Tour de France 2024 : avec les incertitudes sur Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, des cartes rebattues
Les deux favoris, auxquels s’ajoutent Remco Evenepoel et Primoz Roglic, sortent l’un de blessure, l’autre d’un Tour d’Italie mené à train d’enfer. Ils sont donc au moins quatre à lorgner le podium de la 111e Grande Boucle, qui démarre samedi de Florence, en Italie.
Le Slovène Tadej Pogacar, lors de la présentation des équipes du Tour de France, le 27 juin 2024, à Florence (Italie).
Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, aimerait que l’affiche du Tour de France 2024 ressemble à un jeu de cartes. C’est ainsi qu’il a longtemps espéré la 111e édition, qui s’élance samedi 29 juin de Florence (Italie). Gouvernée par quatre as : le Danois Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike), les Slovènes Tadej Pogacar (UAE-Emirates) et Primoz Roglic (Red Bull-Bora Hansgrohe), et enfin le Belge Remco Evenepoel (Soudal-Quick Step).
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Mais le début de saison s’est chargé de rebattre le jeu et la partie de poker ressemble désormais au minchiate, une version du tarot inventée à Florence sous le règne glorieux des Médicis, un poème sur carton, riche en intrigues, où les atouts sont au nombre de quarante, menaçant par leurs noms : le Pape et l’Espérance côtoient le Bossu, le Fou et le Pendu.
Plus grand-chose, en effet, n’est lisible ou prévisible dans le peloton depuis le 4 avril, une date qui constitue le prologue virtuel du Tour de France. Jusqu’alors, un duel semblait prendre corps, comme en 2023, entre Vingegaard, en léger avantage, et Pogacar, tandis qu’Evenepoel et Roglic se plaçaient en embuscade. Cette hiérarchie s’est effondrée ce jour-là dans une chute du peloton sur le Tour du Pays basque. Les quatre favoris se sont sévèrement blessés, Pogacar excepté, qui ne participait pas. Et si le jeu du Tour de France 2024 n’en devient pas considérablement ouvert pour autant, les forces en présence sont désormais criblées de faiblesses, ou de promesses, c’est selon, pour rejoindre l’arrivée inédite à Nice – et non pas Paris, Jeux olympiques obligent –, le dimanche 29 juillet.
Tout concourt à ce que ce joueur invétéré du sport cycliste, qui promet « qu’on va bien s’amuser », renoue avec la victoire. Déjà nanti de deux Tours de France (2020 et 2021), le Slovène Tadej Pogacar, 25 ans, a écrasé le récent Tour d’Italie. Six victoires d’étapes, dix minutes d’avance sur le deuxième, une impression qu’il laissait volontairement filtrer qu’il aurait pu faire encore mieux…
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Concernant un coureur normal, cette profusion d’efforts sèmerait l’inquiétude. Mais ce jeune homme qui défie la nature a parfaitement récupéré, selon son entourage. L’entame du parcours – le final vallonné de dimanche, à Bologne, l’ascension du Galibier, mardi, etc. – peut lui permettre de revêtir rapidement le maillot jaune. Le favori de cette 111e édition pour la victoire finale est aussi celui du public. Son principal problème résidera dans le risque de chute. L’épisode basque du 4 avril rappelle à tout champion cycliste ses vulnérabilités ; à tous les scénarios, même ceux qui semblent écrits d’avance, leur absolue fragilité.
Le Danois avait inauguré la saison dans le même style que Pogacar. Même délectation froide pour les attaques à répétition, portées loin de l’arrivée, offensives à outrance et sans répit ; tandis que son niveau de puissance semblait supérieur à celui de Pogacar, dans le duel auquel les deux hommes se livraient à distance. La chute du 4 avril (pneumothorax, fractures osseuses) a ébranlé bien des certitudes pour Vingegaard, 27 ans, lauréat des deux derniers Tour de France. « Je suis déjà heureux d’être au départ », déclare-t-il, comme pour réfuter les attentes placées en lui. Ses sorties d’entraînement récentes de six heures autour de Tignes (Savoie) laissent peu de doute sur sa compétitivité. Au point de battre Pogacar ? Son avantage physiologique est émoussé, et pas seulement par sa chute. Le Vingegaard du Tour 2023 aurait, en théorie, perdu contre le Pogacar du Giro 2024… A tout le moins, le grimpeur danois, qui s’est présenté, jeudi, avec sa femme et sa fille, peut rééquilibrer la situation avec son équipe, elle aussi victime d’accidents, mais plus homogène et disciplinée que le Team UAE.
Il manque souvent à Primoz Roglic quelque chose d’impalpable et indispensable dans un Tour de France, qui ne tolère pas les organismes à seulement 99 %. Le presque vainqueur en 2020 – il est renversé la veille de l’arrivée par son compatriote Pogacar – est, à 34 ans, le plus âgé des favoris, mais c’est surtout son style de course qui semble avoir pris un coup de vieux : un train d’équipiers pour asphyxier la concurrence, un ascendant pris dans le contre-la-montre, des attaques courtes dans les arrivées en montagne (quand ses rivaux osent se lancer à 60 kilomètres du but). Le rockeur slovène, jovial discret, joue cette année une des dernières cartes de sa carrière. Il comptera sur une équipe robuste, la Red Bull-Bora Hansgrohe, qu’il a rejointe cet hiver, quittant la maison de Jonas Vingegaard et gagnant ainsi sa part de liberté.
Si la France attend un successeur à Bernard Hinault depuis 1985, la Belgique patiente depuis 1976 et Lucien Van Impe. C’est la raison pour laquelle Remco Evenepoel, 24 ans, diffère ses débuts dans le Tour. Pourtant, le prodige brabançonnais est professionnel depuis cinq saisons déjà. Spécialiste des échappées au long cours (tel Pogacar et Vingegaard), maître du contre-la-montre, il accuse souvent une « journée sans » lors des trois semaines d’épreuves, ce qui en fait plutôt un chasseur d’étapes, un candidat au Top 5 et au maillot blanc de meilleur jeune. Reste qu’une partie du public découvrira un nouveau personnage : « clivant » par les mots qu’il ne mâche pas, et par ses états d’âme, sa générosité et ses coups de sang capables de réveiller des joutes un peu langoureuses.
La « promesse » du cyclisme français, c’est lui. Petit-fils de Mariano Martinez, ancien maillot à pois ; fils de Miguel, champion olympique de VTT en 2000 ; lui, Lenny. A 20 ans, ce surdoué de la montagne est le meilleur grimpeur de l’Hexagone depuis Thibaut Pinot. Martinez suivra-t-il les traces dorées et malchanceuses de son aîné ? Non, puisqu’il s’est résolu à quitter la Groupama-FDJ à l’hiver 2025, sans doute pour rejoindre Bahrain-Victorious. En raison de ce transfert, et pour ne pas déstabiliser David Gaudu, autre leader, l’équipe ne voulait pas engager Martinez sur le Tour. Mais actuellement il est le plus fort de l’effectif. Diplomate, il annonce viser les victoires d’étapes, mais le top 10 reste à sa portée.