Gaza : le boycott de stars voulu par le mouvement Block Out a-t-il eu des effets ?
Gaza : le boycott de stars voulu par le mouvement Block Out a-t-il eu des effets ?
C'est un mouvement qui réclame la « guillotine numérique » pour toutes les personnalités qui ne s'expriment pas en faveur des Palestiniens. Block Out appelle depuis un mois à boycotter les stars, à les sanctionner pour leur « silence » sur la situation à Gaza. Zinédine Zidane, Thomas Pesquet, Pierre Niney, Kylian Mbappé, Aya Nakamura, Jamel Debbouze, Nabilla, Raphaël Glucksmann? Ils sont au total une quarantaine à avoir été publiquement épinglés par le compte @blockout2024_france. Qui a cédé ? Autopsie d'un mouvement plus dangereux qu'il n'y paraît.
Le mouvement Block Out, venu des États-Unis, vise de nombreuses célébrités qui auraient eu l'outrecuidance de ne pas parler suffisamment de la cause palestinienne, d'avoir dénoncé les attaques du 7 octobre ou encore de collaborer avec des marques accusées d'être « sionistes ». Étroitement lié au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), Block Out a déjà épinglé plus de 200 personnalités, marques et médias, parmi lesquels Le Point, sur son compte officiel suivi par plus de 58 000 personnes.
Le pouvoir du boycott et ses dangers
«Ã‚ Ces [personnalités] ne sont puissantes que grâce ànous, que nous les suivions sur les réseaux ou non, car c'est notre engagement sur les réseaux sociaux qui génère leur revenu et permet leur mise en avant pour l'algorithme, explique Block Out dans un communiqué publié le 13 juin. Nous ne pouvons plus accorder ce pouvoir àdes personnes silencieuses face àun génocide diffusé en direct sur nos smartphones. En bloquant ces personnalités et leurs entreprises sur nos réseaux, on leur envoie un message fort : nous n'acceptons plus leur indifférence. »
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Le mouvement BDS, une coalition de multiples associations ou ONG liées à Block Out, témoigne de l'aspect purement antisémite qui découle du boycott. Cette initiative, lancée en 2005, est un soutien du mouvement terroriste du Hamas ? qui a publiquement remercié ses acteurs ? et revendique le fait de boycotter tous les produits fabriqués en Israël, mais également toutes les personnalités et institutions qui seraient « sionistes ». Et quand celles-ci sont pacifistes et en opposition au gouvernement Netanyahou, elles sont accusées de leur silence « complice » et donc coupable.
Block Out entraînerait, depuis son lancement en France, des réactions antisémites mais aussi du cyberharcèlement et des menaces de mort. Et certaines personnalités visées ont d'ores et déjà commencé à réagir. Tel est le cas de l'influenceuse controversée Poupette Kenza, suivie par plus d'un million d'abonnés.
«Ã‚ Je suis une propalestinienne, je ne travaille pour aucune personne sioniste ou juive [?] Je n'ai aucun partenaire, aucun agent qui est juif », s'est défendu Kenza Benchrif de son vrai nom, le 15 mai dernier. Ajoutée àla liste du mouvement Block Out, Poupette Kenza a subi l'ire de ses abonnés, l'accusant de ne pas soutenir la cause palestinienne. Dès lors et par peur de perdre en influence, la jeune créatrice de contenus a tenté de se justifier dans un discours aux propos antisémites qui lui ont valu des poursuites judiciaires. La ministre chargée de l'Égalité entre les hommes et les femmes, Aurore Bergé, a elle-même tenu àréagir àces propos en rappelant que « le boycott des femmes et des hommes en raison de leur identité ou religion est évidemment illégal ».
L'exemple d'Élise Goldfarb que le ministère de l'Intérieur envisage de mettre sous protection
Pourtant, lorsqu'on observe dans le détail la liste des personnalités à boycotter, les motifs justifiant leur éviction sont difficiles à trouver. C'est le cas d'Élise Goldfarb, créatrice de contenus et entrepreneuse, figure engagée de la communauté LGBT et cofondatrice du média inclusif Fraîches. « Non seulement j'ai été ajoutée à la liste, mais le mouvement Block Out a interpellé puis listé les marques et médias qui collaborent avec moi, comme L'Oréal ou la chaîne RMC où je suis chroniqueuse, afin qu'elles me virent, explique-t-elle, encore effarée. Cela fait des mois que je suis cyberharcelée massivement. J'ai reçu des milliers de menaces de mort et d'insultes, et c'est encore pire depuis que je suis sur la liste. »
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Selon les suiveurs de Block Out, Élise Goldfarb mènerait une « propagande sioniste » et « révisionniste », bénéficiant d'une « impunité médiatique ». « Que les médias qui l'invitent cessent de valoriser les discours sionistes et les pratiques de harcèlement qu'elle promeut, que les associations queers et féministes ne la programment plus lors de leurs événements à moins d'excuses publiques », exige ainsi le compte Block Out qui lui dédie une publication.
