Anouk Aimée, immense actrice française, est morte

En plus de soixante-dix ans de carrière, elle a tourné dans 74 films et séries et reçu de prestigieuses récompenses. Elle est morte, mardi, à l’âge de 92 ans, a annoncé sa fille.

anouk aimée, immense actrice française, est morte

Anouk Aimée le 2 mai 1984, sur un plateau de télévision.

Anouk Aimée n’aimait pas qu’on parle de son âge. Rencontrée en 2012, à l’occasion de la ressortie en salles de Lola, de Jacques Demy, elle avait inauguré l’entretien d’une requête : « Je vous en prie, ne parlons pas de mon âge. Cela n’intéresse personne. » Ce qui était troublant c’est que, disant cela, elle avait exactement la même voix que Lola cinquante et un ans plus tôt. Aussi était-il si charmant de l’entendre dire au présent « Lola, c’est moi », comme si le temps n’avait en effet pas eu d’importance. C’était une coquetterie, sans doute, que ce présent sans âge, et la coquetterie cependant en disait long sur la dame, et la manière qu’elle avait eu de mener sa barque sans grand souci des embruns, de l’opinion ou d’une carrière, avant de s’éteindre, mardi 18 juin, à l’âge de 92 ans. « Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer le départ de ma maman Anouk Aimée », a écrit sa fille, l’actrice Manuel Papatakis, dans un message publié sur Instagram. « J’étais tout auprès d’elle lorsqu’elle s’est éteinte ce matin, chez elle, à Paris ».

Elle avait commencé très tôt, et n’avait plus voulu s’interrompre, à sept ans près : le temps d’une parenthèse londonienne et conjugale à la fin des années 1960, auprès de l’acteur Albert Finney pour lequel elle avait souhaité ne plus jouer qu’un rôle, celui d’épouse, dans la vraie vie.

Née Françoise Dreyfus, le 27 avril 1932, à Paris, Anouk Aimée était fille de comédiens, mais disait ne rien avoir de l’« enfant de la balle ». Elle avait poussé comme une fleur sauvage loin des projecteurs, élevée en partie par un parrain et une marraine, à la ferme. Elle n’avait eu d’abord pour le cinéma qu’un intérêt si distant qu’il existait à peine. Il avait fallu que le destin lui force la main, en la mettant sur le chemin du réalisateur Henri Calef, qui lui demande abruptement si elle ne voudrait pas faire du cinéma. Elle n’avait jamais vraiment su d’où était venu ce oui qui lui avait éclos sur les lèvres.

Pour ce premier film, La Maison sous la mer (1946), Françoise a 13 ans, et son personnage s’appelle Anouk. Le prénom d’artiste trouvé avec ce premier pas, reste le nom : Jacques Prévert le lui offre. L’histoire est connue. Ils se rencontrent l’année suivante sur le tournage d’un film de Marcel Carné, La Fleur de l’âge, où elle joue avec Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol. Le film reste inachevé : on en aurait monté une vingtaine de minutes et tourné la moitié, avant que la production n’arrête les frais. En reste les photographies de plateau d’Emile Savitry d’une Anouk ravissante et alors très en joues, et ce nom : « Aimée », « parce que tout le monde l’aimait », selon Prévert. On ne refuse pas semblable baptême.

Principe vital

Pendant la guerre, Françoise avait déjà cessé de s’appeler Dreyfus pour devenir Françoise Durand et esquiver l’étoile jaune. « Anouk Aimée », ce n’était plus une question de survie, mais cela obéissait encore à un principe vital : changer de nom pour s’inventer soi, sans qu’il s’agisse de devenir autre. « Je n’ai jamais fait de totale composition. Il y a toujours un morceau de moi dans mes rôles », disait-elle. L’un d’eux, tout de même, manqua de lui faire oublier Anouk au profit d’un autre prénom, Lola, celui de l’héroïne du film de Jacques Demy. « Je ne sais plus où commence Anouk et où commence Lola, où finit Lola et où finit Anouk », disait-elle toujours, cinquante ans après.

