Législatives : le Rassemblement national et ses candidats racistes, antisémites et complotistes
Chassez le naturel, il revient au galop. Alors que le Rassemblement national pourrait, après sa victoire aux élections européennes, remporter les législatives anticipées et entrer à Matignon, Libé s’est penché sur la liste des candidats investis par le parti. Autrement dit, les potentiels députés sur lesquels s’appuierait la politique d’un Jordan Bardella chef de gouvernement. Bilan : un musée des horreurs mêlant racisme, antisémitisme et complotisme, qui illustre le fond de sauce idéologique du parti lepéniste… et l’hypocrisie d’une direction qui le laisse prospérer. Sollicités, ni le parti, ni les candidats dont Libération a pu se procurer les coordonnées, ni les chefs de leurs fédérations locales n’ont donné suite. En revanche, certaines des publications en question ont subitement disparu après nos démarches…
Dans les Hautes-Pyrénées, Marie-Christine Sorin et «la chaîne de l’évolution»
Marie-Christine Sorin, investie par le RN dans la 1re circonscription des Hautes-Pyrénées, n’hésite pas à parler de «terrorisme climatique» sur Twitter, en juin 2023, au sujet du traitement du réchauffement planétaire par France Télévisions. Mais cette retraitée de l’éducation nationale est surtout raciste. «Non toutes les civilisations ne se valent pas», estime-t-elle sur le réseau social le 11 janvier, ajoutant que certaines «sont juste restées au-dessous de la bestialité dans la chaîne de l’évolution». Un tweet désormais supprimé, mais dont Libé a gardé la trace. Quelles «civilisations» au juste ? Il y a des indices, comme lorsqu’elle vilipende le pape et sa «propagandiste mondialiste», parce qu’une photo le montre serrant la main à des hommes noirs. Ou ce message posté fin février à l’adresse de la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, qui déplorait que des agriculteurs aient repris le vieux slogan lepéniste «On est chez nous» : «Si on lui dit de retourner sur son île on va être taxé de racisme, on ne peut même pas lui répondre !» écrivait Sorin. D’origine mauricienne, Prisca Thevenot est née à Strasbourg.
En Côte-d’Or, Sophie Dumont à fond les complots
Le parti Reconquête est-il financé par les juifs ? C’est ce que semble penser Sophie Dumont, candidate RN dans la 4e circonscription de Côte-d’Or. Le 28 mai, sur X, elle réagit à une prise de position de Sarah Knafo, conseillère de Zemmour, en faveur de l’abattage rituel musulman et juif : «Le petit geste qui trahit l’origine des fonds qui alimentent Reconquête», selon Dumont. Invitée par Libé à préciser le sens de son propos, la candidate n’a pas répondu, mais a supprimé son message. «Conseillère économique» du groupe RN à l’Assemblée, Sophie Dumont a été recrutée par Renaud Labaye, secrétaire du groupe et fidèle de la même paroisse traditionaliste à Versailles. Le compte de la quinqua fait la part belle aux théories du complot, particulièrement celle voulant que Brigitte Macron soit un homme. Dumont relaye notamment les écrits de la feuille antisémite «Faits & Documents», à l’origine de la rumeur. Le 19 mars, la candidate partageait aussi des propos de l’ancien eurodéputé néerlandais Marcel de Graaff, décrivant l’Ukraine comme «le plus grand fournisseur d’enfants pour les réseaux pédophiles». Un récit forgé par les réseaux de propagande russe.
Chez les Français de l’étranger, un suppléant au passé radical
Parmi ses suppléants aussi, le Rassemblement national a recyclé de vieux militants au passé chargé. A l’image d’Eric Miné, qui secondera Pierre Brochet dans la 11e circonscription des Français de l’étranger, couvrant l’Asie, l’Océanie et plusieurs pays d’Europe de l’Est, dont la Russie. L’homme, qui réside en Thaïlande, est un ancien militant de la Fane, groupuscule néonazi des années 70, et du mouvement néofasciste l’Œuvre française. Surtout, Eric Miné a été le premier gérant, à la fin des années 90, de la «Librairie nationale», rattachée à la maison d’édition l’Æncre, spécialisée dans les écrits nationalistes et négationnistes. Le catalogue faisait la part belle aux écrits des dirigeants des partis collaborationnistes actifs sous l’Occupation.
