L'expulsion des Allemands d'Europe de l'Est, l'épuration ethnique oubliée de l'après-guerre

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que le Troisième Reich dépose les armes, des millions d'individus germanophones sont encore éparpillés en Europe orientale. Certains sont des expatriés de longue date qui s'étaient installés dans la région de la mer Noire et le long de la Volga. D'autres sont des immigrés plus récents ayant élu domicile dans les territoires annexés par le Reich. D'autres, enfin, sont des réfugiés ayant quitté une Allemagne exsangue vers la fin du conflit, craignant autant les bombardiers alliés que les violeurs de l'Armée rouge –lesquels ont mutilé près de deux millions d'Allemandes.

Ces Volksdeutsche («Allemands du peuple») sont près de vingt millions, répartis entre la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Prusse-Orientale (actuelles Pologne, Lituanie et Russie, oblast de Kaliningrad). Mais lorsque le conflit s'achève et que vient l'heure du bilan, les autorités alliées se retrouvent face à une question épineuse: que faire d'eux? La majorité des réfugiés sont des femmes et des enfants de moins de 16 ans.

Le brassage culturel ne semble pas compatible avec l'apaisement, d'autant plus que les populations revanchardes pourraient bien vouloir se retourner contre leurs anciens bourreaux… «L'expulsion est la méthode qui […] sera la plus satisfaisante et la plus durable, estime le Premier ministre britannique Winston Churchill, assis à la table des vainqueurs, en 1945. Il n'y aura pas de mélange de populations susceptible de causer des troubles sans fin. Un grand balayage sera fait.»

Le grand nettoyage

C'est ainsi que les rouages de l'épuration ethnique se mettent en place. Sont ciblés tous les citoyens germanophones installés à l'est du Rhin, même ceux qui sont expatriés depuis des générations. Certains avaient déjà été placés, au préalable, dans des camps d'internement –et même dans d'anciens camps de concentration recyclés par les Alliés– en vue de leur déportation future. Comme l'affirmait Joseph Staline, «le problème des nationalités est un problème de transport»… Le projet des Alliés est simple: rapatrier les Volksdeutsche, c'est-à-dire l'ethnie allemande, en Allemagne et en Autriche, afin de décourager toute prétention impérialiste à l'avenir. Dans le lot, des milliers d'Ukrainiens, de Polonais et même des survivants de l'Holocauste sont embarqués dans un voyage sans retour.

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Ancien camp de réfugiés à Eckernförde (Schleswig-Holstein, nord de l'Allemagne), en 1951. | Auteur inconnu / Archives fédérales allemandes
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Le transfert des populations germanophones était déjà à l'étude en mai 1944, à l'initiative du Comité interministériel britannique sur le transfert des populations allemandes. Ce dernier estimait le nombre des civils à déporter à hauteur de 10 millions d'individus et soulevait déjà les difficultés néfastes d'une telle entreprise. «On peut affirmer sans exagérer que, joint à la désorganisation causée par la défaite, aux dévastations liées à la guerre et aux exigences des Nations unies, le poids supplémentaire que les transferts imposeront à l'Allemagne risque de créer un problème économique qui pourrait s'avérer insoluble et entraîner l'effondrement complet du pays», alertait à l'époque le Comité.

Mais ses avertissements resteront lettre morte. Les migrations de population sont entérinées par les accords de Potsdam, signés le 2 août 1945. L'article 13 des ces accords confirme «qu'il y aura lieu de procéder au transfert en Allemagne des populations allemandes restant en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie»; des transferts qui, selon le même texte, «devront être effectués de façon ordonnée et humaine».

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Carte des déplacements de populations, déportations et génocides en Europe centrale et orientale après la Seconde Guerre mondiale. | Domaine public
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Chronique d'un échec annoncé

Mais est-ce seulement possible? L'Allemagne est ruinée. Son économie est minée par l'hyperinflation et son produit intérieur brut (PIB) est de retour à son niveau de 1880. Les grandes industries ont été assommées par la guerre. Les denrées agricoles, venues de l'Est, sont désormais jalousement gardées par les Soviétiques: les ménages allemands consomment moins de 1.000 calories par jour au lendemain de la guerre.

Par ailleurs, le pays est un champ de ruines à ciel ouvert. Hambourg, Dresde, Mayence, autrefois des métropoles florissantes, ne sont plus que des silhouettes squelettiques. Les constructeurs allemands bâtissent en moyenne 300.000 maisons individuelles par an. À ce rythme, il leur faudrait plus de trente ans pour loger les sans-abri venus de l'Est.

