Cette marque d'électroménager fait de plus en plus d'ombre à Dyson, Seb, Weber, Tefal, Moulinex, Magimix…
Si vous voulez devenir une star de Tiktok, faites une vidéo avec la machine à glace Creami de la marque Ninja. Sur le réseau social, le moindre post avec cette sorbetière lancée en 2021 aux États-Unis cumule des centaines de milliers de vues. Certains dépassent même allègrement les 10 millions.
"C'est un phénomène la Creami sur Tiktok, reconnait Vincent D'Hondt, le patron en France de la société Sharkninja qui vient de lancer l'appareil en France. Les posts ont été vus plus d'un milliard de fois."
La sorbetière n'est pas révolutionnaire en soi, mais elle est simple d'utilisation, très bien notée sur les sites de vente et elle a surtout un effet satisfaisant puisqu'elle prépare la crème glacée instantanément (après avoir placé la préparation 24 heures au congélateur) quand les autres machines, en général, transforment en général la crème en glace durant parfois plus d'une heure.
Cette machine est un des nombreux hits de l'entreprise Sharkninja qui a fait une percée spectaculaire sur le marché du petit électroménager aux États-Unis et de plus en plus en Europe. L'entreprise vend une friteuse sur trois outre-Atlantique, six sur dix au Royaume-Uni et plus de la moitié des marmites électriques. En France aussi, en quelques mois, le groupe a conquis 35% de part de marché sur les friteuses sans huile.
Un succès fulgurant qui surprend tant ce marché des produits d'équipement est "plan-plan" et surtout tenu par quelques grandes marques bien implantées.
Plus de 30 catégories de produits
D'autant plus étonnant que cette société américaine bouscule tous les produits auxquels elle s'attaque. Des aspirateurs sans fil aux sorbetières en passant par les multicuiseurs, les barbecues, les sèche-cheveux, les blenders ou les friteuses, Sharkninja fait mouche à chaque fois. Avec 31 catégories de produits dans son portefeuille, l'entreprise est en concurrence avec un nombre incalculable de marques, de Dyson à Seb en passant par Rowenta, Tefal, Moulinex, Magimix ou encore le fabricant de barbecues Weber.
En 2023, le groupe a vendu pour 4,3 milliards de dollars de produits dans le monde, en hausse de 14,5%. Et au premier trimestre 2024, la croissance a encore accéléré avec un chiffre d'affaires en hausse de 25%.
La recette de Sharkninja: des produits un peu moins chers que ceux des grandes marques qui proposent pour la plupart une petite fonctionnalité innovante. Cela va être par exemple un double bac pour la friteuse sans huile pour faire cuire deux aliments en même temps. Un barbecue électrique avec un fumoir à pellets pour donner un goût de fumé aux aliments cuits. Ou encore un aspirateur sans fil qui se vide automatiquement une fois reposé sur sa base.
Conception et mise sur le marché ultra-rapides
Et pour inonder le marché de nouveaux produits, Sharkninja fait surtout preuve d'une rapidité d'exécution hors norme.
"On développe plus vite que les autres de nouveaux produits, assure Vincent D'Hondt. On regarde un marché, on cherche un problème auquel les produits existants ne répondent pas, on développe le produit, on le teste sur un marché, on regarde les notes qu'il obtient et on le lance partout s'il a plus de 4,5/5."
Entre l'idée du produit et son lancement, il ne se passe ainsi que 12 mois quand, chez les concurrents, le processus d'innovation peut prendre plusieurs années.
Car c'est dans le management que Sharkninja est le plus innovant. L'entreprise ne possède aucune usine et fait tout fabriquer en Asie du sud-est (Chine et de plus en plus Vietnam, Thaïlande et Malaisie). En revanche, la conception se fait en interne où trois équipes de 800 ingénieurs au total se relaient à travers trois continents. Une sorte de "trois-huit" globalisés de la conception.
