"Il n'y a qu'en France où on a cette obsession du pouvoir d'achat"

Election après élection, mouvement social après mouvement social... Voilà bientôt deux décennies que la question du pouvoir d'achat est l'obsession nationale. Dans cette campagne des législatives, cette préoccupation bat même tous les records. Le thème du pouvoir d'achat est cité en premier par 58% des Français selon un sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, très loin devant la sécurité (36%), l'immigration (33%) ou même la retraite (18%).

Logique après plus de deux ans d'inflation où les Français ont vécu au rythme des flambées du pétrole et des hausses en rayon.

Après le chômage dans les années 90, ou l'insécurité du début des années 2000, le pouvoir d'achat est donc le problème majeur que doivent résoudre les politiques pour espérer convaincre les électeurs.

Mais s'il n'y avait pas de solution ou de réponse susceptible de satisfaire les Français? C'est la question que pose Benoît Heilbrunn, professeur de marketing et philosophe à l'ESCP qui vient de publier un brillant essai "Ce que nous cache le mythe du pouvoir d'achat" (Editions de l'Aube). Car si le problème du chômage par exemple se règle en créant des emplois, comment satisfaire l'attente en matière de pouvoir d'achat alors que selon l'auteur "le désir d'achat a remplacé le besoin d'achat" depuis plus de 50 ans?

Ainsi, selon l'Insee, le pouvoir d'achat a augmenté en France de 8% ces 10 dernières années et même de 14% sur 20 ans. L'auteur propose pour BFM Business d'analyser l'émergence d'un phénomène qui est au croisement de l'économie, de la psychologie et de la politique.

• BFM Business: Les Français ont-ils une bonne appréciation de leur pouvoir d’achat et des prix en général?

Benoît Heilbrunn: Toutes les enquêtes montrent clairement que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les Français ne connaissent pas le prix de ce qu’ils achètent (sauf évidemment pour les achats récurrents comme le café au bar ou le paquet de cigarettes). La plupart sont incapables en sortie de caisse de donner avec précision le prix des produits qu’ils viennent d’acheter. Ils sont par conséquence incapables d’évaluer l’inflation qui dépend d’une bonne connaissance des prix. Le pouvoir d’achat est donc une donnée psychologique facilement manipulable par les politiques et les acteurs du monde marchand. Par ailleurs, il existe un décalage croissant entre la perception et la réalité. Même si on peut contester les mesures du pouvoir d’achat faites par l’Insee, le décalage est flagrant.

À de rares exceptions près le pouvoir d’achat ne cesse de croître depuis 1945 de l’ordre de 1% par an en moyenne. De la même façon, la part de l’énergie -dont on fait grand cas dans les médias- est relativement stable depuis 30 ans, se situant autour de 9% du budget des ménages, alors que la part du logement a très largement cru sur cette période. La question du pouvoir d’achat est donc essentiellement psychologique et symbolique. C’est un outil de propagande utilisé à loisir par les acteurs du monde marchand et politique qui jouent alternativement sur la peur et sur la réassurance. C’est d’ailleurs le seul point discursif commun de l’ensemble des listes présentes lors des élections législatives.

• Pourquoi cette question a pris une place aussi prépondérante ces dernières décennies dans le débat public ?

B.H.: Il faut d’abord rappeler que le pouvoir d’achat fait partie des exceptions culturelles. Il n’y a qu’en France que cette notion irrigue le débat social et politique. Même dans les pays nordiques rompus à la culture protestante et très sensibles à la question du juste prix, le pouvoir d’achat n’apparaît pas dans le discours public.

Il y a plusieurs facteurs explicatifs. En gros, il devient un sujet central des discussions en fonction de la conjoncture économique, c’est-à dire quand la société se perçoit comme étant en situation de crise économique.

En regardant l’occurrence du terme dans la presse, on peut observer un premier pic à la fin des années 1920 du fait de la crise de 1929, puis à partir de 1973 suite au premier choc pétrolier et enfin, depuis quelques années du fait que l’on nous parle de crise à longueur de journée.

La résurgence cyclique de cette expression est alimentée médiatiquement par des peurs et des fantasmes comme celui du déclassement. À cela s’ajoutent deux événements majeurs: d’une part la désindexation des salaires en 1983 suite au blocage des prix et des salaires. Elle alimente chez les salariés une crainte sur la hausse du coût de la vie. D'autre part, je pense que l’idéologie du pouvoir d’achat a été très largement renforcée par la loi de modernisation de l'économie de 2009 autorisant de fait les distributeurs à déduire de leur prix de vente les marges arrière et légitimant de fait la vente à perte (abrogée dans d’autres pays comme l’Angleterre).

La rhétorique des enseignes s’est depuis lors structurée autour de la question du prix dans un pays où les grandes surfaces sont archi-dominantes (hyper et super représentent plus de 70% de la grande distribution). Ce sont d’ailleurs E.Leclerc et Intermarché qui ont le plus profité de la panique autour du pouvoir d’achat entretenue de concert par le monde marchand et politique, c’est-dire des enseignes qui ont fait du combat contre la hausse des prix leur cheval de bataille.

De la sorte, ces acteurs orientent le discours social sur la question du prix bas, de la promotion et de la bonne affaire en positionnant le consommateur comme une victime du système marchand, ce que ne peut qu’enrichir la violence des relations marchandes et une défiance à l’égard des acteurs notamment industriels.

• Quand naît cette notion de pouvoir d’achat?

