Une fascinante "Pompéi marine" découverte au Maroc dévoile l'anatomie d'arthropodes figés dans la cendre volcanique

Cette reconstitution d'un environnement marin peu profond montre des trilobites rapidement engloutis par les cendres volcaniques d'une éruption survenue il y a plus de 500 millions d'années.

Représentants d'un écosystème vieux de 515 millions d’années, des trilobites (arthropodes fossiles) ont été retrouvés pétrifiés dans leur dernière posture sous la cendre volcanique à Aït Youb, dans la région du Souss-Massa au Maroc. Cette "Pompéi marine" a fait la couverture de la prestigieuse revue Science.

Alors que chacun vaque à ses occupations habituelles, en quelques instants, la vie s'arrête. Préservée dans son état au temps T, pour l'éternité ou presque.

Nous ne sommes pas à Pompéi, en Italie, mais à Aït Youb, à mi-chemin entre Marrakech et Agadir, au Maroc. Et les êtres figés dans la cendre volcanique ne sont pas des humains de l'an 79 avant J.-C., mais des trilobites – des arthropodes marins.

Cette découverte de fossiles exceptionnels, représentants d'un écosystème vieux de 515 millions d'années, a fait la Une de la prestigieuse revue Science (27 juin 2024). Nous la devons à une équipe de recherche franco-britannique dirigée par des chercheurs de l'université de Poitiers.

Poils, épines, tube digestif…

À l'aide d'une technique d'imagerie (microtomographie de rayons X), les scientifiques ont révélé chez ces invertébrés pétrifiés d'incroyables détails anatomiques qui, malgré les millions de spécimens déjà recueillis ailleurs dans le monde, étaient jusqu'ici passés inaperçus. Et pour cause : les trilobites d'Aït Youb sont les mieux conservés jamais découverts !

Cette stupéfiante préservation s'explique. Lors de l'éruption volcanique, les organismes vivants ont été ensevelis par des nuées ardentes. "Les tissus biologiques ont alors été consumés par la chaleur intense, ne laissant que des cavités dans les cendres solidifiées : les moules des organismes", détaille-t-on dans un communiqué (université de Poitiers / CNRS).

Or, ces moules "préservent les moindres détails de la surface extérieure des trilobites, y compris les poils et les épines le long des appendices. Leur tube digestif a également été conservé après s'être rempli de cendres." Idem pour les "brachiopodes", des petites coquilles attachées à leur squelette externe par un fragile pédoncule.

Une avancée scientifique majeure

Greg Edgecombe, conservateur au Muséum d'Histoire Naturelle de Londres, spécialiste des arthropodes et co-auteur de l'étude, ne cache pas son émotion :

J'étudie les trilobites depuis près de 40 ans, mais je n'ai jamais eu l'impression de regarder des animaux vivants comme je l'ai fait avec ceux-ci, confie-t-il (communiqué).

Les arthropodes correspondent, dans l'arbre de parenté des animaux, à l'embranchement qui regroupe notamment les insectes, les crustacés, les araignées ou encore les mille-pattes actuels. Parmi eux, les trilobites disparurent il y a 250 millions d'années, lors de l'extinction de masse survenue à la fin du Permien. La question taraudait jusqu'ici les spécialistes : comment se nourrissaient-ils exactement ?

La nouvelle étude met au jour la présence d'un "regroupement de paires de pattes spécialisées autour de la bouche", jamais observé avec un tel niveau de détails. Mais surtout, pour la toute première fois, elle révèle la présence d'un labrum, "un lobe charnu faisant office de lèvre supérieure chez les arthropodes actuels."

Exploration des environnements sous-marins volcaniques

"Cette découverte démontre le rôle essentiel des dépôts de cendres volcaniques pour la préservation des fossiles et l'importance cruciale de l'exploration des environnements sous-marins volcaniques", souligne le professeur Abderrazak El Albani, enseignant-chercheur à l'Institut de Chimie des Milieux et Matériaux de Poitiers, qui a dirigé les travaux (communiqué).

La technique d'imagerie mise en œuvre constitue par ailleurs "un outil puissant permettant d'observer en 3D des objets fossilisés dans des roches très dures, sans risque de les altérer. Ainsi, les dépôts pyroclastiques devraient devenir de nouvelles cibles d’études au vu de leur potentiel exceptionnel à piéger et conserver des restes biologiques, même mous, sans générer de dégradation", anticipe-t-il.

Et de conclure : De nouvelles fenêtres devraient ainsi s'ouvrir sur le passé de notre planète.