"Ça commence en Asie où les ingénieurs travaillent huit heures sur un projet puis ils passent la balle aux ingénieurs au Royaume-Uni qui eux-mêmes, après huit heures, le passent à d'autres aux États-Unis", décrit le patron de Sharkninja en France.
Mais surtout, Sharkninja est une petite structure, malgré ses plus de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. La société, basée dans la petite ville de Needham, dans la banlieue de Boston, ne compte que 3.500 salariés dans le monde quand par exemple le britannique Dyson emploie 12.000 personnes dans le monde et le français Seb plus de 30.000. La société américaine n'est finalement qu'une grosse PME qui ne fabrique rien à proprement parler, mais est présente dans 26 pays et dépense près de 100 millions de dollars en communication. Principalement sur les réseaux sociaux comme Tiktok et Instagram.
Thierry Henry aux grillades
À quelques jours du début du championnat d'Europe de football, la marque s'est d'ailleurs payé les services de trois anciennes gloires du ballon rond dont, en France, le sélectionneur des Espoirs Thierry Henry qui fait la pub des barbecues. Objectif: changer de dimension en Europe et affirmer sa position de leader après avoir conquis les États-Unis, qui représentent 72% des ventes de la société.
Pour remonter aux origines de succès, il faut remonter à 1994, direction Montréal. Un certain Mark Rosenzweig entre au sein de l'entreprise familiale Euro-Pro qui commercialise depuis des années des appareils ménagers en lien avec le textile, comme des systèmes de repassage ou des machines à coudre. Il veut diversifier le catalogue de l'entreprise et lance des nettoyeurs vapeur et des robots de cuisine sous les marques Euro-Pro et Bravetti.
Grâce à d'importantes campagnes de publicité et une présence chez la plupart des grands détaillants américains, la société voit son chiffre d'affaires multiplié par 100 entre 1996 et 2000. Dans les vidéos promotionnelles, Mark Rosenzweig y fait personnellement la démonstration de l'utilisation de ses produits comme dans une émission de télé-achat.
Après un déménagement aux États-Unis en 2003, la société se rebaptise Shark en 2007 suite au lancement cette même année d'un aspirateur vertical dont la forme rappelait celle d'un requin. Elle deviendra Sharkninja quelques années plus tard avec la création de la marque Ninja, dédiée aux appareils culinaires. Là encore, c'est la forme d'un produit (en l'occurrence les lames courbes d'un blender) qui donne l'idée au fondateur du nom Ninja.
10 milliards de dollars en Bourse
C'est durant les années 2010 que la société change de dimension en multipliant les lancements de produits. Aspirateurs sans fils, sèche-cheveux, stylers, friteuses, cuiseurs… Dès que la croissance plafonne sur une catégorie, Sharkninja lance de nouveaux produits sur d'autres.
La compagnie dépasse ainsi le milliard de dollars de ventes en 2013 et ce sans croissance externe.
"Nous n'avons jamais fait d'acquisition, assure Vincent D'Hondt. Absolument tout est conçu et développé en interne. C'est pour ça qu'il y a une culture d'entreprise très forte."
En 2017, la société change de main lorsque l'homme d'affaires chinois Wang Xuning, inventeur de la première machine grand public à fabriquer le lait de soja, entre au capital. Fondée comme la société américaine en 1994, la société chinoise JS Global Lifestyle devient un géant des produits électroménagers dans son pays. Wang Xuning, dont la fortune est estimée à plus de 3 milliards de dollars par Bloomberg, devient le principal actionnaire de Sharkninja via sa holding Joyoung.
En 2023, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes entre les États-Unis et la Chine, le Chinois décide de séparer les activités américaines du reste de son groupe et Sharkninja est introduit à la Bourse de New York. Là aussi, la success story se poursuit avec un titre qui a progressé de 180% en dixmois. Sharkninja Inc. vaut même plus de 10 milliards de dollars à Wall Street. Dotée désormais de moyens colossaux, la "petite" marque d'éléctroménager n'a pas fini de faire trembler ses concurrents.