« Une famille » : le documentaire sans concession de Christine Angot sur l'inceste

« Une famille » : le documentaire sans concession de Christine Angot sur l’inceste

La séquence est déconcertante. Christine Angot est à Strasbourg, dans le cadre de la sortie de son dernier roman Le voyage dans l’Est (Flammarion 2021). C’est dans cette ville, à l’âge de 13 ans, qu’elle a fait la connaissance de son père, traducteur au Conseil de l’Europe. C’est aussi à cet âge-là qu’il abuse d’elle pour la première fois. L’homme est mort en 1999, mais son épouse réside encore dans un quartier cossu de la ville.

L’écrivaine et réalisatrice veut la rencontrer, elle qui a toujours refusé d’en parler. Elle sonne à sa porte, nerveuse, puis force l’entrée de son domicile. Les caméras découvrent une dame âgée, élégante, un intérieur bourgeois. S’ensuit une longue confrontation, déroutante par son âpreté et l’incompréhension mutuelle des deux femmes. « C’était ta version », oppose la veuve à l’autrice de L’Inceste (1999), « je ne peux pas juger? »

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C’est là tout l’objet du documentaire « Une famille », première réalisation de Christine Angot, présentée hors compétition au dernier Festival international du film de Berlin, en salles ce mercredi 20 mars. Après avoir largement exploré le thème dans ses romans d’autofiction, l’écrivaine lève la chape de plomb qui pèse sur l’inceste, en confrontant, un à un, tous les témoins ? directs et indirects ? de celui dont elle fut victime.

« Imaginer l’impensable »

Entrecoupés d’images d’archives médiatiques ? aujourd’hui peu à-propos ? et personnelles, sur lesquelles la voix de l’écrivaine raconte sa douloureuse sortie du silence (« Je cherchais, dans ma tête, comment parler à ma mère du baiser sur ma bouche »), les « entretiens » se succèdent, éprouvants. Sa mère, Rachel, son premier mari, Claude, son compagnon, Charly, sa fille, Léonore?

«Ã‚ Je suis incapable d’en parler », admet cette première, décontenancée par l’écrivaine qui lui reproche son silence sur « ce qui est arrivé ». « Mais je m’en fous de ta petite histoire […] J’ai été violée ! », lui assène Angot, exaspérée qu’elle déplore leur seul éloignement après avoir eu connaissance des faits.

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Il faut attendre une autre séquence, tournée plus tard, pour mesurer son désarroi et l’entendre lire, face caméra, un texte dans lequel elle exprime sa « peine », cette « faillite » et l’« impossibilité d’imaginer l’impensable ». « La solitude dans laquelle était ma petite fille me brise le c?ur. »

Christine Angot émue par les mots de sa fille

S’ensuit un échange troublant de sincérité, avec son premier mari, témoin direct de l’inceste ? lui-même victime d’agression sexuelle dans l’enfance. L’ancien couple revient, ensemble, sur cette nuit où Claude entend le lit « grincer » alors que le père de Christine Angot leur rendait visite. Et qu’il ne fait rien : « Je n’ai pas pu faire ce que rétrospectivement j’aurais aimé pouvoir faire? »

Alors que le mur du silence se fissure au fil des confrontations, le film se clôt sur une conversation avec sa fille. Léonore est jeune trentenaire. Les deux femmes sont en bord de mer, le soleil est éclatant : « Je suis désolée, maman, qu’il te soit arrivé ça », lui dit-elle, les yeux pleins de larmes. L’écrivaine de répondre : « C’est la phrase que j’aurais aimé entendre depuis longtemps et qui a rompu ma solitude. »

Car c’est ce que ce documentaire raconte. En exposant le déni, le secret, comme le plus sincère soutien, il rappelle, avant tout, l’importance, vitale, de la parole et de son accueil par un tiers. Poignant.