Personne ne le connaît, alors il se démène, et vole de commune en commune en distribuant ses tracts.

L'immense circonscription compte 188 municipalités, impossible en deux semaines de les visiter toutes. Quand il tient un interlocuteur, il pilonne. « L'offre politique de Delphine Batho est trompeuse, et elle a divisé la circonscription. Je suis le seul à proposer une alternative raisonnable, face à une écologiste radicale qui prône la décroissance. Comment voulez-vous financer la transition écologique, un système social et de santé, avec la décroissance ? Comment peut-on être écolo et contre les retenues d'eau ? Comment se positionner en rempart de la République avec Jean-Luc Mélenchon ? »

À LIRE AUSSI « Sur le plan économique, on a le choix entre un bloc limité, un bloc absurde et un bloc délirant » Delphine Batho, qui sait la période risquée, n'a pas souhaité répondre aux questions du Point sur son positionnement. Pas plus que la candidate du Rassemblement national, secrétaire médicale de 31 ans, dont personne ne semble avoir retenu le nom (Mélody Garault) ni le visage : les têtes de Marine Le Pen et Jordan Bardella s'étalent sur ses affiches de campagne. « Moins elle en dit, mieux c'est », confie l'un de ses proches. Le RN est la seule formation à avoir séché une rencontre avec les agriculteurs. À la presse locale qu'elle croise lors de ses rares opérations de tractage, Mélody Garault, qui affirme « travailler et avoir très peu de temps », répète le même élément de programme, promettant de lutter contre les déserts médicaux en exonérant d'impôts les médecins retraités qui viendraient travailler dans le secteur.

À Mauzé-sur-le-Mignon, théâtre du premier coup de force des militants antibassines en 2021, Michaël votera pourtant pour elle ? même s'il ne l'a jamais vue et ne connaît pas son nom. « De toute façon, on ne voit Delphine Batho qu'au moment des élections, et la sécurité, c'est fondamental. J'en suis rendu à me déplacer avec un couteau dans ma camionnette », raconte l'ouvrier du bâtiment. Chantal, devant la mairie, en lève les yeux au ciel. « Ce sont les informations anxiogènes qui tournent en boucle à la télévision qui font l'élection. Ici, on n'a que des vols de poules », tranche-t-elle, convaincue que Delphine Batho sera réélue. « C'est un animal politique, elle est intelligente et douée. Cette petite dame du RN, Delphine va la croquer toute crue. »