« On a voulu se débarrasser d’un gêneur » : un élu local contraint de démissionner, après un faux courrier
Julien Ruaro, conseiller municipal dans le village de Coin-les-Cuvry (Moselle) n'a plus accès aux débats depuis qu'une lettre de démission falsifiée a été envoyée en son nom à la mairie. Jean-Christophe Verhaegen / AFP
Quand « le simple courrier d’un faussaire suffit à évincer un élu ». Julien Ruaro l’a vécu à ses dépens. Ce conseiller municipal dans un petit village de Moselle n’a plus accès aux débats depuis qu’une lettre de démission falsifiée a été envoyée en son nom à la mairie. « C’est vertigineux tellement c’est facile », a reconnu le père de famille de 38 ans, encore abasourdi par ce qui lui arrive.
Depuis qu’en janvier, la maire de Coin-lès-Cuvry a « pris acte » de sa démission à partir d’un courrier dactylographié imitant sa signature, il est exclu du conseil municipal, où il était la seule voix d’opposition. « C’est tout le principe des élections démocratiques qui est remis en cause si un simple courrier d’un faussaire suffit à évincer un élu », souligne-t-il.
Une prise illégale d’intérêt dénoncée
Quand il s’est présenté aux élections, en 2020, sur la seule liste en lice dans son village de l’agglomération de Metz, cet ingénieur spécialiste de l’environnement souhaitait contribuer au développement de sa commune, où il a créé un verger pédagogique. Ce mandat, « c’était pour améliorer les services et les équipements publics : les aires de jeux, les espaces verts, l’accessibilité, la sécurité… », a-t-il confié. « De la politique au sens noble. »
Mais très vite, dans une assemblée peu habituée aux dissensions, Julien Ruaro déchante. Attaché « au respect des principes », il n’hésite pas, même seul, à s’opposer « à ce qui semble illégal ». C’est ainsi qu’en 2021, il dénonce à la gendarmerie des faits de prise illégale d’intérêt visant le premier adjoint, Régis Gauthier, qui a porté plusieurs délibérations concernant un projet immobilier sur la commune, tout en étant choisi par la mairie comme notaire pour rédiger les actes authentiques… en même temps qu’il était notaire du promoteur chargé de vendre les futurs logements.
« Il n’y a pas de marche arrière possible »
À l’issue de l’enquête, les gendarmes considèrent « qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de présumer que les infractions ont été commises » par l’élu-notaire, ce qu’il conteste, et que la maire pourrait être poursuivie pour complicité. Julien Ruaro s’inquiète aussi d’un possible détournement de biens publics, estimant que la commune a « cédé gratuitement » une parcelle et une section de voirie à un promoteur privé.
Malgré sa qualité de conseiller municipal, la consultation des documents lui a été refusée : il a dû saisir le tribunal pour obtenir la promesse et l’acte de vente. Et alors qu’il demandait à débattre en conseil municipal d’éventuelles suites judiciaires à mener sur ce dossier, la maire a pris acte de sa démission, sur la base du courrier reçu en mairie.
« On a voulu se débarrasser d’un gêneur »
«Ã‚ Une fois qu’une démission passe entre les mains du maire, elle est irrévocable », explique l’édile, Anne-Marie Linden-Guesdon. « On signale simplement la démission àla préfecture, il n’y a pas de marche arrière possible. » Depuis, Julien Ruaro a réalisé toutes les démarches possibles pour faire reconnaître une usurpation d’identité (plainte, attestation sur l’honneur)… sans permettre sa réintégration. Une enquête est en cours, des expertises graphologiques sont menées pour comparer l’écriture des autres élus avec celle présente sur l’enveloppe.
Saisi en référé, le tribunal administratif de Strasbourg a validé l’expulsion du conseil municipal de Julien Ruaro, qui vient de saisir le Conseil d’État. « C’est une affaire grave et inédite à ma connaissance », indique Jean-Paul Lefebvre, président de l’Association nationale des élus locaux d’opposition. « On a voulu se débarrasser d’un gêneur. Ce qui m’inquiète, c’est que sur les démissions, les textes de loi sont extrêmement simplistes, autorisant des dérives. »