«Seule une coalition du centre pourra répondre aux défis économiques de notre époque»: l’appel de 100 économistes
«L'emploi et les gains de productivité constituent la meilleure politique pour le pouvoir d'achat, pour nos finances publiques et pour le financement de la transition écologique».
L'enjeu premier de cette campagne éclair n'est à nos yeux probablement pas économique. Il est avant tout question de valeurs, de démocratie, de soutien à l'Ukraine, de rapport à l'autre et à notre environnement. Nous sommes et serons toujours très clairs sur ces enjeux.
Cela étant, le débat sur les programmes économiques occupe une place importante. Ce débat est devenu violent. Les programmes ont été écrits à la hâte et nous avons déjà eu l'occasion de critiquer certaines mesures phares démagogiques - comme la baisse de la TVA sur les produits énergétiques, dont il est très peu clair qu'elle résulterait nécessairement en une baisse des prix, sans parler du contresens écologique qu'elle constitue. Plus généralement, l'absence totale de réalisme budgétaire rend très peu crédible la mise en place effective de certains programmes.
Pourtant, il existe une politique économique à la fois crédible et qui peut rassembler largement. L'emploi et les gains de productivité constituent la meilleure politique pour le pouvoir d'achat, pour nos finances publiques et pour le financement de la transition écologique. Ces piliers sont fondamentaux et au cœur de la politique économique de notre pays depuis 2017. Changer radicalement de stratégie serait à nos yeux très dommageable.
Le bilan économique de la politique menée ces dernières années est devenu en partie inaudible du fait des critiques hors du champ économique, sur l'exercice parfois trop vertical du pouvoir notamment. Ce bilan économique n'est pas parfait mais il nous semble bon sur beaucoup d'aspects, en particulier s'agissant de la baisse du chômage et de la hausse du taux d'emploi. Les mesures de soutien lors de la crise du Covid ont permis à la fois de maintenir l'emploi et d'éviter les faillites d'entreprises, avec une hausse de la dette publique qui impose de rétablir nos finances publiques d'ici à la prochaine crise.
Plusieurs réformes du marché du travail décidées l'an dernier ne montent d'ailleurs en charge que graduellement jusqu'en 2027 voire 2030. Nous n'en avons pas encore vu tous les effets. En l'absence de rupture dans les orientations économiques à ce sujet, le taux d'emploi devrait continuer d'augmenter à un rythme soutenu dans les années à venir.
Sur la productivité, France 2030 et la stratégie sur l'intelligence artificielle proposent une vision pro innovation qui cherche à investir dans l'avenir et les secteurs stratégiques. La France ouvre désormais plus d'usines qu'elle n'en ferme, une inversion de la tendance par rapport aux décennies passées. Cette politique se traduit aussi par l'attractivité retrouvée de la France auprès des investisseurs étrangers.
Même sur l'écologie, les politiques menées ces dernières années ont fait bien plus que ce que l'opinion perçoit. Suite au mouvement des gilets jaunes et à la réalisation que le signal prix ne pouvait pas être le seul vecteur de la transition écologique, le gouvernement a adopté une approche assez claire et cohérente, tant sur le mix énergétique souhaité et souhaitable, que sur les outils à mobiliser. En complément du signal prix, le secrétariat général à la planification écologique a réalisé un important travail de planification, qui sert à coordonner les acteurs, à donner de la visibilité, à pouvoir mesurer les progrès réalisés et les zones où il faut amplifier les efforts. Les émissions ont d'ailleurs baissé de 6% en 2023 par rapport à 2022.
Force est de constater cependant que cette politique économique ne rassemble plus. Le centre gauche en particulier a été en grande partie perdu, peut-être pour des raisons non économiques, comme la loi sur l'immigration, ou pour des raisons de méthode : trop peu d'importance accordée aux partenaires sociaux ou aux parlementaires, trop peu de préoccupation de justice, y compris intergénérationnelle, dans la répartition des efforts.
Mais il nous semble qu'il pourrait être reconquis, par une autre façon de gouverner et en investissant certaines thématiques. Il faut agir encore davantage pour les services publics, et en particulier l'école ; écouter les spécialistes sur ces sujets et continuer de revaloriser les enseignants, qui, malgré les hausses historiques de l'an dernier, ne sont pas encore rémunérés comme il se doit. La question de la redistribution doit être posée : le gouvernement travaille d'ailleurs au niveau mondial à une imposition des milliardaires, celle-ci est importante pour la cohésion sociale. La lutte contre les discriminations sur le marché du travail, notamment en fonction des origines, doit retrouver une place centrale.
Une nouvelle majorité législative, dans une coalition rassemblant toutes les forces du centre gauche au centre droit, devrait pouvoir se rassembler derrière une politique économique fondée sur l'emploi et la productivité. C'est à nos yeux la meilleure stratégie pour répondre aux défis économiques de notre époque, du pouvoir d'achat aux inégalités, en passant par la souveraineté technologique et la soutenabilité des finances publiques.