Sorti l’année suivant La Dolce vita, Lola (1961) avait autant sinon plus que le film de Fellini participé à l’avènement cinématographique d’Anouk Aimée, si singulier dans sa nonchalance. Quand La Dolce Vita s’enivrait à capter la silhouette, les angles du visage qui avait perdu ses joues d’adolescente, une main aux longs doigts courbés sur une cigarette, Lola célébrait la naissance à l’écran d’un corps, de ceux que le cinéma n’oublierait jamais plus : une entraîneuse en guêpière et collants résille, aussi épargnée par la vulgarité que la Vénus nue dans sa chevelure de Botticelli. Impossible à concevoir, et pourtant Demy l’avait fait. Anouk Aimée avait simplement fait confiance, et n’essayait pas d’expliquer le miracle. Elle observait seulement : « Il y a des gens qui peuvent tout faire. Des femmes qui disent “Oh merde, vous me faites chier”. Certaines choquent, d’autres pas. Lola peut le faire sans choquer, être grossière sans qu’on le remarque, parce qu’il n’y a en elle aucune vulgarité. »

Etat de grâce

Après Demy, Anouk Aimée semblait porter un morceau de Lola dans tous ses autres rôles, ce morceau-là : une sorte d’état de grâce, qui lui permettait de tout faire et tout jouer, sans jamais être touchée par la crasse ou la médiocrité. Non qu’elle ait jamais eu à cœur de tenter le diable, mais qu’elle ait presque toujours joué les élégantes, ou qu’elle ait fait des élégantes de toutes celles qu’elle jouait, c’était encore et toujours l’élégance, même – c’est loin d’être donné à toutes – chez Jean-Pierre Mocky (Les Dragueurs, premier film du cinéaste, sorti en 1959).

Très vite, sa carrière prend un essor international. A 17 ans, elle joue aux côtés de Trevor Howard dans La Salamandre d’or (1949), du Britannique Ronald Neame, producteur des premiers films de David Lean. En 1955 et 1956, on peut la voir dans deux films allemands, L’amour ne meurt jamais, d’O.W. Fischer, et Nina, de Rudolf Jugert. En 1959, elle tient un petit rôle dans Le Voyage, film américain d’Anatole Litvak qui avait six ans plus tôt, pour Un acte d’amour, fait jouer la toute jeune Brigitte Bardot, de deux ans la cadette d’Anouk Aimée.

Catherine Deneuve, 16 ans, attend alors son heure : la blonde Bardot, la brune Aimée, incarnent à l’étranger les deux visages de la beauté à la française, qu’on ne saurait imaginer plus différents. D’un côté, la baby doll en bikini, la tignasse ensauvagée nourrie de soleil, les courbes. De l’autre, le halo mystérieux d’une chevelure sombre, la peau d’albâtre, la ligne, avec ce seul et étonnant trait hollywoodien des paupières lourdes sous le grand trait de noir, à la Monroe.

Justesse de jeu

Si l’aura internationale de Bardot doit assez peu à ses rares collaborations cinématographiques hors de France, Anouk Aimée rayonne plus durablement sur les écrans du monde entier, où elle trouve quelques grands rôles. Moins, sans doute, que ceux que son absolue justesse de jeu, sa maîtrise si fine de l’émotion contenue, méritaient. Citons, sans surprise, Fellini : la grande bourgeoise épuisée par l’ennui de La Dolce Vita, l’épouse trompée et souriante de Huit et demi. Plus tard, Bellocchio, pour lequel elle interprète la dépressive Marta habitée de vertiges, qui lui vaut en 1980 le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour Le Saut dans le vide.

Les Etats-Unis lui font également la cour, affichant des attraits et des atours plus inattendus (en 1962, elle joue une reine de péplum pour Robert Aldrich et Sergio Leone dans Sodome et Gomorrhe) ou directement inspirés par son aura d’icône de mode, lorsqu’elle interprète un mannequin dans Le Rendez-Vous, de Sidney Lumet, en 1969. Elle a 37 ans à la sortie de ce film, et le personnage résume bien son statut singulier dans le paysage cinématographique : la mystérieuse Carla, officiellement modèle, y est soupçonnée par ses fiancé ou mari jaloux de se prostituer.

