ENTRETIEN. Audiovisuel public privatisé ? « Je crois plutôt à une purge », estime ce spécialiste
Alexis Lévrier, historien et chroniqueur, spécialiste de l’histoire des médias.
C’est l’un des axes de campagne du RN : privatiser l’audiovisuel public pour faire des économies et museler des radios et télés jugées trop à gauche. Historien des médias, Alexis Lévrier ne croit pas à cette option. Il pense surtout à une purge pour transformer ces médias en outil de propagande.
Pour Alexis Lévrier, historien et spécialiste des médias, il paraît illusoire d’imaginer une privatisation de l’audiovisuel public. Il estime qu’une refonte globale est probable, accompagnée d’une politique massive de licenciements pour mettre en place des personnes favorables au pouvoir en place. Un peu à l’image de ce qu’avait fait François Mitterrand en 1981.
Privatiser l’audiovisuel public, est-ce un projet réaliste ? Ou la vengeance d’un parti, le RN, qui s’est toujours jugé ostracisé ?
C’est évidemment un projet idéologique. Cela fait des années que l’extrême droite tape sur l’audiovisuel public l’estimant de gauche et hostile à leur égard. De la même façon qu’il fustige une bonne partie des autres médias, sauf ceux de Bolloré bien sûr. Reste que l’économie annoncée de 3 milliards d’euros me paraît clairement surestimée. On voit d’ailleurs que leurs annonces fluctuent sur le sujet en termes de calendrier et d’ampleur de la privatisation.
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N’est-ce pas paradoxal quand on arrive au pouvoir de privatiser ces médias publics ?
Si, bien sûr. Quand on regarde ce qu’il s’est passé en Hongrie et en Italie, les médias publics ont été conservés. Plus généralement, si l’on regarde l’histoire de nos sociétés : quand on veut mettre en place un régime fort, on a plutôt intérêt à contrôler ces médias plutôt que de les privatiser. Cela s’est démontré dès l’arrivée des premiers journaux au XVIIe siècle. Le RN a tout intérêt à s’en servir pour les transformer en outil de propagande.
Privatiser, cela veut dire aussi multiplier les acteurs dans un marché publicitaire déjà contraint…
Je pense en effet que les autres médias et notamment les chaînes de télévision ne voient pas cela d’un très bon œil. Cela risquerait de les fragiliser encore plus dans une période d’incertitudes face à l’audience et aux annonceurs. Il est possible que le RN ne cède qu’une petite partie de l’audiovisuel public. Ce qui pourrait alors intéresser un Vincent Bolloré…
Alors que faire ? Licencier en masse les directeurs de chaînes et d’information, jugés hostiles au pouvoir en place ?
On reviendrait à ce qu’a longtemps été l’audiovisuel public : « La voix de la France » comme disait Georges Pompidou. En 1981, François Mitterrand a aussi fait le ménage à son arrivée. Cela s’était clairement calmé depuis. On peut donc en effet craindre une purge si le RN parvient au pouvoir. Et le retour à une forme d’ORTF au service du pouvoir en place.
Tout cela intervient à un moment où l’audiovisuel public est déjà très affaibli non ?
La redevance a été supprimée au début du quinquennat. La solution transitoire qui a été trouvée c’est de le financer avec une fraction des revenus de la TVA. Or, à partir de janvier 2025, en raison de l’évolution de la loi finance, ce système sera caduc. Il fallait donc imaginer une autre solution. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale est intervenue avant que le projet ne soit ficelé. Aujourd’hui, personne ne sait donc comment l’audiovisuel public va être financé. Ce qui peut constituer un moyen de pression pour le RN s’il veut réformer en profondeur.