ENTRETIEN. « Ne pas avoir d’ambitions démesurées… », quel est le problème avec la Belgique ?
Capitaine et joueur clé de la Belgique, Kevin De Bruyne aura du mal à mener les Diables Rouges en haut de l’affiche à l’Euro 2024 comme c’était le cas lors des dix dernières années.
Pour l’ex-journaliste Pascal Scimé, qui a suivi la Belgique sur les dernières compétitions majeures pour la RTBF, les Diables Rouges ne disputent pas l’Euro 2024 dans la peau d’un favori pour le titre. Selon lui, la sélection rentre dans le rang après avoir été longtemps portée par sa génération dorée.
De 2004 à 2022, il a tout vu et tout su des Diables Rouges, comme envoyé spécial dans les grandes compétitions pour la chaîne nationale RTBF ou bien comme présentateur de plusieurs émissions télé ou radio. Désormais directeur général du Royal Franc Borains (D2 belge), Pascal Scimé garde un œil avisé sur les prestations de la sélection belge.
Domenico Tedesco passe ses consignes à Yannick Carrasco.
Avec du recul, il réalise une autopsie de la perte de vitesse des Diables Rouges sur les cinq dernières années. Ce qui se confirmera peut-être ce samedi 22 juin à l’issue de Belgique - Roumanie (21h), deuxième rencontre de la phase de poules, à la suite du « couac » face à la Slovaquie en ouverture de l’Euro (0-1).
Avez-vous été surpris par la défaite belge d’entrée face à la Slovaquie ?
Oui honnêtement, et il n’y a pas que moi. Les joueurs, le staff et tous les Belges ont aussi été surpris. Après, si on va chercher un peu plus en profondeur, si on regarde le contexte de l’équipe sur les derniers mois et les dernières semaines, on savait qu’il y avait un renouvellement général qui allait avoir des conséquences sur l’équipe.
Quels en sont les contours ?
C’est en défense, d’abord. Avec le retrait de la sélection de Toby Alderweireld, on savait qu’on perdait un ténor en charnière centrale. Jan Vertonghen est vieillissant et blessé. Sur le poste de latéral droit, Thomas Meunier s’est blessé il y a quelques semaines… Ça commence à faire beaucoup. Le sélectionneur a rappelé in extremis Axel Witsel car il y avait un trou en défense centrale. Arthur Theate est arrivé blessé aussi, le remplaçant de Meunier, Maxim De Cuyper, n’a pas été jugé suffisamment fiable pour commencer. Il y a pas mal d’interrogations autour de la défense, et on l’a bien vu avec le but totalement ridicule encaissé par l’équipe face à la Slovaquie.
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Le secteur offensif a aussi été problématique en manquant cruellement de réalisme, non ?
Deux buts ont été inscrits quand même, même si les règles sont ce qu’elles sont et que la VAR les a annulés. Donc je suis plus nuancé. Dans la vitesse apportée au jeu offensif, ça a été beaucoup mieux une fois que Youri Tielemans est entré. Peut-être que les changements auraient pu arriver dès la mi-temps d’ailleurs.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la Belgique dans cet Euro 2024 ?
Ça met de la pression mais je pense qu’on verra un tout autre visage de la Belgique sur les deux derniers matches de poule. Ce n’est que la première compétition internationale du sélectionneur Domenico Tedesco sur le banc. Il a beau être méticuleux et tout préparer, on n’est pas à l’abri de couacs.
« La lune de miel de Tedesco est terminée »
Il a sa part de responsabilité dans cette défaite inaugurale ?
Il a procédé à des expérimentations : mettre l’ailier Yannick Carrasco à un poste de latéral gauche avec Jérémy Doku devant lui, ce n’était pas un gage de sécurité. Le choix de ne pas mettre De Keuper qui sort d’une très bonne préparation et qui a été titré avec Bruges en championnat est discutable. Au milieu aussi, un système avec deux numéros 6 (milieux défensifs) face à la Slovaquie n’a pas permis de mettre du rythme, d’être assez entreprenant.
On peut comparer ses choix de laisser des titulaires sur le banc à celui du sélectionneur suisse lors du premier match. Ça avait été payant pour Murat Yakin, ça a été un flop pour Tedesco. Il a grillé son joker pour cet Euro 2024, comme il a déjà grillé celui de l’opinion publique en ne prenant pas Thibaut Courtois.
Quelle en était la raison ?
C’était une bête histoire d’ego autour du brassard de capitaine. Thibaut Courtois revendiquait de le porter, mais le choix a été de le donner à Romelu Lukaku et ce n’est pas passé aux yeux de Courtois qui a d’ailleurs fait l’unanimité contre lui dans le vestiaire.
