Jordan Bardella peut-il réduire la part de la France au budget européen ?
Jordan Bardella peut-il réduire la part de la France au budget européen ?
«Â Il n'y a pas de raison qu'on demande des économies à tout le monde, qu'on rationalise les dépenses de l'État et qu'on ne rationalise pas les dépenses de fonctionnement de l'Union européenne. » Jordan Bardella s'exprimait ainsi, le 20 juin, devant le Medef, avec Éric Ciotti à ses côtés. Et de pointer du doigt la hausse de la contribution française au budget de l'Union européenne : « 44 % de hausse pour la contribution brute et la contribution nette a été multipliée par trois. » Le candidat du RN pour Matignon estime que la France peut réduire cette contribution de « 2 à  3 milliards d'euros ».
Problème : la contribution annuelle des États membres au budget de l'UE ne se négocie pas chaque année, mais tous les sept ans, avec une révision à mi-parcours. La révision vient d'avoir lieu. Par conséquent, la signature de la France est engagée pour abonder le budget de l'UE jusqu'en 2027. Si Jordan Bardella entendait baisser le chèque de la France de l'UE avant la réouverture des négociations, il se mettrait en infraction. La Commission européenne n'aurait pas d'autre choix que de saisir la CJUE et, in fine, de baisser elle-même d'autant les fonds européens alloués à la France, par exemple ceux de la politique agricole commune (9,5 milliards d'euros alloués à la France)?
La signature de la France engagée jusqu'en 2027
Ce serait surtout ouvrir une pomme de discorde monstrueuse avec nos partenaires européens, à commencer par les autres contributeurs nets. Pourquoi l'Allemagne, première contributrice, devrait-elle continuer à payer, tout comme les Pays-Bas, l'Italie, l'Autriche, la Suède, le Danemark, la Finlande et la Belgique, si la France commençait à réduire sa propre contribution ? C'est intenable. En revanche, lorsque les négociations budgétaires 2028-2034 s'ouvriront, la France pourra négocier un rabais sur sa contribution comme l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède. La France n'a pas jusqu'ici demandé de rabais parce qu'elle craignait qu'en retour elle ne soit chahutée sur les fonds de la PAC?
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Dans la logique de Jordan Bardella, ceux qui paient le plus y perdent. Ainsi, entre 2014 et 2020 (le cadre budgétaire précédent), chaque Suédois a payé, en net, 161 euros par an en moyenne, chaque Allemand 158 euros, chaque Danois 154 euros, chaque Néerlandais 150 ans, chaque Autrichien 124 euros, chaque Finlandais 95 euros, chaque Français 95 euros, chaque Belge 80 euros et chaque Italien 61 euros.
La vision purement comptable est une erreur
Si on s'en tient à ce raisonnement purement comptable, cela voudrait dire que les pays les plus riches de l'Union ont été assez bêtes pour créer? l'Union européenne. Ça n'a pas de sens. Car ce calcul ne prend pas en compte les avantages commerciaux du marché unique qui profite ? et bien plus ! ? aux économies les plus fortes du continent. C'est tout le sens de la construction européenne. D'un côté, de fortes économies industrialisées qui profitent d'un large marché de consommateurs ; de l'autre, des économies plus fragiles qui bénéficient des fonds européens pour se renforcer et revenir dans le jeu compétitif. Les deux dynamiques sont censées fabriquer de la prospérité.
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Ce calcul global de ce que rapporte l'Union européenne à la France a été fait par la Commission européenne : quand la France contribue à hauteur de 22,45 milliards d'euros en moyenne au budget européen (1 % de son PIB), les retombées pour la France sont de l'ordre de 142 milliards d'euros (4,7 % de son PIB). Un coefficient de 6,3 fois la mise. Pourquoi ?
Une logique de Frexit cachée
Parce que la France profite de l'ouverture des marchés des 26 autres pays (3,9 millions d'emplois en France), ou des investissements communs de l'UE, comme dans le GPS Galileo? Si, comme Jordan Bardella, on s'en tient à une lecture comptable, alors il faut aller au bout de cette logique et sortir de l'UE. Mais le RN affirme avoir abandonné la sortie de l'UE, la sortie de l'euro? Pas si sûr, en vérité. On voit bien qu'au fond la logique de l'UE n'a pas été assimilée par les cadres du Rassemblement national.
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Pour comprendre profondément la logique de l'UE, il faut revenir sur un moment clé : la pandémie de Covid-19. L'économie est à l'arrêt, les gens sont cloîtrés chez eux. On imagine alors un instrument de relance par de l'endettement en commun ? C'est aussi un instrument de solidarité en faveur des pays les plus touchés, à savoir l'Italie, l'Espagne mais aussi la France. Le premier réflexe d'Angela Merkel consiste à refuser cette idée. Et que se passe-t-il ?
Le patronat allemand monte au créneau et défend le plan de relance parce qu'il sait bien que, si ses fournisseurs (notamment dans l'Italie du Nord) s'effondrent et si ses clients, aussi bien en Espagne, en Italie ou en France, plongent dans la crise, c'est toute l'économie allemande qui basculera dans la récession à la suite de ses voisins. Les économies européennes sont tellement interconnectées que le marché, pour fonctionner, a besoin qu'aucun pays ne tombe. Angela Merkel comprend et finit par soutenir le plan de relance qui comprend des subventions non remboursables. Ce n'est pas un geste uniquement désintéressé de la part de la chancelière, c'est aussi un calcul économique de moyen et long terme.
Le plan de relance n'est pas si désintéressé
Simplement, on ne distribue pas des subventions sans condition. Il y en a deux. D'abord, chaque pays doit faire des réformes de fond pour améliorer sa compétitivité, en particulier l'Italie et l'Espagne. Généralement, il s'agit de réformes longtemps différées par calcul électoraliste? Deuxièmement, il faut s'assurer que les fonds européens ne tombent pas entre les mains des mafieux ou des personnalités corrompues. D'où la mise en place d'une « conditionnalité budgétaire liée à l'État de droit ».
Les pays riches veulent bien être « généreux », mais ils ne veulent pas être pris pour des idiots. Et c'est cette « conditionnalité budgétaire » qui est opposée à la Hongrie, où la corruption aux fonds européens a été largement détectée. Ce n'est pas une lubie de la Commission européenne. C'est l'exigence des Néerlandais, des Scandinaves, des Allemands? Pas question de payer pour des États qui engraissent des profiteurs. La Commission l'a mise en ?uvre à l'égard de la Hongrie, la décision en revient toujours au Conseil.
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Jordan Bardella évoque un dernier aspect : pourquoi l'UE paie-t-elle les canalisations d'eau à Gaza ou le soutien à la Turquie pour les réfugiés ? Des questions légitimes. Elles portent sur l'affectation des moyens de la politique extérieure de l'UE. On peut très bien juger que l'UE doit cesser tout soutien à la Tunisie, à l'Afrique en général. Sans l'UE, la situation sera-t-elle plus mauvaise ou meilleure dans ces pays ? Et quid, alors, des migrants économiques qui afflueront vers l'UE si ces pays plongent ?
Jordan Bardella questionne, au fond, un aspect de la dimension extérieure de l'asile et des migrations que l'Union européenne a commencé à déployer avec l'accord passé avec la Tunisie et l'Égypte. La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, elle, croit que la seule véritable solution à la prévention de la migration illégale passe par le développement des économies africaines. Afin que les populations des pays de la rive sud de la Méditerranée n'aient plus de raison de risquer leur vie en mer.