Pourquoi les banques françaises ne rémunèrent pas les comptes courants
Via son application Sumeria, l’entreprise Lydia propose à ses clients un "compte courant rémunéré". Les banques traditionnelles lui emboîteront-elles le pas ?
Depuis 2005 et une décision de la justice européenne, les banques françaises sont autorisées à rémunérer les dépôts des comptes courants. Une opportunité qu’aucune n’a vraiment saisie jusqu’alors. Mais la néobanque Lydia, qui a lancé mi-mai une offre de ce type, pourrait faire bouger les lignes.
500 milliards d’euros. C’est, en France, tout l’argent qui sommeille sur les comptes courants des clients bancaires. Cela représenterait en moyenne 16 562 € par compte, selon un calcul du site spécialisé Moneyvox qui est parti du principe qu’il y avait 30 millions de foyers français. Une somme loin d’être négligeable, qui serait rémunérée si elle était plutôt placée sur des livrets d’épargne réglementée par exemple… Mais ce que peu de gens savent, c’est qu’elle pourrait également l’être tout en restant sur votre compte à vue !
«Ã‚ 15 milliards donnés aux banques aux dépens des particuliers »
En effet, les banques et d’autres établissements financiers disposant d’une licence bancaire placent l’ensemble de leurs dépôts auprès de la banque centrale européenne (BCE). En fonction de la conjoncture économique, cette dernière les rémunère selon le taux de rémunération (ou « de facilité ») des dépôts. Il s’agit d’un des trois taux directeurs de la BCE, lesquels ont été rabaissés le jeudi 6 juin. Celui qui nous intéresse est donc descendu à 3,75 %, après être resté à 4 % depuis septembre. Pendant neuf mois donc, la BCE a rémunéré les 500 milliards d’encours des comptes courants à ce taux.
«Â C’est comme si on avait donné 15 milliards d’euros aux banques, aux dépens des particuliers », considère Aude Poulain de Saint-Père, avocate en droit bancaire au barreau de Paris. Les banques pourraient effectivement redistribuer tout ou partie de ce pactole à leurs clients. Pourquoi ne le font-elles pas ? Pour comprendre, il faut faire un peu d’histoire bancaire. Et remonter jusqu’en 1966, une époque où les salaires sont encore systématiquement versés via des enveloppes remplies de coupures Puis dépensés également en liquide. La réforme Debré-Haberer, visant à libéraliser le système bancaire, a modernisé tout ça.
Une situation défavorable au consommateur
Un de ses objectifs était d’inciter les Français à ouvrir des comptes en banque. Pour cela, le gouvernement demande aux banques de ne pas facturer certains services comme la tenue de compte ou les chèques. En contrepartie, il consent à interdire la rémunération des comptes courants, ce qui permet aux banques de toucher une manne grâce à la rémunération des dépôts par la banque centrale. À l’époque, tout le monde est gagnant. « Sauf qu’entre-temps, les banques, tout en ne rémunérant toujours pas les comptes courants de leurs clients, se sont mises à facturer de plus en plus fort des services », retrace Aude Poulain de Saint-Père.
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Une situation particulièrement défavorable pour le consommateur. Il aura fallu attendre les années 2000 et une décision de la justice européenne pour que les choses bougent. En 2002, la filiale française de la CaixaBank avait voulu commercialiser un compte de dépôts à vue rémunéré à 2 % l’an. Mais en avait été interdite par la Commission bancaire, l’ancêtre de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). La banque espagnole avait alors entamé une procédure devant la Cour européenne de justice (CJUE) pour tenter de faire sauter ce qui est alors une exception française.
«Ã‚ Le monde bancaire est un oligopole »
Et elle y parvient : en 2005 la CJUE puis le Conseil d’État lui donnent raison et l’interdiction des comptes rémunérés est levée. CaixaBank France peut donc enfin proposer son compte courant rémunéré. On pourrait alors se dire que d’autres banques vont suivre le pas. Mais très peu ne s’y risquent : parmi les importantes banques de réseau, seule la Caisse d’Épargne tente, avant de vite abandonner. « Le monde bancaire est un oligopole, personne n’aurait trouvé d’intérêt à ce que cette rémunération des dépôts se développe », justifie maître Poulain de Saint-Père. À la place, la plupart de ces établissements proposent par exemple des comptes à terme (CAT).
Et puis, dans un pays où l’épargne réglementée a toujours été forte avec des produits comme le Livret A ou le LEP, la demande d’une rémunération des comptes courants n’a jamais vraiment existé chez les clients bancaires. Mais peut-être l’arrivée de nouveaux acteurs bancaires pourrait contribuer à créer cette demande ?
Depuis quelques années émergent des « néobanques », c’est-à-dire des banques en ligne qui ne sont pas des filiales d’un grand groupe (Boursorama dépend de Société Générale, Fortuneo du Crédit Mutuel Arkéa…). Certains de ces acteurs proposent à leurs clients de rémunérer leurs dépôts : c’est le cas de la Néerlandaise bunq et de l’allemande Trade Republic qui proposent chacune une offre de ce type à leurs clients français.
Lydia donne coup de pied dans la fourmilière bancaire
Mi-mai, c’est l’entreprise Lydia qui a annoncé le lancement de Sumeria, une nouvelle application rassemblant l’ensemble de ses services bancaires. Parmi ces derniers figure notamment la possibilité de bénéficier d’un « compte courant rémunéré ». « Si Sumeria est votre compte courant, pour vos dépenses personnelles, de couple, ou les deux, alors vous allez recevoir des intérêts sur tout votre argent, 4 % les quatre premiers mois, puis 2 % », vendait l’entreprise pour présenter sa nouvelle offre.
Contrairement à bunq et Trade Republic, Lydia est plutôt connu des Français puisque 8 millions d’entre eux avaient été conquis par sa solution de virements instantanés gratuits. Le lancement de ce « compte courant rémunéré » constitue donc une sorte de coup de pied dans la fourmilière bancaire. Si cette offre venait à trouver du succès auprès des consommateurs, peut-être des banques traditionnelles se mettraient également à rémunérer les dépôts ?