Tendre la main à Hollande et Cahuzac, la stratégie toute réfléchie de Macron
L'ancien ministre français du Budget Jérôme Cahuzac en campagne sur un marché, à Blanquefort-sur-Briolance, dans le Lot-et-Garonne, le 20 juin 2024. | Christophe Archambault / AFP
Alors que revoilà François Hollande! L'ancien président, retiré de la vie politique depuis 2017 –mais jamais avare d'une analyse, d'une pique ou d'un commentaire sur celle-ci– va donc renouer avec ses premiers émois partisans. Une campagne législative en Corrèze. Comme au bon vieux temps, en 1988, lorsque le jeune socialiste fut porté à l'Assemblée nationale. Ses chances de réélection sont réelles mais pas absolues, dans une terre qui a vu, elle aussi, pousser le vote RN: 32% aux élections européennes.
Dans cette bataille, engagée sous la bannière du Nouveau Front populaire, François Hollande bénéficie d'un coup de pouce inattendu. Les macronistes ont décidé de lui faciliter la tâche: face à l'ancien président, il n'y aura pas de candidat de la majorité.
Autre surprise, dans le Lot-et-Garonne: le retour de Jérôme Cahuzac, l'ancien ministre du Budget condamné pour blanchiment de fraude fiscale en 2018. Inéligible pendant cinq ans, jugé infréquentable après ses mensonges dans l'hémicycle et sur les plateaux («les yeux dans les yeux»), le voici candidat. Il se présente dans «sa» circonscription, et se décrit comme partisan du centre gauche. Là encore, la macronie n'enverra pas de prétendant pour le contrer.
Composer plutôt qu'imposer
Pourquoi une telle bienveillance? Logiquement, Emmanuel Macron aurait dû combattre ces «figures du passé», issues du cursus honorum solférinien (conseiller départemental, maire, député) que le président méprise. D'ailleurs, en 2017, il avait même failli placer un candidat macroniste dans les pattes de Manuel Valls, pourtant rallié, dans l'Essonne. «Macron est méchant», «Il n'a pas de codes donc pas de limites», avait réagi l'ancien Premier ministre.
Hier bulldozer intransigeant, aujourd'hui diplomate arrangeant, Emmanuel Macron semble composer plutôt qu'imposer. Cette mansuétude peut s'expliquer de trois manières.
D'abord, il n'a guère le choix. Certes, le parti présidentiel (LREM, pardon: Renaissance, oups: Ensemble!, bref, on s'y perd) revendique de «tendre la main» pour «lutter contre les extrêmes». Mais les circonscriptions de Hollande et de Cahuzac sont jugées ingagnables pour la majorité macroniste. Édouard Philippe a d'ailleurs vendu la mèche, l'autre jour sur BFMTV: «Je crois que le calcul qui a été fait, c'est de constater qu'il n'y avait pas de candidat de la majorité qui était susceptible de pouvoir l'emporter.» Voici donc présenté comme une main tendue ce qui relève du simple réalisme électoral. On ne peut qu'imaginer le sentiment secret de revanche qui habite François Hollande («Macron m'a trahi avec méthode», déplorait-il en 2017).
Deuxième raison: la proximité idéologique. La future assemblée, sauf si une majorité absolue se dégage, sera morcelée et hétéroclite. Pour faire aboutir des textes de loi, il faudra donc élaborer, texte par texte, des compromis. L'espoir de la macronie est de pouvoir s'appuyer sur le centre gauche et la droite classique pour former des majorités. Or, François Hollande comme Jérôme Cahuzac sont des sociaux-démocrates, sans doute plus proches des conceptions de Gabriel Attal que de Jean-Luc Mélenchon, au moins du point de vue économique.
Il est de leur intérêt que la gauche compte quelques personnalités fortes, qui sauront tempérer les inévitables outrances insoumises.
On imagine mal l'ex-président et l'ancien ministre du Budget soutenir la retraite à 60 ans. Aucun des deux ne fera de cadeaux au macronisme finissant, certes, mais ils pourraient constituer des alliés ponctuels pour le bloc central –si celui-ci évite la débâcle totale. Or, «quand le blé est sous la grêle, fou qui fait le délicat», pour reprendre le vers d'Aragon cité à l'envi ces jours-ci. Autrement dit, la majorité présidentielle ne peut plus se permettre d'être trop sélective.
Dernière raison: l'expérience. Le prochain hémicycle verra s'opposer un bloc RN amplifié et une gauche requinquée. Les macronistes devront donc subir les feux croisés des lepénistes et des Insoumis. Et ce ne sont pas les sonomètres, récemment installés à l'Assemblée, qui empêcheront l'hémicycle de ressembler à un hurloir géant. LFI est passé maître en la matière –«le bruit et la fureur», ce n'est pas seulement une expression. Face à ce rouleau compresseur, les élus du bloc central –ou de ce qu'il en reste– seront bien en peine de faire entendre leur voix. Il est donc de leur intérêt que la gauche compte quelques personnalités fortes, qui sauront tempérer les inévitables outrances insoumises. Des contrepoids au sein de la gauche. Des puncheurs sociaux-démocrates, si ce n'est pas un oxymore. D'où la main tendue à François Hollande et Jérôme Cahuzac.
La solidité des «professionnels de la politique»
Pour les avoir subies pendant des décennies au PS, Jean-Luc Mélenchon redoute les saillies «hollandaises». En réunion des chefs à plumes socialistes, l'ex-premier secrétaire n'avait pas son pareil pour démonter, d'un trait d'esprit bien senti, la verve mélenchonienne. «Au secours, le zombie Hollande est de retour. Plus méchant que jamais, il mord tout ce qui bouge», tweetait le fondateur de LFI en 2021.
Même constat pour Jérôme Cahuzac, dans un registre plus proche de la boxe, qu'il pratique assidûment. Il est l'un des rares à avoir rendu coup pour coup à Jean-Luc Mélenchon lors d'un duel télévisé. C'était il y a onze ans.
Nul doute qu'il se morfond en attendant le prochain round.
Naturellement, François Hollande comme Jérôme Cahuzac font campagne sur des enjeux bien plus lourds que ces considérations individuelles et politiciennes. Mais leur retour illustre l'échec du macronisme à occuper la place. Face à la fragilité du «nouveau monde» et de ses députés inexpérimentés, voici soulignée la solidité des «professionnels de la politique». Hier honnis, désormais espérés, presque attendus en sauveurs au sein d'un hypothétique front républicain.
Cahuzac, Hollande… Comme un air de 2012. Visiblement, en ces temps incertains, mieux vaut ne pas insulter l'avenir. Même quand il se conjugue au passé.