A Paris, les jeunes cathos de «la génération François» se mobilisent contre l’extrême droite
L’entrée, donnant sur la rue de Ménilmontant dans le XXe arrondissement de Paris, est discrète. L’enseigne rouge indique juste «le Dorothy», et un panneau précise les horaires d’ouverture et les activités, inscrits à la craie. C’est, selon la terminologie du moment, un tiers lieu, hybridation entre un café-rencontres, un accueil social et un lieu où s’essayer à des séances d’ateliers manuels. On y propose du soutien scolaire, de l’aide administrative ou encore de l’apprentissage au jardinage. Les fauteuils sont confortables et la bière pression à deux euros. Ce jeudi 27 juin au soir, un théologien et une philosophe débattent de leurs livres respectifs : Jérôme Alexandre vient de publier, en mai, le Christianisme est un anarchisme (Textuel), qui intéresse beaucoup dans la génération de jeunes catholiques (plutôt de gauche), la médiatique Géraldine Muhlmann est l’autrice de l’Imposture du théologico-politique, paru en 2022 (éd. des Belles Lettres).
L’assistance, une quarantaine de personnes d’âges variés, prend consciencieusement des notes. Alexis Lemétais, 27 ans et coprésident du café Dorothy, introduit le débat. Ce «passionné par la politique» dit essayer «d’être fidèle à l’Evangile» dans sa vie. Nourri par sa foi religieuse, il appartient, comme il le dit, à la «génération François», ce pape dans lequel ces jeunes croyants se reconnaissent. Celle qui fréquente majoritairement le Dorothy, nourrie de l’encyclique sur l’écologie Laudato si et des principes du christianisme social.
Pétition, création d’un collectif et rassemblement œcuménique
Créé en 2017 à l’initiative d’un groupe d’étudiants de Sciences-Po, le Dorothy est devenu un point de ralliement pour des jeunes catholiques assez isolés dans une société très sécularisée. «C’est aussi le projet de faire se rencontrer diverses sensibilités», complète Pierre-Louis Choquet, un sociologue spécialisé sur la déforestation au Brésil. Plutôt rétifs jusqu’à présent à un engagement public marqué, une majorité de bénévoles du Dorothy ont franchi le pas après le choc du 9 juin et de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Le Dorothy est une hybridation entre un café-rencontres, un accueil social et un lieu où s'essayer à des séances d’ateliers manuels.
Après s’être retrouvé dès le lendemain matin de cette désastreuse soirée électorale européenne, un petit noyau a été le moteur de la principale mobilisation chrétienne contre l’extrême droite de ces dernières semaines : une pétition appelant «nos sœurs et frères à voter massivement contre le Rassemblement national», signée par plus de 10 000 personnes, un rassemblement œcuménique (unissant catholiques et protestants) dimanche 23 juin à Paris, qui a rassemblé environ 500 participants, et un collectif nommé «Justice et espérance». Un début de jonction aussi avec les organisations emblématiques de la gauche catholique telles que l’Action catholique ouvrière, la Jeunesse ouvrière chrétienne ou encore le Mouvement rural de la jeunesse chrétienne.
«L’amour du prochain, cela va être un boulot colossal»
«Le vrai danger aujourd’hui, c’est le Rassemblement national», appuie Alexis Lemétais, à quelques jours des législatives des 30 juin et 7 juillet. Pour lui comme pour les bénévoles du Dorothy, il y a une incompatibilité profonde entre le fait d’être chrétien et de voter à l’extrême droite. Selon Pierre-Louis Choquet, elle promeut une «politique racialiste», contraire à l’Evangile. Les uns et les autres regrettent le non-engagement de la hiérarchie catholique. «C’est un manque de courage», commentent-ils à propos de la déclaration du conseil permanent de la Conférence des évêques de France. Celle-ci bottait purement et simplement en touche et proposait de… prier pour la France.
Pierre-Louis Choquet, coprésident et trésorier du tiers-lieu et Alexis Lemétais, coprésident lui aussi et «passionné par la politique», portent «le projet de faire se rencontrer diverses sensibilités» dans leur établissement.
Au Dorothy, on croise des vieilles connaissances, comme le pasteur protestant Stéphane Lavignotte, un ancien journaliste devenu théologien, écologiste et figure de la gauche chrétienne hexagonale. Ce soir-là, c’est lui qui arbitre le débat entre Jérôme Alexandre et Géraldine Muhlmann. L’activiste spirituel se réjouit de l’engagement de ces jeunes et voit un tournant dans leur mobilisation actuelle contre l’extrême droite. «C’est une forme de politisation progressive», explique-t-il. Jusqu’à présent, cette génération était essentiellement mobilisée sur les questions environnementales.
Pour beaucoup, l’étiquette «catho de gauche» demeure pourtant irrecevable. Même s’ils se démarquent radicalement du catholicisme identitaire qui a le vent en poupe depuis une dizaine d’années en France, ils sont cependant en désaccord avec certains débats sociétaux, tels que ceux qui touchent à la fin de vie. Le pasteur Lavignotte, lui, a visiblement trouvé les mots spirituels pour leur parler. «Face à la haine, il y a la force de l’amour, dit-il. Vu ce qui s’annonce, l’amour du prochain, cela va être un boulot colossal.»