« Top jobs » : la colère impuissante de Giorgia Meloni
« Top jobs » : la colère impuissante de Giorgia Meloni
«Â Surréaliste », tel est l'adjectif employé par Giorgia Meloni pour qualifier la méthode de désignation des plus hauts postes de l'Union européenne. « Il est surréaliste que les noms des principaux postes de l'UE soient présentés sans même faire semblant de discuter des signaux émis par les électeurs », juge-t-elle. Une expression cinglante qui précède l'ouverture du Conseil européen, jeudi, à  Bruxelles, où les 27 vont se prononcer sur le renouvellement d'Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne.
La colère de Meloni cristallise les tensions qui entourent cet exercice crucial pour les cinq prochaines années de l'UE. Alors que six dirigeants européens de partis centraux (Donald Tusk et Kyriakos Mitsotakis pour le PPE, Olaf Scholz, Pedro Sanchez pour les sociaux-démocrates, Emmanuel Macron et Mark Rutte pour Renew) ont annoncé leur soutien à un « paquet » de nominations, comprenant Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, António Costa à la tête du Conseil européen, et Kaja Kallas comme haute représentante pour les affaires étrangères, la dirigeante italienne crie au déni de démocratie.
«Ã‚ Nul ne respecte Mme Meloni plus que moi, vraiment, se défend Donald Tusk. Il s'agit d'un malentendu. Parfois, nous avons besoin d'une plateforme politique pour faciliter la procédure. C'était notre intention avec ce format entre nos trois groupes. La décision finale revient au Conseil européen, et donc avec Mme Meloni. »
Un virage à droite ignoré ?
Au c?ur de la controverse : les résultats des récentes élections européennes. Le Parti populaire européen de von der Leyen en est sorti grand vainqueur avec 189 sièges, mais le Parlement s'est également orienté vers la droite. Le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) de Meloni a gagné des sièges (83 sièges), devenant la troisième force politique devant les libéraux centristes de Renew (74 sièges).
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«Ã‚ Certains prétendent que les citoyens ne sont pas assez sages pour prendre certaines décisions et que l'oligarchie est la seule forme acceptable de démocratie, mais je ne suis pas d'accord », a martelé Giorgia Meloni devant le Parlement italien, mercredi. Elle accuse les dirigeants de l'UE de vouloir « balayer la poussière sous le tapis » plutôt que de reconnaître le mécontentement de nombreux électeurs.
Les revendications de l'Italie
Giorgia Meloni ne se contente pas de critiquer. Elle formule des demandes précises : un portefeuille économique de premier plan pour l'Italie dans la prochaine Commission, ainsi qu'un poste de vice-président exécutif. L'Italie, parce qu'elle est la troisième économie, obtiendra toujours un portefeuille important.
Qu'on en juge : le commissaire sortant, Paolo Gentiloni, est en charge des affaires économiques. Avant lui, Federica Mogherini était la haute représentante et vice-présidente de la Commission (les deux postes sont liés). Antonio Tajani a été vice-président de la Commission en charge de l'Industrie, et avant cela des Transports. Franco Frattini fut commissaire à la Justice de 2004 et 2008. Mario Monti, entre 1999 et 2004, fut en charge de la Concurrence, un État dans l'État au sein de la Commission. Autrement dit, l'Italie, pays fondateur, n'a jamais été mal traitée.
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Il n'y a aucune raison qu'Ursula von der Leyen néglige le gouvernement Meloni. Cependant, « la présidente von der Leyen n'a rien promis jusqu'à présent, à aucun État membre », assure un haut fonctionnaire de la Commission. Qui peut croire en cette fable ?
La présidente sortante de la Commission est en campagne pour son renouvellement. Elle a reçu les doléances de tous les États membres. Imagine-t-on un instant qu'elle puisse répondre à Emmanuel Macron, à Olaf Scholz, à Giorgia Meloni, à Donald Tusk, à Pedro Sanchez : « Désolé, je ne peux rien vous promettre tant que je ne suis pas officiellement en poste » ?
Un exercice d'équilibriste complexe
Giorgia Meloni fait un peu de provocation en souhaitant un commissaire qui s'attaque à la « bureaucratie » de l'Union européenne. Quand on sait à quel point l'Italie, du fait de sa bureaucratie, peine à mettre en ?uvre le gigantesque plan de relance de 195 milliards d'euros?
Face à ces critiques, les défenseurs du processus actuel soulignent la complexité de l'exercice. « C'est un véritable casse-tête », confie un diplomate européen sous le couvert de l'anonymat. Nous devons tenir compte des équilibres géographiques, politiques, entre hommes et femmes, tout en reflétant les nouvelles réalités politiques issues des urnes. C'est un exercice d'équilibriste plus complexe que jamais. »
Or, le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia, ne fait pas partie de la coalition parlementaire tripartite (PPE, S & D et Renew). En se tenant aux côtés des souverainistes, en marge du centre gauche et du centre droit, Giorgia Meloni affaiblit, de fait, sa position dans la distribution des plus hauts postes de l'Union.
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Un test pour l'unité européenne
La capacité des 27 à s'accorder sur ces postes clés sera scrutée de près, tant par les citoyens européens que par les partenaires internationaux de l'UE. Les réactions virulentes, comme celle de Meloni, soulignent les divisions qui persistent au sein de l'Union où il faut s'attendre à un coup d'éclat de Viktor Orban, violemment opposé à Ursula von der Leyen. Le président slovaque, Peter Pellegrini (qui remplace le Premier ministre Fico, hospitalisé), a été reçu par Ursula von der Leyen vendredi. Il exprime des réserves sur Kaja Kallas et Antonio Costa.
Formellement, les « top jobs » sont attribués à la majorité qualifiée. Mathématiquement, Giorgia Meloni et Viktor Orban n'ont pas les moyens de bloquer la désignation du paquet. Mais l'usage veut que le consensus prévale entre les 27.
Il se murmure que Giorgia Meloni exigerait un vote à la découpe, poste par poste. Elle s'abstiendrait sur Ursula von der Leyen et Kaja Kallas mais voterait contre le socialiste Antonio Costa. C'est à Charles Michel, le président du Conseil, d'organiser cette discussion.
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Au-delà des personnalités, le Conseil européen des 27 et 28 juin devrait adopter « l'agenda stratégique » du mandat. Un document de quelques pages, encore en discussion. D'après le document, plusieurs axes majeurs sont abordés : le renforcement de la défense et de la sécurité, la relance de la compétitivité économique et industrielle, la protection de la démocratie et des droits fondamentaux, ainsi que l'adoption d'une approche plus pragmatique et flexible dans la mise en ?uvre du Pacte vert.
L'agenda souligne également l'importance des investissements et aborde les questions d'élargissement et de réformes internes. Ces orientations visent à guider l'action de l'Union européenne pour les années à venir, en s'adaptant aux nouveaux défis tout en maintenant les objectifs fondamentaux comme la transition écologique. L'agenda stratégique doit servir de boussole au programme de travail de la prochaine Commission.