Les griffons, inspirés des dinosaures? Une étude dénoue le mystère

Parfois, une fantaisie reste une fantaisie, même si elle est répandue à travers différentes époques et cultures. En mettant en lumière des incohérences historiques et paléontologiques, des chercheurs reviennent sur les origines du griffon, réfutant le fait qu'elles découlent de fossiles.

Un bec pointu, quatre pattes, des griffes, de grands yeux, une taille similaire… La figure mythologique du griffon partage des caractéristiques communes avec le squelette d'un protocératops (Protoceratops). Il y a une trentaine d'années a ainsi été proposée l'hypothèse que la bête hybride mi-aigle mi-lion, imaginée par les Scythes dans la steppe eurasienne, puisse avoir été inspirée par le fossile du dinosaure. Après tout, ces os blancs auraient été bien visibles dans les roches rougeâtres du désert de Gobi (nord de la Chine, sud de la Mongolie).

Pour réexaminer cette théorie autour de l'origine des "griffons-dinosaures", des chercheurs de l'université de Portsmouth (Angleterre) se sont plongés dans les archives historiques et fossiles. Et leurs résultats, publiés dans les Interdisciplinary Science Reviews le 20 juin 2024, sont catégoriques. Il s'agirait, dans le cas de cette créature légendaire, d'un "mythe dans le mythe".

Les griffons, une origine asiatique supposée

C'est la prévalence de ces hybrides fantastiques au bec pointu à travers de nombreuses cultures qui ont mené certains experts à penser que leur inspiration était basée sur la réalité… et trouvait ses origines en Asie. Pour cause, les anciens auteurs grecs et anciens attribuaient les premiers récits de la bête protectrice des trésors dorés à l'Asie centrale. Des histoires qui se seraient progressivement propagées le long des routes commerciales, jusqu'en Mésopotamie, en Égypte et dans le monde méditerranéen et intégrant leurs différentes mythologies.

Dans une série d'articles et de livres publiés dès 1989, l'historienne des sciences et technologies de l'Antiquité et folkloriste américaine Adrienne Mayor, explique ainsi que les griffons ont pu être façonnés par des mineurs d'or scythes ayant découvert des dinosaures à bec comme le protocératops. Une idée qui est devenue particulièrement populaire, mais dans laquelle les paléontologues Mark Witton et Richard Hing ont trouvé un certain nombre d'incohérences.

La théorie des protocératops déboulonnée

Tout d'abord, avancent-ils, si ces créatures étaient souvent associées à la garde des caches d'or – d'où la connexion avec des mineurs –, aucun protocératops n'a jamais été identifié près d'un tel gisement. Cachés dans la roche, les fossiles n'auraient en outre pas pu être "découverts à moitié exposés, gisant presque comme les restes d'animaux récemment décédés", explique l'étude.

"En général, seule une fraction d'un squelette de dinosaure en érosion est visible à l'œil nu, passant inaperçue pour tous sauf pour les chasseurs de fossiles aux yeux perçants, développe dans un communiqué Mark Witton. S’ils avaient voulu en voir plus, [...] ils auraient dû extraire le fossile de la roche environnante. Ce n’est pas une mince affaire, même avec les outils modernes [...]"

Le mythe des griffons est également très ancien en Méditerranée, comme le prouve un vase mycénien datant d'au moins le XIIe siècle av. J.-C. Il précède de quelques siècles les rencontres hypothétiques des Scythes (IXe au IIe siècle av. J.-C.) avec les fossiles de dinosaures. Leurs récits auraient par ailleurs mis un certain temps à se répandre de l'Asie centrale jusqu'à cette région de l'actuelle Grèce. Les deux experts ajoutent enfin que les ressemblances entre la bête et le dinosaure ne sont pas si évidentes, tenant seulement au bec et aux quatre pattes.

Entre mythes et preuves, la géomythologie

Les paléontologues tiennent à rappeler que des exemples se tiennent dans la géomythologie, c'est-à-dire l'étude des liens entre les phénomènes géologiques et les légendes traditionnelles. Les cyclopes, ces géants à un œil de la mythologie grecque, pourraient trouver racine dans des fossiles d'éléphants nains découverts en Sicile et en Crète. Leurs crânes à la grande cavité centrale, l'emplacement de la trompe, pouvaient être interprétés comme une unique orbite oculaire par les observateurs anciens, qui ignoraient l'anatomie des éléphants.

"Il n'y a rien d'intrinsèquement faux dans l'idée que les peuples anciens ont découvert des os de dinosaures et les ont incorporés dans leur mythologie, insiste Richard Hing. Mais nous devons ancrer de telles propositions dans les réalités de l'histoire, de la géographie et de la paléontologie. Sinon, ce ne sont que des spéculations." Par la suite, une fois l'histoire des griffons bien installée dans les imaginaires, des cornes de mammifères à sabots et de rhinocéros éteins seront identifiées au Moyen Âge comme appartenant à la bête, considérée comme un animal réel.

"Tout ce qui concerne les origines des griffons est cohérent avec leur interprétation traditionnelle en tant que bêtes imaginaires, tout comme leur apparence s'explique entièrement par le fait qu'ils sont des chimères de grands félins et d'oiseaux de proie", ajoute Mark Witton, avant de conclure :

Évoquer un rôle pour les dinosaures dans la légende des griffons, en particulier des espèces provenant de contrées lointaines comme le protocératops, introduit non seulement une complexité et des incohérences inutiles dans leurs origines, mais repose également sur des interprétations et des propositions qui ne résistent pas à l'examen critique.