La mort du mathématicien et philanthrope Jim Simons
Mathématicien reconnu, le chercheur avait eu l’intuition, au début des années 1980, de créer un fonds d’investissement utilisant des outils mathématiques complexes dans le domaine financier. Il est décédé le 10 mai, à New York.
Jim Simons, à New York, le 16 avril 2007.
L’Américain James Harris Simons, plus connu sous son diminutif de « Jim » Simons, est mort le 10 mai, à 86 ans, à New York, après une vie hors norme, de mathématicien, d’investisseur et de philanthrope.
Jim a été un mathématicien exceptionnel. Peu nombreux sont ceux qui, comme lui, ont obtenu, en quinze ans, trois résultats majeurs dans des domaines liés à la géométrie différentielle, l’étude des objets « lisses ». Dans sa thèse, en 1962, il met au point une nouvelle manière de classifier les géométries sur des variétés (l’équivalent, en dimension plus grande, de nos surfaces de dimension 2) – pour les spécialistes, il s’agit de la classification des groupes d’holonomie des métriques de Riemann. Il découvre ensuite, à la surprise de ses pairs, qu’à partir de la dimension 8, des objets que tout le monde pensait lisses peuvent présenter des « accidents » (des sous-variétés minimales de la sphère peuvent avoir des points singuliers). Enfin, il introduit une nouvelle quantité, la fonctionnelle de Chern-Simons, qui aura une incidence considérable au-delà des mathématiques, notamment dans différents domaines de la physique.
Après des études au MIT, Jim soutient une thèse à l’université de Californie à Berkeley. Il travaille ensuite, de 1964 à 1968, en cryptographie à l’Institute for Defense Analyses, à Princeton (New Jersey). Une prise de position publique contre la guerre du Vietnam lui vaut d’être renvoyé de cette institution, et il rejoint la Stony Brook University, dans l’Etat de New York. A la tête du département de mathématiques, il parvient à y attirer beaucoup de jeunes et brillants géomètres, et y établit des contacts fructueux avec les physiciens théoriciens.
Méthodes computationnelles
Convaincu que le traitement mathématique par ordinateur de grands ensembles de données constitue une clé pour la finance, Jim se lance dans une nouvelle aventure. En 1982, il crée le fonds d’investissement Renaissance Technologies, qui provoque une rupture méthodologique dans ce monde par un recours systématique à la modélisation et aux algorithmes. Son fonds vedette, Medallion, établit des records depuis sa création. Grâce à ce succès exceptionnel fondé sur l’emploi presque exclusif de scientifiques, Jim devient milliardaire en une quinzaine d’années.
Dès 1994, avec sa seconde épouse, Marilyn, il crée la Fondation Simons, aujourd’hui l’un des plus importants financeurs privés de la recherche fondamentale. Cette fondation apporte un soutien à nombre de projets scientifiques, d’abord autour de l’autisme et des mathématiques, puis en biologie et en physique, avec, par exemple, le financement d’un observatoire astronomique. Elle a permis la création de plusieurs instituts universitaires sur des domaines frontières risqués.
Puis, en 2016, est créé au cœur de Manhattan le Flatiron Institute, consacré au développement des méthodes computationnelles dans différents domaines de la science, comme l’astrophysique, la physique quantique ou les neurosciences. D’abord centrée sur les Etats-Unis, l’action de la Fondation Simons s’est élargie au monde entier en soutenant des équipes internationales, notamment africaines. Persuadés de l’importance capitale d’un enseignement de qualité, Jim et Marilyn Simons créent en 2004 Math for America, une fondation qui accompagne les enseignants de sciences des lycées de la région de New York souhaitant parfaire leur formation ou développer une pédagogie innovante.
Sens de l’autodérision
En France, outre le financement d’équipes de recherche, leur aide a été décisive pour l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette (Essonne), en contribuant à ses fonds propres et en aidant à la recherche de mécènes à l’échelle internationale par le biais des Friends of IHES. Le soutien qu’ils ont accordé depuis 1998 à l’IHES se chiffre en millions d’euros.
La vie de Jim Simons a été marquée aussi par de terribles épreuves. Père de cinq enfants, il perd deux de ses fils dans de tragiques accidents. C’est pour prolonger l’engagement humanitaire de l’un d’eux, Nick, que Jim et Marilyn créent au Népal le Nick Simons Institute, qui travaille en collaboration avec le gouvernement local pour développer des infrastructures de santé publique. Quarante-cinq hôpitaux et dispensaires ont été financés à ce jour.
On ne peut évoquer Jim sans mentionner son rare sens de l’humour et de l’autodérision. Passionné par l’aventure de la découverte scientifique, il portait une attention extrême aux personnes. Interagir avec lui était toujours un plaisir intellectuellement enrichissant. A l’écoute, il accordait une totale autonomie aux scientifiques en qui il avait placé sa confiance pour orienter les institutions créées avec son épouse Marilyn. Un créateur visionnaire qui a changé le monde autour de lui et bien au-delà.