Signataires :
Philippe Aghion (Collège de France)
Yann Algan (HEC)
Adrien Auclert (Stanford)
Olivier Blanchard (Paris School of Economics)
François Bourguignon (Paris School of Economics)
Gilbert Cette (Neoma business school)
François Ecalle (Université Paris I)
Xavier Gabaix (Harvard)
Cecile Gaubert (Berkeley)
Christian Gollier (Toulouse School of Economics)
Xavier Jaravel (London School of Economics)
Augustin Landier (HEC)
Antoine Levy (Berkeley)
Hélène Rey (London Business School)
Jean-Marc Robin (Sciences Po)
Alexandra Roulet (INSEAD)
Nina Roussille (MIT)
Claudia Sénik (Sorbonne Université et PSE)
David Sraer (Berkeley)
Etienne Wasmer (NYU Abu Dhabi)
Jean Marc Daniel (ESCP)
Anne-Sophie Alsif (BDO France)
Marianne Andries (University of Southern California)
Emmanuelle Auriol (Toulouse School of Economics)
Jean-Paul Azam (Toulouse School of Economics, BID, IAST)
Olivier Babeau (Institut Sapiens)
Aurélien Baillon (emlyon business school)
David Bardey (Universidad de Los Andes et Toulouse School of Economics)
Guillaume Bazot (Université Paris 8, LED)
Antonin Bergeaud (HEC Paris)
Augustin Bergeron (University of Southern California, Harvard University)
Johannes Boehm (Sciences Po)
Philippe Bontems (Toulouse School of Economics)
Marie-Françoise Calmette (Toulouse School of Economics)
Pauline Carry (Princeton)
Edouard Challe (Paris School of Economics)
Olivier Charlot (CY Cergy Paris Université)
Frédéric Cherbonnier (Sciences Po Toulouse, Toulouse School of Economics)
Marine Coinon (Toulouse School of Economics)
Emmanuel Combe (Université Paris 1, SKEMA Business School)
Pierre-Philippe Combes (Sciences Po)
Alexandre de Cornière (Toulouse School of Economics)
Jacques Crémer (Toulouse School of Economics)
Bruno Decreuse (Aix-Marseille Université)
Philippe De Donder (Toulouse School of Economics)
Alain Delacroix (Université du Québec à Montréal)
Rodolphe Desbordes (SKEMA Business School)
Céline Azémar Desbordes (Rennes School of Business)
Olivier Donni (CY Cergy Paris Université)
Pierre Dubois (Toulouse School of Economics)
Eugenie Dugoua (London School of Economics)
Gilles Duranton (Université de Pennsylvanie)
Arnaud Dyèvre (London School of Economics)
Denis Ferrand (Rexecode)
Laurent Ferrara (SKEMA Business School)
Jean-Pierre Florens (Toulouse School of Economics)
François Fontaine (Paris School of Economics)
Eva Moreno Galbis (Aix-Marseille School of Economics)
Cecilia García-Peñalosa (CNRS, Aix Marseille School of Economics)
Olivier Gossner (CNRS Institut Polytechnique de Paris)
André Grimaud (Toulouse School of Economics)
Thomas Grjebine (Économiste)
Maria Guadalupe (INSEAD)
Sarah Guillou (Sciences Po)
David Hémous (Université de Zurich)
Dominique Henriet (Aix-Marseille School of Economics)
Yannick L'Horty (Université Gustave Eiffel)
Guillaume Hollard (CNRS et Ecole Polytechnique)
Jean Imbs (NYU Abu Dhabi)
Marc Ivaldi (EHESS, Toulouse School of Economics)
Francis Kramarz (Collège de France)
François Langot (Université du Mans)
Victor Lequillerier (Bsi Economics)
Jordan Loper (CERDI)
Thierry Magnac (Toulouse School of Economics)
Franck Malherbet (ENSAE, Institut Polytechnique de Paris)
David Martimort (Toulouse School of Economics)
Alice Mesnard (City, University of London)
Frédéric Moisan (emlyon business school)
Anthony Morlet-Lavidalie (BSI Economics)
Mathilde Munoz (Berkeley)
Benjamin Ouvrard (Grenoble Applied Economics Laboratory)
Nicolas Pistolesi (Nantes Université)
Jean-Luc Prigent (CY Cergy Paris Université)
Hillel Rapoport (Paris School of Economics)
Arnaud Reynaud (Toulouse School of Economics)
Dimitrije Ruzic (INSEAD)
Wilfried Sand-Zantman (ESSEC Business School)
Claudia Senik (Sorbonne Université et Paris School of Economics)
Arthur Silve (Université Laval)
Thepthida Sopraseuth (CY Cergy Paris Université)
Ludovic Subran (Allianz)
Thierry Verdier (Paris School of Economics)
Marie Claire Villeval (CNRS, GATE, Lyon)
Carlos Winogradh (Paris School of Economics)
François-Charles Wolff (Nantes Université)
Tanguy van Ypersele (Aix Marseille School of Economics)