Réforme de la formation des enseignants : qu’en pensent les futurs professeurs ?

La réforme prévoit notamment d’avancer les concours qui évaluent les enseignants du premier et second degrés de bac+5 à bac+3, à compter de juin 2025.

Annoncée à la rentrée 2023, la réforme de la formation initiale des enseignants reste à l’ordre du jour malgré la dissolution de l’Assemblée. Candidats au concours, professeurs, formateurs et syndicats nous donnent leur avis. Le «choc d’attractivité» promis aura-t-il lieu ?

Les délais sont serrés, mais le ministère de l’Education nationale entend bien faire passer sa réforme phare, promise par Emmanuel Macron pour 2025, avant le second tour des élections législatives anticipées, le 7 juillet prochain. Ce jeudi 27 juin, le décret transformant les concours et la formation initiale des futurs enseignants doit ainsi être soumis au vote du comité social d’administration, principale instance du dialogue social. L’objectif : créer un «choc d’attractivité», selon les mots du Premier ministre Gabriel Attal, pour sortir le système éducatif de la crise de recrutement dans laquelle il s’enlise depuis des années.

Cinq ans après la dernière réforme, le texte, qui relève du domaine réglementaire et pourrait donc être mis en œuvre par le gouvernement malgré la suspension des travaux parlementaires, prévoit notamment d’avancer les concours qui évaluent les enseignants du premier et second degrés de bac+5 à bac+3, à compter de juin 2025. Au programme également : un master «professionnalisant» et rémunéré à la suite du concours, et la création d’une licence préparatoire au professorat des écoles pour acquérir un «socle général» centré notamment sur le français, les mathématiques et l’histoire-géographie pour les futurs enseignants du primaire. Après le concours, les futurs professeurs des écoles retrouveraient ceux du secondaire pour deux années de master dans des «écoles normales supérieures du professorat» (ENSP), signant la fin des actuels Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation).

«On ne comprend plus rien au cursus»

Autre innovation majeure pour tenter désespérément d’attirer des candidats : en première année de master, les étudiants percevraient une gratification mensuelle de l’ordre de 900 euros net par mois et, en deuxième année, 1 800 euros net par mois, en tant que fonctionnaires stagiaires avec une obligation de quatre années de service.

Pour Benoît*, qui a passé les épreuves du Capes cette année, «l’idée de faire passer le concours plus tôt est louable pour abaisser le nombre de démissions en cours de cursus», même chose pour la rémunération qui «permet de valoriser un peu le métier». Mais pour lui, cette énième réforme de la formation «brouille la visibilité» des postulants, qui «ne comprennent plus rien au cursus et peuvent se décourager de devenir profs». Chloé*, qui vient de passer son Bac, partage cette inquiétude. «Je n’ai aucune idée de quand je passerai le concours. Trois ans me paraissent peu quand je vois tout ce que j’ai à apprendre, et j’ai peur que ça participe encore au déclassement du métier», confie-t-elle.

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Dylan*, professeur en Seine-Saint Denis, craint de son côté qu’avancer le concours en fin de licence et professionnaliser le master ne se fassent qu’au sacrifice d’un «bagage théorique solide. C’est comme la face invisible de l’iceberg, derrière ce que tu enseignes, tu as une connaissance bien plus profonde de ta matière. Sinon tu répètes bêtement ce qu’on t’a dit de dire», affirme-t-il. Guislaine David, à la tête du premier syndicat du primaire, le Snuipp-FSU, redoute elle aussi une «formation minimale» avec une licence spécifique qui «va déqualifier le métier». «Quand on voit le niveau exigé, je me dis qu’on se moque de nous», ajoute-t-elle en faisant référence à un premier exemple de sujet pour le futur concours de recrutement de professeurs des écoles a fuité début juin. «On a cru que c’était une blague, ce n’est même pas du niveau brevet. Ce n’est pas parce qu’on passe le concours deux ans plus tôt qu’on doit abaisser le niveau à ce point», s’insurge la représentante syndicale.

Pour que les premiers concours à bac+3 puissent se tenir dès 2025, les universités ont la tâche de construire ces nouveaux cursus de manière à ce qu’ils figurent sur Parcoursup en décembre prochain. Un calendrier contraint qu’une large partie de l’intersyndicale juge «intenable». Par conséquent, et même si elles approuvent à l’unanimité le déplacement du concours en L3, les organisations syndicales – à l’exception de SE-UNSA qui «acte positivement» une «réforme attendue» – demandent un retrait du décret. «Nous n’avons quasiment pas été concertés, déplore Guislaine David. Depuis novembre, on apprend par hasard, au gré de fuites aléatoires de documents, les évolutions conséquentes qui sont décidées et que les universités n’auront pas le temps d’intégrer d’ici à la rentrée prochaine. C’est bancal, et dans le contexte politique, il serait préférable de reporter pour prendre le temps de la discussion sans précipitation.»

«La question de la formation initiale ne résoudra pas la crise du recrutement»

A la tête de l’Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) de l’Académie de Lyon, Pierre Chareyron abonde en ce sens : «Déplacer le concours est une chose, mais le contenu doit aussi être pensé en cohérence avec cette temporalité. Est-ce que le concours va chercher à évaluer les connaissances en créant une rupture dans la continuité pédagogique entre la licence et le master, ou y aura-t-il une continuité entre avant et après le concours ? Il faut aussi réfléchir à la structuration de l’offre de formation, afin qu’elle ne fonctionne pas en silo, en construisant des passerelles depuis et vers d’autres formations, en établissant des partenariats. Tout cela prend du temps.»

Et pour ce qui est de l’attractivité, enjeu majeur de la réforme, rappelons-le, «la question de la formation initiale ne résoudra pas la crise du recrutement. Ce qui retient des potentiels candidats ce sont les questions de salaires, des conditions de travail et d’entrée dans le métier, le manque de reconnaissance, etc. L’attractivité est une question globale», explique Guislaine David.

*Les prénoms ont été modifiés.