Dans les Côtes-d’Armor, au bon souvenir de Pétain
Militante d’expérience, Françoise Billaud a rejoint le Front national dans les années 80. La page Facebook de la candidate RN dans la 1re circonscription des Côtes-d’Armor montre son attachement à un certain passé. En juillet 2021, elle partage un hommage à Philippe Pétain, chef du régime de Vichy et complice des crimes nazis – une photo montrant sa tombe à l’île d’Yeu et la légende «23 juillet 1951, mort en détention de Philippe Pétain, maréchal de France», titre dont il a été déchu pour ses actes de collaboration. Le 8 mai dernier, jour anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, François Billaud salue plutôt la mémoire du prêtre collaborationniste Jean-Marie Perrot, assassiné par un résistant communiste en 1943. La septuagénaire verse aussi dans le complotisme. Mi-mai, elle partageait une publication aux relents antisémites, faisant d’Emmanuel Macron le pantin de Jacques Attali et George Soros. Vendredi 14 juin, elle partageait une série d’élucubrations au sujet de la présidente (LR) d’Ile-de-France Valérie Pécresse : «Grande maître de la loge franc-maçonne féminine de France, membre du groupe Bilderberg [club informel et très élitiste, objet de nombreuses théories du complot, ndlr], si vous n’avez pas compris…»
Dans le Morbihan, «l’humour» d’un vétéran
Joseph Martin, candidat dans la 1re circonscription du Morbihan.
Joseph Martin est un habitué des élections. Le candidat RN de la 1re circonscription du Morbihan en est à sa sixième candidature, bien qu’il ait longtemps porté la bannière Les Républicains. Ce septuagénaire est fier de ses origines espagnoles et de son intégration, comme il l’a récemment fait savoir à Ouest-France. Dans le même entretien, il compare l’immigration à l’invasion de la France par les troupes nazies en 1940. Sur son compte X, il assure : «Je préfère être ultra-catho que ultracollabo, avec l’envahisseur actuel.» Sur la même plateforme, il déploie tout son talent dans de déconcertants messages. Octobre 2018 : «Le gaz a rendu justice aux victimes de la Shoah.» Septembre 2019, au sujet d’une photo montrant le maire de Poissy (Yvelines) entouré de personnes noires : «Je trouve le maire un peu pâlot non ?» Janvier 2019, commentant la vidéo d’un sex-toy glissant sur un tapis roulant : «Ce bagage risque de manquer à l’Elysée.» Contactée, la fédération RN du Morbihan assure à Libé que «s’il est avéré que ces propos ont été tenus, il y aura une convocation immédiate en commission des conflits».
Dans les Deux-Sèvres, des «j’aime» au goût de haine
A première vue, le profil Facebook d’Olivier Guibert est sans aspérité. La photo de profil montre un homme chenu en costume, très fier de poser au côté de Jordan Bardella. Mais en y regardant de plus près, l’homme ne fait pas mystère de ses penchants radicaux. Sur le réseau social, le candidat dans la 3e circonscription des Deux-Sèvres «aime» des canaux particulièrement racistes : la page «l’Islam est une saloperie», une autre intitulée «Non à l’extinction de la population européenne» en référence à la thèse raciste du «grand remplacement», une troisième clamant «Non à l’islamisation de la Bretagne» illustrée par un cochon musculeux aux faux airs de skinhead… Les «likes» du candidat, qui «aime» le «Poutine fan-club», font aussi la part belle à des groupes et figures de l’extrême droite radicale. Comme l’antisémite Johan Livernette ou l’ancien FN Alexandre Gabriac, viré en 2011 pour un salut nazi, ouvertement néofasciste. Les deux hommes sont d’ailleurs… «amis» sur le réseau social.
