Quel était le goût de la bière égyptienne il y a 3 000 ans ? Un brasseur amateur aurait la réponse

Photo d'illustration. Scène d'offrandes sur le temple d'Horus à Edfou (Égypte), construit entre 237 et 57 av. J.-C.

En recherchant les ingrédients exacts autrefois utilisés par les anciens Égyptiens dans leurs recettes – et en les faisant fermenter avec de la levure ancienne – un brasseur amateur offre outre-Atlantique un aperçu gustatif des bières consommées il y a plusieurs millénaires.

Alors que les tentatives de recréer les plats et boissons de civilisations aujourd'hui disparues se sont multipliées ces dernières années, un brasseur amateur américain pense s'être rapproché au plus près de l'alcool dont se délectaient les Égyptiens de l'Antiquité : en rassemblant de rares figues et des souches de levure datant de 850 av. J.-C., Dylan McDonnell a recréé une bière ambrée, concoction aigre et fruitée proche de ce que pourrait avoir dégusté Ramsès II entre ses batailles contre les Hittites. Un récit conté par le New York Times ce 24 juin 2024.

La bière, longtemps délaissée par les archéologues

Ce n'est que depuis peu que l'archéologie de la bière connaît le respect qui a longtemps été accordé à l'étude du vin, explique à nos confrères Marie Hopwood, directrice du département d'anthropologie de l'université de Vancouver Island (Canada) et spécialiste de la bière ancienne. De nombreux archéologues du XXe siècle "ont grandi en pensant que le vin était élitiste et la bière de basse classe", développe-t-elle. D'autant que le premier était associé à la civilisation gréco-romaine, la seconde, aux sociétés plus anciennes du Levant et du Proche-Orient.

Les préjugés modernes dépassés, l'étude de la bière a révélé que sous le nom de kui, son brassage avait débuté vers l'an 7000 av. J.-C. chez les anciens Chinois. Le produit eut toutefois davantage de popularité chez les Sumériens de la Mésopotamie. Dans la colonie de Godin Tepe (actuel Iran), des preuves de sa fabrication ont été confirmées entre 3500 et 3100 av. J.-C. Mais sur la base de céramiques considérées comme des restes de cruches à bière, il est probable qu'elle ait été brassée bien plus tôt à Sumer (actuel Irak), il y a environ 10 000 ans.

Avec l'intérêt croissant pour l'histoire de la bière et les méthodes de brassage traditionnelles, il y a eu ces dernières années une recrudescence d'initiatives visant à recréer ces breuvages. Notamment, de la part de brasseries en partenariat avec des historiens ou des institutions académiques. Elles s'appuient ainsi sur les précieuses informations apportées par les résidus retrouvés dans des poteries millénaires, ou les énigmatiques descriptions des textes anciens, pour reproduire les boissons de la dynastie Shang (1570 à 1045 av. J.-C.), des Zhou occidentaux (1046 à 771 av. J.-C.), des Sumériens ou encore des Irlandais du Moyen-Âge.

À la recherche de la recette de la bière antique

Via le commerce, la bière fut aussi adoptée en l'Égypte antique, où ses amateurs créèrent un produit plus léger et particulièrement populaire… que Dylan McDonnell, brasseur amateur vivant près de Salt Lake City (Utah, États-Unis), a tenté de reproduire.

Tout commence "lorsque la folie du pain au levain s'est emparée d'une nation en confinement", écrit le New York Times. Le Salispolitain voit alors quelqu'un se vanter sur les réseaux sociaux de faire du pain avec une levure égyptienne vieille de 4 500 ans… et se dit qu'il pourrait faire de même avec la bière.

Contraint par des obligations professionnelles et familiales, Dylan McDonnel a mis plus de trois ans à réaliser ce qu'il décrit comme son "idée farfelue". Il a tout d'abord parcouru le Papyrus Ebers, l'un des plus anciens (environ 1550 av. J.-C.) et des plus complets traités médicaux de l'Égypte antique, contenant des centaines de remèdes, de prescriptions et de sortilèges pour traiter diverses maladies. Or, la bière y est mentionnée dans le cadre de plusieurs soins, illustrant son importance dans la pharmacopée de cette lointaine époque.

Le chercheur en herbe a décelé dans le texte environ soixante-quinze recettes de bière, dont il a compilé les huit ingrédients les plus fréquemment évoqués : les fruits du dattier du désert, du miel de jujubier Sidr du Yémen, les fruits du figuier sycomore d'Égypte, des raisins dorés israéliens, des baies de genévrier épineux, des caroubes, du cumin noir et de l'encens.

Seulement, Dylan McDonnell a du mal à se procurer les figues du sycomore, si bien qu'il envisage de les remplacer par des figues dites "Black Mission", apparemment proches parentes botaniques. Par un heureux hasard, son amie Marika Dalley Snider, historienne à l'université de Memphis (États-Unis), travaille à l'époque sur une reconstruction numérique du temple de Karnak (Égypte). Or, la famille de l'un des superviseurs archéologiques du site de Louxor entretenait un bosquet de figuiers sycomores depuis de plusieurs générations.

Levures millénaires et création de la "Sinaï Sour"

Le brasseur amateur a choisi comme graines de base l'orge pourpre et le blé amidonnier. Pour les levures, ces micro-organismes essentiels dans la production de bière – elles fermentent les sucres du moût pour produire l'alcool, contribuant aux arômes et saveurs –, il s'est de nouveau trouvé chanceux. En 2019, une équipe a extrait d'une amphore de précieuses levures anciennes, probablement utilisées par les Philistins pour brasser vers 850 av. J.-C., que le musée d'Israël et la brasserie Shikma ont commercialisés pour une durée limitée.

Le tout a finalement permis de reproduire le fameux mélange historique, une bière "initialement aigre mais [qui] devient ensuite de plus en plus complexe, atteignant une qualité riche et rafraîchissante, semblable au cidre", décrivent nos confrères. "La saveur, comme la couleur, évoque l'abricot. La carbonatation [l'ajout de dioxyde de carbone pour créer des bulles et donner à la boisson sa légère effervescence, ndlr], conformément à l'histoire, est faible." Si Dylan McDonnell est fortement satisfait de sa concoction ancienne, il n'a aucune intention de le vendre.

Il lui a néanmoins donné un nom : "Sinaï Sour", en référence d'abord au "sour", style de bière caractérisé par son acidité prononcée, parfois accompagnée de notes fruitées ou épicées. Mais aussi, au Sinaï, région d'importance située à l'est du Nil, connue des anciens Égyptiens pour ses mines de turquoise et sa proximité avec les routes commerciales vers le Levant. Ils y sirotaient sûrement autrefois cette boisson antique, moins alcoolisée que la nôtre… et servie chaude.