« Que ferons-nous quand le député RN viendra serrer des paluches à l’inauguration de nos festivals de théâtre ? »
«Ã‚ Que ferons-nous quand le député RN viendra serrer des paluches àl’inauguration de nos festivals de théâtre ? »
Aucun auteur de politique-fiction n’aurait osé, et pourtant nous y sommes.
Juin 2024, le plus jeune chef de l’Etat élu depuis Napoléon Bonaparte vient de dissoudre l’Assemblée nationale. Il charge son Premier ministre (le plus jeune de la Ve République) de remporter la bataille des législatives. Personne n’y croit et la France est en passe d’élire son premier Premier ministre d’extrême droite. Ce dernier est encore plus jeune que tous les autres.
Juin 2024, le troisième âge est en déroute : Alain Finkielkraut s’imagine contraint de voter pour les héritiers des révisionnistes, et Dominique de Villepin écrit dans « le Monde diplomatique ».
Juin 2024, la gauche s’unit et la stratégie du « Front contre Front » de Jean-Luc Mélenchon (marginalisé mais toujours là) arrive à maturation douze ans après avoir été formulée.
Enfin, Rachida Dati (!!!) est en passe de devenir la ministre de la Culture au mandat le plus court de la Ve République. De son action – dont on n’attendait rien – on retiendra tout de même une coupe budgétaire de 200 millions d’euros, dont 96 millions sur la création. Merci, au revoir !
Quant au monde du spectacle vivant – qui ne manque jamais d’orgueil – il se déchire sur l’épineuse question de sa propre responsabilité.
Ainsi, sa doyenne, Ariane Mnouchkine, est amère : son utopie réalisée à la Cartoucherie de Vincennes serait donc déconnectée du reste des Français.e.s ?
La génération d’en dessous (qui n’est plus toute jeune) lui reproche : « Fais ton autocritique si tu veux, camarade, mais ne nous mets pas tous dans le même sac ! »
La jeune génération – encore trop jeune pour être fautive – s’inquiète : « Que ferons-nous tou.s.tes, quand le député du Rassemblement national viendra serrer des paluches à l’inauguration de nos festivals de théâtre en plein air ? Festivals au cœur de la France dite « périphérique » car, oui, nous n’avons pas attendu la montée du repli identitaire pour amener le théâtre là où il n’existait pas encore.
On peut rire. On peut pleurer aussi de l’impuissance générale dans laquelle nous sommes plongé.e.s. On peut agir, enfin, car comme disait Claudel, « le pire n’est pas toujours sûr ». De fait, si ce n’est pas la première crise que notre génération affronte – avons-nous jamais connu autre chose ? – ce ne sera surement pas la dernière non plus. Alors hauts les cœurs !
Prendre notre part
Nous, jeune génération du spectacle vivant l’affirmons : quoi qu’il advienne le 7 juillet, le monde culturel va devoir prendre sa part.
Nous devrons porter un regard net sur les raisons qui ont amené la culture à ne pas avoir le poids politique que nous voudrions qu’elle ait. Il nous faut entendre que le monde culturel et la population ne se comprennent plus. Cela n’enlève en rien la valeur des dizaines de milliers de professionnel.le.s, qui font encore aujourd’hui de la France, un grand pays de culture.
Que le Rassemblement national gagne les élections ou ne les gagne pas (ce que nous souhaitons), la part du peuple qui se sent délaissée et méprisée restera inchangée, voire continuera de progresser. Cette dynamique électorale et sociale n’est pas inexorable. Contrer les ressentiments, apaiser les colères, rassembler les populations de toutes les classes sociales, voilà les tâches auxquelles nous devrons prendre part avec notre force artistique.
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Quoi que disent les urnes le 7 juillet, l’urgence sociale et climatique sera toujours là, ces combats devront être menés avec et pour la population.
Pour une riposte artistique et culturelle
Quoi qu’il arrive, il nous faudra dès le 8 juillet être aux avant-postes, avec les armes dont nous disposons, celles capables de créer et propager de nouveaux imaginaires. Il nous faudra encore nous poser la question de l’intelligibilité de nos œuvres, de notre capacité à nouer des relations avec toute la population. Il nous faudra continuer à nous politiser pour formuler un nouveau pacte de politique culturelle et peu à peu, à force de travail, trouver le chemin d’un véritable service public populaire de la culture.
Notre réponse est celle d’un front uni pour une riposte artistique et culturelle. Notre résistance est une offensive.
Cette tribune a été proposée par Victorien Bornéat, Maya Ernest, Hugo Roux et Hugues Duchêne. Elle a été signée par plus de 250 artistes de la jeune génération du spectacle vivant parmi lesquelles Jeanne Desoubeaux, Louis Arene, Victoria Quesnel, Simon Falguières, Salomé Diénis Meulien, Zakary Bairi, Mélanie Charvy, Hugues Jourdain, Louve Reiniche-Larroche ou encore Samuel Valensi. La liste complète des signataires est à retrouver ici.