La vie tragique de François Picaud, le vrai comte de Monte-Cristo
La vie tragique de François Picaud, le vrai comte de Monte-Cristo
Derrière un roman se trouve souvent un fait divers? C'est le cas pour le comte de Monte-Cristo, actuellement incarné au cinéma par Pierre Niney, qui raconte la chute puis la vengeance d'Edmond Dantès dans cette France du XIXe siècle où les Bourbons sont revenus au pouvoir. Quand Alexandre Dumas prépare son récit, dans les années 1840, il va largement s'inspirer du drame vécu par le Nîmois François-Pierre Picaud, victime lui aussi d'une véritable traîtrise sous l'Empire.
L'écrivain tombe sur cette histoire pleine de drames et de fureur dans l'ouvrage d'un archiviste de la police de Paris, Jacques Peuchet, qui a compilé nombre d'enquêtes, d'histoires de malfrats et de faits divers dans des mémoires, publiés en 1838 chez Le Vavasseur. On y trouve en effet l'affaire du « Diamant de la Vengeance », dont la trame fait largement écho au roman épique d'Alexandre Dumas, comme le rapporte en 1904 le journal Le Siècle, visible sur le site de Retronews.
À LIRE AUSSI Cannes 2024 : les petits secrets du tournage du « Comte de Monte-Cristo »
Une rencontre providentielle
L'histoire de François Picaud débute comme celle d'Edmond Dantès : le jeune Nîmois, monté tenter sa chance à Paris, a réussi à se faire une place par son travail et son ambition. Il s'apprête à épouser une riche jeune fille, mais quelques jours avant le mariage, tout bascule. Le cafetier Loupian, auquel il s'est confié, décide de saboter les noces avec des amis communs, les dénommés Allut, Solari et Chaubard.
Le tavernier dénonce ainsi Picaud à la police de Napoléon Ier comme un agent à la solde de l'Angleterre. C'est la prison, sept ans d'internement à Fenestrelle, où Picaud fait la connaissance d'un autre détenu, un ecclésiastique issu d'une grande famille italienne qui l'a abandonné à son sort. L'abbé se prend d'amitié pour le jeune homme et lui lègue une belle fortune. Ça ne vous rappelle rien ?
Un héros serial killer
À la chute de l'Empire, le Nîmois récupère son magot et entend bien se venger. Déguisé sous un faux nom, il retrouve Allut et lui offre un diamant contre le nom de ses complices. Allut craque, mais ne profite guère de son argent car il finit envoyé au bagne lorsqu'on découvre que le bijoutier qui a racheté son diamant a été froidement assassiné?
Une fois à Paris, Picaud s'engage comme garçon de café chez Loupian, qui a épousé entre-temps son ex-fiancée, et parvient à supprimer deux de ses dénonciateurs, Solari et Chaubard. Reste à régler son sort au fameux Loupian, cause première de son malheur? Il fait séduire sa fille ? issue d'un premier lit ? par un forçat de sa connaissance, déguisé en brillant soupirant, puis le bistrot est incendié, le tavernier ruiné et sa femme meurt de chagrin.
À LIRE AUSSI Pierre Niney se dit transformé par son rôle de comte de Monte-Cristo
Pour finir la besogne, Picaud attire un soir Loupian au jardin des Tuileries et le poignarde en révélant son nom, mais voilà qu'il est pris sur le fait par Allut, sorti du bagne, qui l'enlève et le séquestre dans une maison pour le forcer à lui révéler la cachette de son magot? Picaud ne flanche pas et finit par mourir sous les coups d'Allut. Lequel part en Angleterre où il meurt en 1828, après avoir raconté son histoire à son confesseur, en lui faisant jurer de transmettre l'affaire à la préfecture de police.
D'où sa trace dans les dossiers, qui sera reprise par le fonctionnaire Peuchet, féru d'anecdotes, dans ses Mémoires tirés des archives de la police de Paris.
Une intrigue entre vérité et romance
Certains trouveront cette histoire trop rocambolesque pour être vraie? A-t-elle été fidèlement retranscrite ou l'auteur ou l'éditeur ont-ils pris quelques libertés pour captiver le lecteur ? Une chose est sûre : même romancés sur les bords, certains faits sont bien réels et on comprend pourquoi Alexandre Dumas et son prête-plume Auguste Maquet ont fait leur miel de cette histoire de vengeance où se mêlent argent, amour et politique.
Le romancier ne s'en cache pas, du reste, puisqu'il publiera une nouvelle autour de l'histoire de Picaud au moment où paraît son Comte de Monte-Cristo. Ne gardant que la trame générale, Dumas laisse libre cours à son imagination pour construire son récit, en modifiant nombre d'éléments, à commencer par les noms des protagonistes, ainsi que l'époque : bonapartiste de c?ur, il choisit de placer la trahison de départ sous le règne de Louis XVIII plutôt que sous le Ier Empire?
À LIRE AUSSI Carlos Ghosn : « Je ne suis pas le comte de Monte-Cristo »
Côté décor, il va également largement s'inspirer de Marseille, une ville qu'il visite plusieurs fois, d'abord en 1832, puis huit ans plus tard pour se rendre en Italie, et enfin en 1843 où il visite plusieurs lieux emblématiques, nous apprend La Provence. Il repère à cette occasion l'île d'If et son château, au large de la ville, transformé en prison. Et l'intègre naturellement à son roman, tout comme le port de la cité phocéenne, quand le jeune Edmond Dantès, plein d'ambition, arrive à bord du trois-mâts Le Pharaon?
Quand le roman sort en 1844, sous forme de feuilleton, le succès est immédiat, les traductions s'enchaînent, en allemand, en anglais, on lit Dumas à Londres comme à New York? Le théâtre s'en empare avant de voir la vengeance d'Edmond Dantès portée au cinéma dès le début du XXe siècle, avec un engouement qui ne faiblira plus.