«Qu'y a-t-il de raisonnable dans l'avenir promis par la nouvelle union des gauches ?»

FIGAROVOX/TRIBUNE - Impôts, laïcité, école...Le philosophe Adrien Louis passe en revue les propositions de la nouvelle coalition des gauches. Il y voit un «programme systématique d’inaction».

Une affiche du Nouveau Front populaire, à Paris, le 19 juin 2024.

Adrien Louis est docteur en philosophie politique et maître de conférences en science politique à l'Université Catholique de l'Ouest (UCO). Il est l'auteur de Léo Strauss, philosophe politique (CNRS Éditions, 2019), et de Les meilleurs n'auront pas le pouvoir. Une enquête à partir d'Aristote, Pascal et Tocqueville (PUF, 2021).

En ces temps d'agitation et de consternation mêlées, où nul ne sait si l'heure est aux grands choix ou aux petits calculs, certaines personnes veulent trouver un peu d'espoir à gauche. Exaspérées par les manières d'Emmanuel Macron autant que par sa politique, exaspérées par la mise en équivalence des deux partis «extrêmes», elles ne trouvent pas autant de raisons d'être exaspérées par le Nouveau Front populaire (NFP). Peut-être son plan budgétaire n'est-il pas tout à fait raisonnable, peut-être les réactions au conflit israélo-palestinien n'ont-elles pas été exemplaires à gauche, mais enfin, dans quel autre parti trouverions-nous les prémices d'un avenir un peu aimable et fraternel ?

Je m'étonne de cette concession. Qu'y a-t-il en effet d'aimable dans l'avenir promis par la nouvelle union des gauches ? On ne saurait dire par exemple que le NFP porte un projet généreux et dynamique, mobilisant les énergies positives et productives de la société civile. La seule générosité qu'il envisage est celle d'un État qui, selon l'expression du «modéré» Olivier Faure, prendra l'argent dans la poche de ceux qui ont les moyens. Et à quelle fin l'État justicier se montrera-t-il si généreux ? Non pour relancer l'économie et relever la classe moyenne, non pour réintégrer les plus démunis à la vie active, mais pour limiter au maximum la part que les Français consacreront à cette vie «active», puisqu'ils auront tous le droit de faire gratuitement des études longues, avant d'avoir le droit de travailler le moins possible, avant d'avoir le droit de partir le plus tôt possible à la retraite. Qui considérerait un peu sérieusement l'ensemble des propositions du Nouveau Front populaire devrait être frappé d'y trouver non un programme d'action, mais un programme systématique d'inaction. Il s'agit au fond de mettre les Français en mesure d'acheter ce qu'ils ne prendront plus la peine de produire. Pourquoi d'ailleurs en auraient-ils le désir, quand tout le discours ambiant suspectera les entrepreneurs un peu trop en réussite ? Encourager la consommation tout en décourageant la production, telle est en somme la grande impulsion que le NFP entend redonner à la France.

Cherchons donc l'espoir ailleurs. La gauche, par rapport à l'extrême droite raciste et au centrisme néolibéral, c'est tout de même la République, le vivre-ensemble et la laïcité. Ainsi annonce-t-elle sobrement son intention de supprimer la loi «confortant les principes de la République» qui a toujours semblé, à Jean-Luc Mélenchon du moins, une loi «liberticide» et discriminante. Pourtant, parlons net : la suppression de cette loi aurait un sens concret qui serait très clairement reçu par les intéressés : quartier libre aux salafistes. Il est vrai que Mélenchon ne connaît que le séparatisme des riches, et que la «créolisation» lui semble être une dynamique plus forte que celle du communautarisme. Bienheureux les généreux d'esprits ! Mais enfin, quoi qu'il en soit des rêveries béates ou des dénégations irresponsables du NFP, la société qu'il nous promet sera effectivement une société fracturée, donnant à des contre-sociétés hostiles à la France tout le loisir de se développer avec la bénédiction «des résistants» du Hamas.

Comme une bonne partie de la gauche s'emploie du reste à discréditer l'autorité de la police avant de lui retirer quelques moyens financiers, on voit mal pourquoi ces contre-sociétés ne prospéreraient pas en toute quiétude. Ainsi aurons-nous découragé l'esprit d'entreprise économique, tout en stimulant l'esprit d'entreprise séparatiste. Nous aurons brisé la solidarité qui naît de l'investissement dans la vie active, tout en donnant un blanc-seing aux entrepreneurs religieux qui travaillent à nous détruire.

Cherchons encore ailleurs. La gauche a une idée généreuse de l'école, veut 19 élèves par classe, et Mélenchon sait bien son latin. Las ! Comment miser sur une école qui se donnera pour horizon une société d'inactifs assurés de leurs droits, et qui fait déjà de l'égalité son impératif catégorique ? Car cela fait longtemps qu'en matière éducative, la gauche préfère assurer l'égalité sociale devant l'instruction à cette instruction elle-même. Or quelle meilleure façon d'assurer l'égalité que de très peu exiger, ou de n'exiger au fond que des leçons de civisme consacrées au respect de toutes les différences autres qu'économiques ? On imagine aussi sans peine que le Nouveau Front populaire mettra rapidement un terme à ce scandale que sont les écoles privées sous contrat, avant, peut-être, de s'aviser que les écoles hors contrats donnent encore trop d'opportunités aux familles riches. Mais qu'on se rassure : tous les enfants de France mangeront gracieusement bio, et la gratuité ne sera pas indexée sur l'inflation.

Pour saisir l'esprit d'un programme politique, il est utile d'envisager la société dans laquelle il nous ferait vivre s'il s'accomplissait sans obstacle. De ce point de vue, je cherche encore les vertus aimables qui recommanderaient le programme du Nouveau Front populaire. Mais il est vrai que les obstacles ne manqueront pas, et qu'on doit aussi se demander comment ils seront surmontés. Or, il me semble que cette considération ne plaide pas non plus en faveur du NFP, et du parti la France insoumise qui le domine. Celui-ci a en effet un caractère idéologique très marqué, et jusqu'à preuve du contraire, il est le seul parti à soutenir l'usage de la violence illégitime. On veut donc voter à gauche pour faire barrage à l'extrême droite ? Mais qui miserait, pour lutter contre les extrêmes, sur le parti coutumier des extrémités ?

Comme beaucoup de concitoyens, rien dans le paysage actuel ne m'inspire beaucoup d'espoir, et rien ne me paraît particulièrement aimable. Quelques-uns veulent croire au renouveau d'une gauche raisonnable, incarnée par la frange défaite du Nouveau Front populaire, et qui nous promet de recouvrer sa fière indépendance sitôt à l'assemblée. La belle affaire… Mais que nul du moins ne se méprenne sur le caractère du NFP qui se propose à nos suffrages. La bonté et la générosité ne s'y trouvent pas plus que la responsabilité.