"La pression qui repose sur nous est très forte": les employés du secteur technologique chinois en souffrance
Face au surmenage, nombreux sont les travailleurs chinois en situation de détresse.
En Chine, face au ralentissement de la croissance, les entreprises de l’industrie technologique réduisent leur nombre d’employés, et ceux qui restent sont confrontés à des exigences plus strictes, révèle le Financial Times. Jusqu’à la souffrance, parfois.
Des travailleurs en détresse. En Chine, à l’occasion d’une récente réunion en visioconférence, Richard Liu, le fondateur de l’entreprise de commerce en ligne JD.com, a adressé un avertissement à son personnel.
"Nous avons des employés qui préfèrent profiter de la vie, qui donnent la priorité à la vie privée et mettent le travail au second plan, l’entend-on dire dans un enregistrement diffusé sur la Toile et cité lundi 24 juin par le Financial Times. Je peux comprendre qu’on ne veuille pas travailler dur, que chacun fasse des choix différents. Je veux seulement vous dire que vous n’êtes pas notre frère, vous n’êtes que de passage. Nous ne devrions pas travailler ensemble."
Le message était on ne peut plus clair et cette situation n’est pas isolée. Face au ralentissement de la croissance, à l’augmentation de la concurrence et à l’apathie manifestée par les investisseurs, les entreprises de l’industrie technologique réduisent leurs effectifs et imposent des exigences plus strictes aux employés qui restent.
Surmenés jusqu'à la mort
En Chine, les ingénieurs n’ont jamais bénéficié des avantages offerts à leurs pairs de la Silicon Valley (médecins sur le lieu de travail, bars à sushis...), mais leur situation s’était améliorée ces dernières années grâce à la campagne "prospérité commune" du président Xi Jinping visant à réduire les inégalités de revenus et à promouvoir l’équité, rappelle le quotidien économique et financier. Néanmoins, face au cours des actions en berne – les cinq plus grandes entreprises technologiques chinoises cotées en bourse ont collectivement perdu près de 1,3 milliard de dollars en valeur marchande par rapport à leurs niveaux records de 2021 –, les dirigeants ont décidé de renouer avec d’anciennes pratiques plus rigoureuses.
Les acteurs du secteur veulent suivre les traces de Pinduoduo, une entreprise de commerce en ligne dont la société a généré 60 milliards de RMB (7 milliards d’euros) en 2023. Pour parvenir à un tel résultat, le personnel travaille pendant de nombreuses heures... au péril de sa vie. En 2021, deux employés sont morts dans des circonstances liées au surmenage. Auprès du journal britannique, une ex-employée révèle que les plages horaires étaient si longues, qu’elle avait pratiquement cessé "toute interaction sociale, tout loisir, et même [s]a vie amoureuse". Après son départ, elle a eu le sentiment de "renouer avec la société".
En 2023, la plateforme d’emploi Lagou et la société de conseil Yixinli ont mené une vaste enquête sur les conditions de travail en vogue dans les plus grandes villes chinoises. Il en est ressorti que 60% des sondés ressentaient de l’anxiété vis-à-vis de leurs perspectives d’évolution de carrière. Aussi, 44% des participants faisaient part de leur préoccupation concernant un manque d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Peur du licenciement et réunions nocturnes
La réduction de la masse salariale est particulièrement redoutée par les employés de plus de 35 ans. En effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au risque d’être licenciés et confrontés à un marché du travail hostile. S’ils se retrouvent plus souvent sur la sellette que les jeunes salariés, c’est parce que les dirigeants considèrent qu’ils coûtent plus cher et seront moins enclins à faire des heures supplémentaires du fait de leurs impératifs familiaux. "Il n’a jamais été aussi difficile de trouver un emploi", confirme un ingénieur en infrastructure de 40 ans, récemment licencié d’une entreprise de covoiturage, auprès du quotidien.
Face à la peur de perdre son emploi et au surmenage, nombreux sont les travailleurs chinois en situation de détresse. "Dans cette industrie, de nombreuses personnes sont en dépression. La pression qui est exercée sur nous est très forte", confie au Financial Times une employée de TikTok sous traitement médicamenteux. En raison de l’envergure internationale de cette entreprise, elle doit souvent participer à des réunions la nuit : "Le travail ne s’arrête jamais." "Même quand on est en congé, il faut continuer à répondre aux sollicitations", abonde un ex-salarié de la firme. Et de conclure : "Il vaut mieux assister aux réunions auxquelles nous sommes attendus, sinon cela peut s’avérer problématique."
Un secteur qui continue d’attirer
En dépit de ce phénomène, le secteur continue d’attirer, chaque année, de nombreux jeunes diplômés. Ces derniers sont alléchés par le système méritocratique qui promet une ascension sociale en échange de solides performances. À l’heure actuelle, cette industrie figure aussi parmi celles qui proposent les emplois les mieux rémunérés en Chine. "Le salaire élevé est la raison pour laquelle je reste, admet l’employée de TikTok auprès du journal britannique. C’est un endroit où les gens ordinaires peuvent bénéficier d’opportunités grâce à un travail acharné."