L’intouchable

D’un côté, l’icône, l’intouchable, celle qui semble n’exister que sur le papier glacé des revues élégantes. De l’autre, le corps public, achetable, disposable. Deux fantasmes contradictoires, ou peut-être complémentaires, qui continuent de dessiner de conserve l’image d’Epinal que l’on se fait souvent de la belle Française en l’Amérique.

Bardot était déjà « la » femme dans Et Dieu… créa la femme (1956), lorsque dix ans plus tard Anouk Aimée devint « une » femme pour Claude Lelouch, dans Un homme et une femme (1966) : une femme, n’importe quelle femme (l’inconnue que croise Lelouch sur une plage, et qui lui inspire le film), et finalement celle que l’on n’oubliera jamais plus – dans la romance que le film raconte, et depuis son fauteuil de spectateur enchanté.

Anne Gauthier (son nom n’importe guère), technicienne de cinéma, héroïne de la plus simple histoire et de l’un des plus beaux films d’amour du monde. Il gagne les cœurs dans le monde entier, amasse les récompenses, l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, le Golden Globe de la meilleure actrice pour Anouk Aimée. Ce récit en forme d’hymne à l’amour, qui était pourtant destiné à Romy Schneider, semble taillé sur mesure pour la grande amoureuse qu’Anouk Aimée est alors et sera.

Elle s’est mariée trois fois, avec le cinéaste grec Nico Papatakis à 19 ans, le musicien Pierre Barouh, rencontré sur le tournage d’Un homme et une femme dont il était l’auteur et interprète de la célèbre ritournelle en dabadabada, l’acteur anglais Albert Finney. Vécut avec Elie Chouraqui, eut une liaison avec Omar Sharif, son partenaire dans Le Rendez-Vous – autant de pages de sa vie qu’elle aura constamment gardées sous un voile de mystère, bien qu’elle ne se soit jamais interdit d’en parler.

L’évocation la plus éloquente qu’elle a pu en faire n’employait pas ses mots, mais ceux du dramaturge américain Albert Ramsdell Gurney, dont elle, qui n’était pas une habituée des planches, a joué inlassablement au théâtre, entre 1990 et 2014, les Love Letters, avec Bruno Cremer, puis Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber, Alain Delon, Gérard Depardieu…

Femme-mystère

Anouk Aimée aimait parler, mais elle méprisait les mots qui dévoilent, déchiffrent, déflorent. Elle n’était pas femme à donner des recettes. Interrogée sur le succès immense d’Un homme et une femme, dont on lui demandait si elle l’avait pressenti, elle répondait à 80 ans, avec une candeur adolescente : « On ne sait jamais ces choses-là, mais on est heureux. C’est un bon signe, je crois. »

En cette occasion, comme elle l’avait toujours fait, elle avançait dans l’interview à rebours de toute analyse ou exégèse, qui ne semblaient pas revêtir à ses yeux le moindre attrait. Le ragot en avait moins encore, pas plus pourtant, sur l’autre face de la pièce, que le politiquement correct ou la langue de bois. Seulement, elle répondait à chaque question par une formule qui avait la forme grammaticale d’une réponse, et dans ce qu’elle disait triplait, malicieusement parfois, les points d’interrogation.

Etait-ce le signe d’un goût pour ce rôle vrai de femme mystère, « une » femme, qui pourrait être n’importe quelle femme et reste pourtant la femme que l’on n’oublie pas ? Plus simplement, au-delà de tout rôle, un goût du secret, et de toutes ces choses d’autant plus belles qu’on ne les explique pas ? Peut-être, plus simplement encore, le secret de cette élégance inégalée et pérenne, qui faisait d’elle une présence si singulière, paisible dans son naturel, et trouvant cependant dans sa transparence même l’impossible matière de son mystère.

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