En Inde, le BJP du Premier ministre Narendra Modi s’achemine vers une victoire en demi-teinte
Au total, 642 millions d’Indiens ont pris part à «la plus grande élection du monde», qui s’est clôturée samedi 1er juin sous une chaleur accablante, et après six semaines de scrutin.
La vague safran attendue n’a pas eu lieu. Le parti nationaliste hindou du Bharatiya Janta Party (BJP), au pouvoir, a remporté les élections législatives, mais en sort grandement affaibli. Selon les résultats provisoires, la formation du Premier ministre Narendra Modi a perdu la majorité absolue dont elle jouissait depuis dix ans, et devra s’appuyer sur plusieurs partis régionaux pour gouverner. Narendra Modi, 73 ans, devrait se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat, devenant ainsi l’un des trois premiers ministres indiens à servir aussi longtemps. Mais il est loin d’obtenir les 370 sièges qu’il avait réclamés aux électeurs, ni les 303 députés de la chambre sortante. Selon les résultats provisoires, le BJP devrait obtenir environ 244 sièges.
«C’est un vrai désaveu pour Narendra Modi, réagit Gilles Verniers, chercheur en sciences politiques au Center for Policy Research, à New Delhi. Toute la campagne a été menée en son nom, et il doit donc prendre la responsabilité de cette contre-performance.» La vraie surprise a eu lieu dans le nord hindiphone du pays, allant du Rajasthan au Bihar, qui est une forteresse du BJP depuis plus d’une décennie. Celle-ci a été percée par l’opposition à plusieurs endroits, et particulièrement dans les zones rurales de l’Uttar Pradesh, plus pauvres et frappées par le chômage et les inégalités croissantes dans le pays. «Cela révèle l’ampleur du mécontentement», poursuit Gilles Verniers.
Relents islamophobes
Le BJP a pourtant tout fait pour galvaniser cet électorat hindou du nord du pays, et capitaliser sur la construction d’un temple de Ram, très attendu dans cette région et inauguré en janvier par le Premier ministre. Pour marteler ce thème religieux, Narendra Modi – qui a aussi été réélu ce mardi comme député de la circonscription de Varanasi, selon la commission électorale – a mené une campagne aux relents islamophobes : lors de plusieurs meetings électoraux, il a cherché à effrayer sa base, en prétendant que, si l’opposition gagnait, l’or des hindous allait être volé par les «infiltrés» et «ceux qui font beaucoup d’enfants», des termes souvent utilisés par le BJP pour désigner la minorité musulmane. Son parti a poursuivi dans la même ligne, en diffusant sur les réseaux des dessins animés nauséabonds, qui montraient le chef de file du Congrès, Rahul Gandhi, comploter avec les musulmans pour retirer tous les avantages sociaux des hindous de basse caste, en les jetant littéralement à la mer.
La commission des élections a été saisie par l’opposition et des milliers de citoyens, qui demandaient de sanctionner ces propos d’apparence interdits par le Code pénal et le code électoral. Mais ses membres ont simplement rappelé le chef du BJP à sa «responsabilité», et refusé d’émettre un quelconque blâme au Premier ministre, qui a ainsi continué sur le même ton. Deux des trois commissaires ont été nommés juste avant le scrutin par un comité composé du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et d’un député de l’opposition.
Cette clémence n’est pourtant pas évidente : en 2019, la commission des élections avait interdit de campagne, pendant plusieurs jours, plusieurs importantes figures politiques, comme le chef du gouvernement BJP de l’Uttar Pradesh, l’hindouiste Yogi Adityanath, pour des propos islamophobes.
Des incidents rares et inquiétants ont également perturbé le scrutin : dans au moins deux circonscriptions de l’Uttar Pradesh à forte concentration musulmane, des électeurs ont accusé, vidéos à l’appui, la police régionale commandée par le BJP de les empêcher de voter. Ils leur auraient retiré leurs cartes d’identité et provoqué une cohue pour entraîner l’évacuation des bureaux de vote. Les policiers impliqués ont démenti les accusations, et la commission des élections n’a pas réagi.
Retour en force
Cette baisse de popularité du BJP bénéficie principalement au parti du Congrès, qui connaît une sorte de renaissance après dix ans de déconfiture. Le parti historique des Nehru-Gandhi, sans inspiration ni leadership mobilisateur depuis une décennie, double le nombre de ses députés, pour obtenir environ cent sièges. Après des débuts difficiles, l’opposition a réussi à s’allier dans une grande coalition, appelée INDIA, et à se répartir une partie des sièges pour éviter la division de l’opposition. Une stratégie cruciale en Uttar Pradesh, où l’allié du Congrès, le Samajwady Party (parti socialiste) a raflé près de la moitié des sièges régionaux.
Cette remontée de l’opposition est remarquable, considérant à quel point les agences fédérales, dirigées par le BJP, ont mis la pression sur ces partis : le Congrès a subi un redressement fiscal monumental, qui a gelé une partie de ses comptes au début de la campagne, alors que le pilier de New Delhi, le parti Aam Admi (parti de l’homme ordinaire), a perdu son président, envoyé en prison le 22 mars dans une affaire supposée de corruption. Cette traque semble toutefois avoir eu un effet boomerang, car l’opposition s’est saisie de cette incarcération pour faire campagne sur la «sauvegarde de la démocratie». Et ce président de l’Aam Admi, Arvind Kejriwal, a même bénéficié de la clémence de la Cour suprême, qui l’a autorisé à sortir pendant six semaines pour faire campagne.
Ces résultats ont semé la panique à la bourse indienne : celle-ci avait connu une hausse fulgurante lundi suite à l’annonce des sondages de sortie des urnes, qui prédisaient une victoire écrasante du BJP. Ce mardi, l’indice Sensex a perdu près de 6 %, entraîné par la chute des valeurs des entreprises d’Adani (entre -19 % et -21 %), un groupe réputé proche du pouvoir et qui a bénéficié ces dernières années de nombreux contrats publics dans l’énergie ou les infrastructures.