Algérie: le village de Tagmut Azuz en Kabylie, d’où est originaire la famille paternelle de Karim Aïnouz. Dans son documentaire «Marin des montagnes», le réalisateur part en quête de cette moitié de son histoire qu’il ne connaît pas.
Sur les écrans cette semaine, Marin des montagnes de Karim Aïnouz vient côtoyer un autre film du réalisateur brésilien, Le jeu de la reine, sorti il y a quelques semaines. Ce carnet de voyage, tout à la fois intime, poétique et politique, raconte le voyage de Karim Aïnouz en Algérie, le pays de son père.
Quand j’étais petit garçon, toi et moi étions les seuls à Fortaleza à porter ce nom d’Aïnouz, je nous imaginais appartenir à une société secrète, à un clan doué de pouvoir magique, raconte le réalisateur à sa mère dans son film. Il fallait alors trouver une explication à la différence. En arrivant en Algérie, à la douane du port d’Alger, pour la première fois de sa vie, Karim Aïnouz n’a pas eu à épeler son nom de famille. Il entreprend ce voyage à 50 ans passés, en 2019, sur les terres d’un père qu’il n’a connu qu’à l’âge de 18 ans, pour donner à l’Algérie « une odeur, une couleur, un visage ».
Le film est un carnet de voyage. La traversée de la Méditerranée à partir du port de Marseille, silhouettes d’hommes esseulés sur le pont du cargo, quelques jours à Alger pour respirer la ville, puis c’est le départ pour la Kabylie et ses cimes enneigées et le village de Tagmut Azuz dont le cimetière est plein d’Aïnouz… On se souvient que Karim Aïnouz est aussi photographe et plasticien : c’est un patchwork de courtes séquences, de plans fixes, brutalement arrêtés, de cadres soignés, de photos qui racontent, dessinent par touches sonores (la bande son est très riche) et visuelles un pays, esquissent des portraits et brossent une histoire familiale qui épouse la Grande histoire avec ses espoirs et ses tourments.
Les parents de Karim Aïnouz ont terminé leurs études au début des années soixante aux États-Unis, où ils se sont rencontrés. Elle, biologiste marine, spécialiste des algues (rouges), et lui, jeune ingénieur qui rêve de construire la nouvelle Algérie indépendante. Elle rentrera au Brésil, enceinte, et attendra son ingénieur qui ne viendra jamais la chercher. Karim Aïnouz n’aura que des images du couple qu’ils ont formé : elle, telle Audrey Hepburn, et lui, tel Jean-Paul Belmondo… Un couple de cinéma.
La mère de Karim ne connaîtra pas l’Algérie. Karim va la lui raconter. Ce voyage, c’est une longue lettre à sa mère. En voix off, Karim écrit à Iracema… Peut-être est-ce son vrai prénom ? C’est aussi celui d’une princesse indienne originaire du Ceará dans le Nordeste (dont la capitale est Fortaleza), qui, pour son malheur, tombe amoureuse d’un colon portugais. Iracema est le titre d’un roman brésilien de la fin du XIXe de José de Alencar, qui évoque la colonisation du Brésil ; c’est aussi l’anagramme de America, un continent récemment libéré du joug des empires portugais et espagnol.
L’Algérie aussi fut un pays colonisé et Karim Aïnouz reprend à son compte la révolte des opprimés. L’ouvrage Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon, l’accompagne pendant ce voyage. Dans ce va-et-vient entre passé (raconté par des images d’archives de la guerre de libération) et présent, il interroge sa mère : aurait-elle pu vivre dans ce pays qui devient de plus en plus conservateur ? Et il questionne ces jeunes qui ne rêvent que de partir en regardant la mer sur le port d’Alger. Comment un pays aussi riche de pétrole et de gaz peut-il laisser sa population « pourrir comme un chien malade ».
Entre les rivages de Fortaleza et les hautes cimes de Kabylie, avec ce voyage et ce film, Karim Aïnouz est devenu le « marin des montagnes ». Non pas ce marin qui se jette à l’eau pris de folie, de calentura, mais celui qui rêve, comme ses parents autrefois, « d’un Brésil libre et d’une Algérie libre », qui parvient à rassembler ses deux moitiés, à aimer ses « frères » algériens comme le chante Matoub Lounès dans le film, tout un symbole. Et ce film est aussi une belle lettre d’amour à sa mère qui n’est plus.
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