Le choix de ne pas retenir Thibaut Courtois paraît bien étrange vu de France…
C’est sûrement le meilleur gardien du monde, il l’a prouvé en étant de retour au top pour la finale de Ligue des champions. L’avenir nous dira si c’était un couac de ne pas le sélectionner… Mais il y avait déjà pas mal de questionnements autour de la gestion humaine du sélectionneur : il n’avait pas rappelé Witsel, Alderweireld aussi, il aurait pu gérer les choses d’une autre manière. Pour Courtois, il a pris ses responsabilités en expliquant qu’aucun joueur ne se situait au-dessus de l’équipe nationale.
De quelle image jouit Domenico Tedesco en Belgique ?
Il a bien géré ses qualifications, avec des idées plus novatrices que son prédécesseur Martinez. Il fait partie de cette nouvelle vague de jeunes entraîneurs passionnés de foot, qui utilisent beaucoup les datas. Le contact passe assez bien dans le groupe, il demande les ressentis de ses cadres comme De Bruyne ou Vertonghen. Mais durant toute la fin des qualifications, il y a eu ce couac autour de Courtois. Et là c’est le premier flop, il va devoir rectifier le tir. En tout cas, sa lune de miel est déjà terminée.
Avec tous ces éléments, vous imaginez quand même la Belgique se qualifier pour les huitièmes de finale ?
Le football, on l’aime car on peut être 3e nation mondiale, vu par tout le monde comme qualifié évident pour les 8es de finale... Et pourtant une défaite d’entrée face à la Slovaquie peut tout chambouler. Il suffit de remettre les pendules à l’heure, si les planètes s’alignent à nouveau, la Belgique pourra sortir de la phase de poules.
« C’est compliqué de dire que vous visez les quarts, mais on doit être réaliste »
Cette entrée en lice oblige-t-elle à tout de même à reconsidérer le statut de la Belgique dans cet Euro 2024 ?
Dans l’état actuel de la sélection, viser plus qu’un quart de finale serait faire preuve d’optimisme béat. Quand vous êtes troisième nation mondiale, c’est compliqué de dire que vous visez les quarts. Mais on doit être réaliste
Quel était l’objectif initial des Diables Rouges dans cet Euro 2024 ?
Rien n’avait été annoncé, car quand vous êtes troisième nation mondiale, c’est compliqué de dire que vous visez les quarts. Mais on doit être réaliste, il faut une voie médiane entre les envies, et sortir des poules. La Belgique se doit de sortir des poules, et c’est très important au-delà du sportif d’aller le plus loin possible car la fédération a enregistré un déficit de plus de 11 millions d’euros l’année dernière.
La Belgique est-elle rentrée dans le rang ?
Sur les 10-12 dernières années, la sélection a montré de belles choses. Mais il y a une trop grande différence entre cette génération et l’actuelle faite d’anciens en fin de cycle et des nouveaux qui peinent à prendre l’équipe en main. Les jeunes comme Johan Bakayoko oui Jérémy Doku doivent augmenter leur niveau. On ne peut pas comparer les individualités des années d’avant avec celles d’aujourd’hui.
Personne n’a la trempe d’Eden Hazard… Il y a aussi pas mal de scepticisme autour de l’ambition de l’équipe de la part des supporters. Les stades n’étaient pas pleins pendant les amicaux alors qu’avant c’était comble, c’est pourtant maintenant qu’il faut être proche de cette équipe. Et ne pas avoir d’ambitions démesurées sur cet Euro.
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Éliminée dès poules au Mondial 2022, en difficulté en début de cet Euro… Il y a un problème dans ces grandes compétitions ?
Je n’ai pas envie de dire sur les grandes compétitions, car le seul couac c’est ce Mondial 2022 où Eden Hazard était en bout de course comme les défenseurs. L’élimination au Qatar n’était pas prévisible mais ce n’était pas une si grosse surprise car en interne, ça s’essoufflait. Il faut revenir plus loin pour en comprendre les causes : ce qui a toujours posé problème c’est la défense. Depuis le départ de Kompany, on n’a pas trouvé ce leader. On a fait illusion avec Vertonghen et Alderweireld mais on n’a plus de guide en défense.
Y a-t-il un sentiment de gâchis après le passage de la génération dorée portée par Hazard ?
Les attentes sont placées très haut au vu des objectifs atteints par la génération précédente. Et c’était un certain type de football spectaculaire, avec panache. On a raté le coche en 2018 voire en 2016 où l’équipe aurait dû faire mieux qu’une élimination minable face au pays de Galles. Mais 2018 reste et restera la compétition avec le plus de goût d’inachevé dans l’histoire du football belge, tout était réuni…