B.H.: En fait, elle ne nait pas vraiment. Elle fait partie des ces notions vagues, si ce n’est gélatineuses, qui irriguent le discours social sans que personne ne sache de quoi il retourne. C’est en fait Adam Smith qui introduit cette notion dans son Enquête sur la nature et les causes de la Richesse des Nations parue en 1776. Elle est donc au cœur de la naissance de l’économie politique. À ceci près qu’Adam Smith ne l’aborde pas sous l’angle du prix des marchandises, mais sous l’angle du travail.

Selon lui, la richesse ne dépend pas de l’accumulation de biens matériels, mais du pouvoir que l’on peut exercer sur le travail d’autrui, ce qu’il appelle justement la valeur travail, une notion qui sera largement reprise par Marx. Le pouvoir d’achat signifie la capacité de commander le travail d’autrui pour se procurer les commodités et agréments de la vie. On comprend dès lors que l’avènement de cette notion est concomitant d’une idéologie qui se met en branle à l’époque et que j’ai appelé la tyrannie du bien-être, à savoir que le recherche du confort matériel, social et psychologique devient une obsession qui oriente la plupart de nos désirs et actions.

• Vous dites que pouvoir d’achat est un "vouloir d’achat" qui ne peut dans les faits jamais être assouvi, pourquoi?

B.H.: Il faut bien comprendre la nature addictive du pouvoir et donc le cercle vicieux du pouvoir d’achat. Le pouvoir est cumulatif en ce sens qu’il appelle toujours plus de pouvoir. Le désir de pouvoir est un abîme sans fin. Et c’est bien ce mécanisme qui structure la société de consommation. Quand la notion de société de consommation apparaît à la fin des années 1960, on s’aperçoit que le terme de " besoins " disparaît peu à peu du discours et qu’il est petit à petit remplacé par celui de "désir ". Or le, propre d’un désir est de ne pouvoir être assouvi, d’où cette course sans fin qui explique bien évidemment les pratiques de surconsommation que nous devons désormais enrayer pour des raisons environnementales, mais aussi pour des raisons psychologiques, dans la mesure où l’accumulation de possessions et de richesse ne nous rend pas plus heureux.

• Quel rôle joue la grande distribution dans cette confrontation politique autour du pouvoir d’achat?

B.H.: Son rôle est déterminant, car il lui permet de confisquer le débat politique sur la consommation en l’emmenant sur le terrain du prix. Ce rôle est renforcé par la surprésence médiatique de certains patrons d’enseigne qui étouffent de fait tout débat sur une nécessaire politique de la consommation, en la réduisant à la question d’un pouvoir du consommateur qui est en fait factice parce que ce prétendu pouvoir d’achat ne signifie absolument rien si ce n’est du bluff !

• Le citoyen consommateur appréhende-t-il la scène politique comme une grande surface et les offres des partis comme des produits dont il change au gré de ses désirs en fonction de ceux qui lui proposeront le plus de satisfaction?

B.H.: C’est exactement ce qui se passe, à ceci près que la personne qui achète n’endosse pas forcément le rôle de citoyen. La rhétorique du prix bas entretient un mécanisme qui est la quête de la bonne affaire, du prix bas, ce que l’on appelle en économie la recherche de l’effet d’aubaine.

Autrement dit l’individu gère ses achats en essayant d’optimiser son utilité en fonction de ressources qu’il estime de plus en plus limitées. Cette lecture microéconomique qui fonde la figure de l’homo economicus, très souvent décriée, est à mon sens le seul véritable apport de l’économie pour comprendre les mécanismes d’achat. Cette logique renforce la dimension égoïste de l’acheteur comme l’avait déjà montré Adam Smith et alimente bien évidemment un mécanisme d’atomisation de la société contre lequel nous devons lutter en faisant de la consommation un enjeu de délibérations et de lutte collective. La rhétorique du pouvoir d’achat nous anesthésie, elle, en nous refermant sur un petit moi arrimé à sa bulle de confort.

• Quelle place pour l’intérêt général dans une société atomisée ou chaque individu ne cherche qu’à améliorer son pouvoir d’achat?

B.H.: La focalisation du discours social sur le pouvoir d’achat trahit justement la résurgence de la notion de consommateur, figure inventée par le marketing pour décrire un individu qui, contrairement au client, n’a pas d’attache et aucun lien de loyauté présumé à l’égard d’un fournisseur.

Il agit en privilégiant son intérêt particulier sur l’intérêt général. C’est donc la résurgence d’un paradoxe qu’avait très bien mis en évidence Adam Smith, à savoir que l’être humain conjugue en permanence une sympathie naturelle à l’égard de ses semblables et se soucie de leur bien-être, tout en étant résolument égoïste et en essayant d’abord de privilégier son propre confort.

Ce n’est pas un hasard si le contre poids idéologique et culturel que nous avons produit pour contrer cet égoïsme maximisateur n’est autre que la responsabilité individuelle qui permet d’entacher de culpabilité nos actes d’achat. En un sens, la rhétorique du pouvoir d’achat oblitère la souveraineté du citoyen qui consomme en déplaçant la focale vers l’intérêt particulier, alors qu’il s’agit justement de repenser l’intérêt général.

Ce qui veut dire qu’il importe de favoriser une démocratie plus délibérative nous permettant de poser collectivement la question des communs, des biens nécessaires pour assurer à chacun vie décente, des dépenses d’infrastructures nécessaires pour vivre mieux, bref de tout ce qui manque, à droite comme à gauche dans les propositions des partis politiques, obsédés qu’ils sont tous par la baudruche du pouvoir d’achat.

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