Tous les faits vont dans ce sens: le transfert des populations allemandes est voué à l'échec. Et pourtant, il a déjà commencé. Dans les territoires d'Europe de l'Est où la répression nazie fut la plus violente, des expulsions spontanées, dites «sauvages», ont déjà lieu. En Tchécoslovaquie, la citoyenneté des ressortissants allemands est annulée, leurs terres confisquées. Pire: la violence germanophobe déferle dans les rues. À Prague, témoignera un contemporain, «une vieille femme fut défenestrée; un musicien appartenant à un orchestre allemand en tournée fut rué de coups et tué dans la rue parce qu'il ne parlait pas le tchèque; d'autres, qui n'étaient pas tous membres de la Gestapo, furent pendus, arrosés d'essence et enflammés comme des torches vivantes».

Les germanophones qui ont la chance d'échapper aux pogroms sont jetés sur les routes et condamnés à l'exil. Certains sont tirés de pensions, d'hôpitaux ou d'orphelinats. Accusées de servir «de cinquième colonne à Hitler», des milliers de familles déracinées vont alors succomber à la malnutrition, aux épidémies (typhus, dysenterie), au froid ou aux périls de la route. De nombreux cadavres, abandonnés dans les fossés, jalonnent le sillage de ces convois faméliques.

Même s'ils n'ont pas tenu d'armes en 1939-1945, les expulsés sont rendus responsables des horreurs de la Seconde Guerre mondiale au nom d'une «culpabilité collective» (Kollektivschuld)… Comme si le souvenir de la Shoah ou des rafles meurtrières résonnait chaque fois qu'une femme ou qu'en enfant parlait la langue de Goethe.

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Réfugiés de Prusse-Orientale (actuelles Pologne, Lituanie et Russie, oblast de Kaliningrad) sur des charrettes tirées par des chevaux, en 1945. Chariot renversé au premier plan, ruines d'un bâtiment détruit en arrière-plan. | Auteur inconnu / Archives fédérales allemandes
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Des échos de l'Holocauste

Partout en Europe orientale et centrale, s'organisent de véritables marches de la mort, proches de celles qui ont dépeuplé les camps de concentration. Étonnamment, les similarités abondent avec le système nazi. En Tchécoslovaquie, celles et ceux accusés de complicité avec le régime doivent porter un signe distinctif, un carré blanc frappé d'un N, sur la poitrine… Difficile de ne pas y voir une déclinaison locale de l'étoile jaune.

Le souvenir de la Shoah est également ravivé par de nouveaux convois de la mort. Des wagons à bestiaux rapatrient les expulsés allemands jusqu'à Berlin dans des conditions sanitaires terribles. Le médecin britannique Adrien Kanaar, qui s'affaire dans un hôpital de la capitale allemande et récolte chaque jour de nouvelles victimes tirées des trains fantômes, écrit qu'il n'a pas «passé six ans dans l'armée pour voir s'établir une tyrannie aussi épouvantable que celle des nazis».

Le diplomate Robert Murphy, délégué américain à la conférence de Potsdam, ajoute: «En voyant la détresse et le désespoir de ces misérables, en sentant l'odeur de leur crasse, l'esprit est aussitôt ramené à Dachau et à Buchenwald. La vengeance prend ici des proportions colossales, pourtant elle ne s'exerce pas sur les Parteibonzen [«les gros bonnets du parti», ndlr], mais sur les femmes et les enfants, sur les pauvres, les infirmes.»

Celles et ceux qui survivent à la brutalité des foules et aux périls de l'exode ne sont pas pour autant tirés d'affaire. Contraints de se loger dans des grottes, des gymnases, des granges ou des baraquements de fortune, forcés de se nourrir au marché noir s'ils ne veulent pas mourir de faim, ils restent longtemps marqués par cette injustice… Accueillis comme des pestiférés en Bavière, ces expulsés en haillons font face au mépris des locaux qui parlent d'une «invasion de sauterelles». Au bout du voyage, finalement, ce n'est pas une patrie qui les attend en Allemagne, mais la menace du travail forcé qui les force à payer les réparations de guerre au nom du Troisième Reich. Autant de destins brisés oubliés par l'histoire…

Même si les statistiques sont difficiles à compiler, les historiens estiment qu'entre 12 et 14 millions d'Allemands «ethniques» ont été expulsés d'Europe centrale et orientale à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Ces épisodes, qu'ils aient été spontanés ou coordonnés par les autorités alliées, se seraient soldés par 500.000 à 2 millions de morts. Ce qui en fait à la fois la plus vaste migration de l'histoire humaine et aussi la plus meurtrière.

Fin 1947, alors que le transfert des populations allemandes ralentit considérablement, le gouvernement allié installé à Berlin-Ouest est chargé de tirer les conclusions de cet épisode. «Nous recommandons au Conseil de contrôle de se déclarer à l'avenir opposé à tout transfert de population imposé, en particulier au déplacement forcé de personnes loin des lieux qu'elles habitent depuis des générations», conclut-il. Un peu tard.

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