Pourtant, dans les faits, Élise Goldfarb confirme au Point avoir porté à plusieurs reprises plainte face à la gravité des messages reçus et des menaces de mort caractérisées : « J'ai de tout : on va te retrouver et te tuer, Hitler n'a pas fait son job, etc. J'en suis au stade où le ministère de l'Intérieur analyse tout ce que je reçois et envisage une protection permanente. Pourtant, dans la communauté juive, je suis considérée comme trop peace puisque je soutiens la ligne des Guerrières de la Paix [un mouvement de femmes pour la paix créé par Hanna Assouline et qui appelle aussi bien à un cessez-le-feu qu'à la libération des otages, NDLR] », soupire Élise Goldfarb.
La créatrice de contenus est particulièrement éc?urée que la députée européenne Insoumise Rima Hassan, élue le 9 juin dernier, ait aimé ? avant de le retirer ? la publication du compte Block Out qui a entraîné son harcèlement. Cette dernière nous confirme avoir d'ailleurs porté plainte contre Rima Hassan pour diffamation à la suite de prises de position faites par la députée européenne à son égard.
Ces stars contraintes de céder à la pression
En quelques semaines, une véritable curée s'est installée sur l'application TikTok à l'encontre de créateurs de contenus qui osent continuer à collaborer avec des marques à boycotter. C'est le cas d'Océane Amsler, influenceuse suivie par plusieurs millions d'abonnés et qui s'est vue reprocher d'avoir collaboré avec l'enseigne Coca-Cola, ciblée par les mouvements BDS et Block Out pour ses prétendues positions sionistes.
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«Ã‚ Il y a un génocide en cours en Palestine, j'ai toujours été vocale sur le sujet et je n'ai pas attendu qu'un petit garçon aux cheveux lisses vienne me mettre la pression. D'ailleurs peut-être que le lisseur avec lequel tu as lissé tes cheveux a été fabriqué par des enfants en Chine », s'est défendue l'influenceuse après avoir reçu de nombreux commentaires appelant àla boycotter.
De leur côté, la chanteuse Angèle, les youtubeuses Léna Situations et Natoo ou encore l'acteur François Civil, chacun visé par le mouvement Block Out pour leur silence « complice » sur la question palestinienne, ont signé une tribune parue le 4 juin dernier dans Libération pour la reconnaissance d'un État palestinien. Aucun n'a toutefois indiqué si leur décision avait été motivée par la menace de boycott.
L'impact concret de Block Out sur les marques
Si Élise Goldfarb nous confirme que certaines marques ne travaillent plus avec elle depuis le Block Out, Marion Darrieutort, présidente de l'agence The Arcane, un cabinet de conseil en influence, estime qu'il est encore « trop tôt » pour quantifier l'impact du mouvement : « Il sera difficile de définir précisément si les incidences financières sont issues de Block Out ou des boycotts déjà en place. Certaines marques comme McDonald's ont déjà fait savoir que leurs résultats financiers avaient été impactés en raison du conflit. Et certaines marques commencent à déporter leurs investissements de l'influence et des influenceurs vers des campagnes de publicité plus traditionnelles et moins risquées. »
Marion Darrieutort confirme malgré tout que le mouvement engage des réflexions entre les marques et les influenceurs dans le cadre de futures collaborations. « Chez The Arcane, nous avons une équipe dédiée dont le rôle est d'analyser l'évolution des nouveaux phénomènes sociétaux et d'identifier les signaux faibles, explique-t-elle. Concernant Block Out, nous regardons ce qu'il se passe aux États-Unis pour anticiper les impacts et les reprises en France et nous avons des outils de veille qui nous font remonter les signaux faibles qui deviennent forts. »
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L'experte note aussi que l'analyse du comportement de la tranche d'âge des 18-35 ans est « majeure » pour les marques. En effet, depuis le début du Block Out, des personnalités visées comme la chanteuse Beyoncé ont perdu plus de 700 000 abonnés ? le lien de cause à effet avec le mouvement de boycott n'est toutefois pas encore sûr.
«Ã‚ Les marques ont déjàpris conscience que les créateurs de contenus sont aujourd'hui préférés pour leur authenticité, les valeurs qu'ils véhiculent et leur capacité àengager, explique Marion Darrieutort. C'est la fin des influenceurs ?lisses?, ?policés? qui restent cantonnés àun domaine lifestyle. Ils sont des leaders d'opinion, et nous devons les considérer comme tels. À eux d'assumer leur ligne éditoriale et aux marques d'en tirer les enseignements pour les collaborations. »