En Loire-Atlantique, des délires pseudo-scientifiques
Parmi les candidats que soutiendra le parti de Jordan Bardella aux législatives, tous ne viennent pas du RN. Dans la 5e circonscription de la Loire-Atlantique, le LR (tendance Eric Ciotti) Bruno Comby part ainsi avec l’onction lepéniste. Ingénieur, président de l’Association des écologistes pour le nucléaire, il est aussi un écrivain prolifique, auteur d’ouvrages contre le tabagisme ou faisant l’éloge de la sieste. Mais il défend aussi des thèses nettement plus douteuses, comme dans le livre Nature contre sida, où il assure que le crudivorisme permet de lutter contre le VIH. En 2012, Charlie Hebdo révélait par ailleurs que Bruno Comby avait été membre de la secte dite «de Montramé», dont le gourou Guy-Claude Burger a été condamné en décembre 2001 à quinze ans de réclusion criminelle pour «viol sur mineur de 15 ans».
Dans la Vienne, une antivax radicale
Maîtresse de conférences en informatique à l’université de Poitiers, chanteuse à ses heures perdues, Emmanuelle Darles pourrait passer pour une belle prise du RN. Mais cette «scientifique engagée» aux 25 000 abonnés sur Twitter est aussi une figure de la mouvance antivax radicale et complotiste. Candidate dans la 1re circonscription de la Vienne, la quadragénaire a par exemple comparé dans une vidéo, en mai 2022, la vaccination des enfants contre le Covid-19 à un «viol». Elle fréquente en outre les plateaux «d’émissions» complotistes diffusées en ligne, comme en septembre 2022 celle de «Libérez l’info», du pape du genre, Jean-Jacques Crèvecœur, aux côtés d’hommes comme Thierry Casasnovas, accusé de dérives sectaires et proche du mouvement antisémite d’Alain Soral, et Salim Laïbi, complotiste versant très régulièrement dans l’antisémitisme.
Dans le Morbihan, Greg et les «bogmoules»
Suppléant de Katel Le Cuillier dans la 4e circonscription du Morbihan, Gregory Renard opère sur X sous le pseudo «GregduMorbihan», sans cacher pour autant son engagement dans la campagne des législatives. Se croyant discret, il prend de larges libertés avec la «normalisation» du parti. Comme lorsqu’il insulte un certain Morad de «bogmoule». Faute de frappe ? Non, mais substitut connu de la vieille insulte raciste «bougnoule», utilisé pour contourner la modération des réseaux sociaux. Renard l’emploie à plusieurs reprises contre différents utilisateurs différents, fin 2023. Idem avec une autre périphrase, les «chances pour la France», évocation sarcastique des immigrés ou de leurs descendants, repérés à leur couleur de peau. L’homme vilipende aussi l’islam, religion «mortifère». Sans s’embêter d’une périphrase cette fois. Contactée, la fédération RN du Morbihan assure à Libé que «si il est avéré que ces propos ont été tenus, il y aura une convocation immédiate en commission des conflits».
En Mayenne, un fana mili en mal de guerre
Jean-Michel Cadenas, candidat dans la 2e circonscription de la Mayenne.
Patron de la fédération RN de la Mayenne et candidat dans la 2e circonscription du département, Jean-Michel Cadenas, est tout sauf quelqu’un d’ouvert. Il appelle ainsi de ses vœux une loi pour que «les politiques déclarent leur appartenance à la franc-maçonnerie». Islam, cause LGBT, femmes «libérées»… Rien ne trouve grâce à ses yeux. Ou presque : cet ancien militaire, aime beaucoup le groupuscule Génération identitaire, dissous en 2021 pour son racisme et sa violence, dont il relaie la propagande sur X. Tout comme celle de la Russie de Vladimir Poutine, qu’il dit «attaquée» par l’Otan. Il apprécie aussi le général Challe, l’un des chefs de l’OAS, organisation terroriste d’extrême droite active à laquelle sont imputés plus de 2 700 morts pendant et après la guerre d’Algérie. Cadenas a aussi signé la fumeuse «tribune» publiée au printemps 2021, dans Valeurs Actuelles, par un quarteron d’étoilés en pantoufles qui réclamaient à mots couverts l’intervention l’armée pour «éradiquer» notamment «l’islamisme», mais aussi «l’antiracisme».
Mise à jour à 19h04 : Ajout de la réponse de la fédération RN du Morbihan.