Après les inondations dans le sud du Brésil, des milliers d’enfants ne reverront pas leur maison
Les enfants accueillis au Centro Vida sont en pleine séance de cinéma. « Parfois, ils entrent agités et ils se calment pendant le film », raconte la directrice de la cinémathèque qui a décidé d’ouvrir cet espace dédié au cinéma.
Les violentes inondations qui ont touché l’État du Rio Grande do Sul, dans le sud du Brésil, au mois de mai ont obligé près de 160 000 personnes à fuir leur domicile. Dans la région, environ 10 000 enfants devront passer les prochains mois loin de leur quartier et de leur maison. Dans l’un des plus grands centres d’accueil de la ville de Porto Alegre, leur quotidien est bouleversé.
Reportage à Porto Alegre de notre correspondante au Brésil,
La petite salle obscure est à mi-chemin entre un cinéma et une salle de jeux. On entend des rires, et des bouches qui grignotent des biscuits, alors que les enfants sont calés confortablement entre des coussins et des couvertures. Il est 16 heures, et les enfants accueillis au Centro Vida sont en pleine séance de cinéma. Kirikou se promène sur la tête d’une girafe, pendant que la sorcière Karaba enrage de ne pas trouver le petit garçon qu’elle pourchasse. « Parfois, ils entrent agités, et ils se calment pendant le film, raconte Daniela Mazzili. Quand la magie opère, le film a le pouvoir de les captiver. Les voir applaudir à la fin, c’est incroyable. »
Depuis le début du mois de mai, la directrice de la cinémathèque de Porto Alegre, Capitólio, a décidé d’ouvrir cet espace dédié au cinéma, et baptisé « Ciné Vida » pour les enfants accueillis dans le Centro Vida, l’un des plus grands refuges de Porto Alegre. Au début du mois de mai, le centre a accueilli jusqu’à 800 personnes au lendemain des inondations qui ont submergé plusieurs quartiers de la ville.
Peu de douches et pas de murs
Dans cet immense hangar, les familles cherchent à se protéger du froid et des regards grâce à des palettes en bois. À la fin de l’automne, il fait une dizaine de degrés et les parents peinent à trouver des chaussettes ou chaussures pour leurs enfants. Le centre est géré par l’ADRA, une association religieuse liée à l’Église Adventiste qui a acquis une certaine expérience dans les crises humanitaires, après des missions en Haïti et au Venezuela. Une grande partie des familles accueillies dans ce refuge viennent d’ailleurs de ces pays, qu’elles ont fuis en espérant trouver une vie meilleure au Brésil.
La plupart habitaient les quartiers pauvres de la zone nord de Porto Alegre. Cintia Grazielle a huit enfants âgés de 2 à 18 ans. Elle se souvient de la nuit où elle a dû fuir sa maison avec eux et son mari. La jeune femme vivait dans le quartier d’Humaitá, juste en face de l’Arena do Grêmio, le stade du club de football local qui est resté sous l’eau une vingtaine de jours.
«Ã‚ L’eau nous arrivait à la taille, raconte-t-elle alors qu’elle tente de calmer son plus jeune enfant dans ses bras, nous sommes partis avec les habits que nous avions sur le corps, et tout le reste est resté sous l’eau. » Cintia a les yeux cernés et confie avoir du mal à dormir dans ce vaste hangar, où les bruits des animaux de l’autre côté du mur et des enfants qui pleurent ne permettent aucun moment de silence.
Petit à petit, elle tente de rassembler des habits pour ses enfants grâce aux dons qui arrivent au centre, mais elle se plaint du traitement qui lui est parfois réservé. « On me donne des habits déchirés, et j’ai l’impression qu’on nous refuse certains dons », soupçonne Cintia. « Certaines familles ont le réflexe d’accumuler les dons, les vêtements, explique un bénévole qui préfère rester anonyme. C’est un comportement de survie encore très fort. Même en discutant, c’est difficile à combattre. »
Dans un premier temps, l’afflux des bénévoles a permis d’administrer, tant bien que mal, le centre. Plus d’un mois après la tragédie, l’ADRA a signé un contrat avec la municipalité et les personnes qui gèrent le centre seront désormais rémunérées. Au début du mois de juin, le maire de Porto Alegre, Sebastião Melo, a annoncé le projet de construction de trois « centres humanitaires d’accueil » pour héberger les victimes des inondations dans les prochains mois. L’un d’eux sera sur le terrain de 9 000 m² annexé au Centro Vida, et accueillera jusqu’à mille personnes.
Avec ses deux grands hangars, l’un pour les victimes humaines des inondations, l’autre pour les quelque 700 animaux - chiens et chats principalement - sauvés de la tragédie, le Centro Vida était l’une des structures les plus aptes à recevoir une telle quantité de personnes. « Nous avons d’abord dû faire face à une situation d’urgence, et nous tendrons ensuite vers l’idéal », explique Gabriel Duglokinski, à la tête de la coordination du centre. Car les personnes accueillies ont dû partager trois douches chaudes pour 500 à 700 personnes pendant de longues semaines. À la mi-juin, deux douches pour hommes et huit pour femmes sont disponibles seulement.
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Savoir écouter
Dans ces moments de crise, avoir un espace dédié aux enfants est fondamental selon João Tauchen. Cet instituteur d’une école publique de la ville, âgé de 25 ans, est bénévole dans le centre depuis son ouverture. Avant la réouverture de l’école primaire où il travaille, il s’est rendu dans le Centro Vida tous les jours de la semaine, ne rentrant chez lui « que pour quelques heures de sommeil », en dépit d’une fatigue physique « mais surtout mentale » qui se dégradait.
À travers la mise en place d’ateliers de percussion, de capoeira, de perles, ou encore de coloriage, les bénévoles tentent de distraire les enfants. Car « se concentrer, mettre le corps en mouvement, permet à la tête de se reposer » souligne João. Les activités offrent aussi aux animateurs la possibilité de créer des liens avec les enfants, qui se sentent écoutés et libres de raconter leurs histoires. Et de parler de leurs peurs.
Entendre la pluie tomber sur le toit de tôle du hangar est par exemple devenu un moment de tension, raconte l’instituteur. « On ne cherche pas à avoir le détail de leur histoire, poursuit-il, mais les enfants nous parlent naturellement des inondations, nous racontent comment ils ont été sauvés. » Ces histoires s’expriment parfois de façon créative : João se souvient du récit détaillé du sauvetage d’une petite fille âgée de huit ans, raconté à travers des scénarios en pâte à modeler. Il avait manqué de s’effondrer en sanglots. « Je préfère ne pas trop y penser, lâche-t-il, parce que sinon je n’arrive pas à continuer à être dans la légèreté dont j’ai besoin pour être avec eux. » Pour l’heure, ces enfants n’auront pas accès à l’école pendant ces mois au refuge, mais l’Unicef sera désormais sur place avec des équipements pédagogiques.
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