Mario Draghi propose un « changement radical » en Europe
La guerre économique n’est pas un vain mot et l’Europe est en train de la perdre. Dans la bouche de Mario Draghi, l’alarme n’est pas à prendre à la légère. L’ancien président du Conseil italien contemple un monde où plus aucun acteur de poids, la Chine comme les États-Unis, ne joue vraiment avec les règles du jeu des années 1990 qui sont restées celles de l’Europe.
«Ã‚ Restaurer notre compétitivité n’est pas quelque chose que nous pouvons réaliser seuls ou en nous battant les uns les autres, a-t-il indiqué lors d’une conférence sociale àLa Hulpe (Belgique), devant les partenaires sociaux. Cela nous oblige àagir en tant qu’Union européenne comme nous ne l’avons jamais fait auparavant. » Dans ce discours, il dévoile les grandes lignes de son rapport sur la compétitivité, commandé par la Commission et dont le contenu sera publié en juin.
La date choisie n’est pas innocente : jeudi et vendredi, les 27 dirigeants de l’Union européenne se réunissent à Bruxelles pour débattre des moyens de financer les grandes transitions en cours (écologiques, numériques, militaires) et les nouveaux outils dont l’UE doit se doter. Les 27 s’appuieront sur le rapport d’Enrico Letta, lui aussi ancien président du Conseil italien. Ce rapport, commandé par le Conseil, n’est pas encore disponible dans son intégralité. Les dirigeants n’en ont reçu qu’un résumé.
Prédations chinoises et protectionnisme américain
Mario Draghi s’invite, en quelque sorte, dans cette discussion en délivrant ses propres constats et solutions. Constats d’abord, inquiétants : les erreurs de l’Europe. « Nous nous sommes repliés sur nous-mêmes, considérant nos concurrents comme nous-mêmes, même dans des secteurs comme la défense et l’énergie, où nous avons de profonds intérêts communs », estime l’ancien patron de la BCE. Et de pointer la stratégie dangereuse de la Chine, qui « vise à capturer et internaliser tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement des technologies vertes et avancées et s’assure l’accès aux ressources nécessaires, poursuit-il. Cette expansion rapide de l’offre entraîne une surcapacité importante dans de nombreux secteurs et menace de nuire à nos industries ».
À LIRE AUSSI Europe : ce rapport Draghi qui commence à inquiéterL’Oncle Sam n’est pas en reste. Les Américains « recourent à une politique industrielle à grande échelle pour attirer à l’intérieur de leurs frontières des capacités manufacturières nationales de grande valeur ? y compris celles des entreprises européennes ?, constate-t-il, tout en recourant au protectionnisme pour exclure les concurrents et en déployant leur puissance géopolitique pour réorienter et sécuriser les chaînes d’approvisionnement ».
Un risque de délocalisation
En somme, entre la prédation de Chine et celle des États-Unis, l’Union européenne n’a pas de stratégie globale sur la manière de réagir dans de multiples domaines, en dépit des tentatives partielles de la Commission européenne. « Aujourd’hui, nous investissons moins dans le numérique et les technologies avancées que les États-Unis et la Chine, y compris dans la défense, et nous ne comptons que quatre acteurs technologiques européens parmi les 50 premiers mondiaux, constate Mario Draghi. Il nous manque une stratégie permettant de protéger nos industries traditionnelles contre des règles du jeu mondiales inégales causées par des asymétries dans les réglementations, les subventions et les politiques commerciales. »
À LIRE AUSSI Européennes 2024 : au moins, le Medef a un programmeIl prend pour exemple les industries à forte intensité énergétique. « Dans d’autres régions, dit-il, ces industries sont non seulement confrontées à des coûts énergétiques inférieurs, mais elles sont également confrontées à un fardeau réglementaire moindre et, dans certains cas, elles reçoivent des subventions massives qui menacent directement la capacité des entreprises européennes à être compétitives. Sans actions politiques stratégiquement conçues et coordonnées, il est logique que certaines de nos industries ferment leurs capacités ou se délocalisent en dehors de l’Union européenne. Et il nous manque une stratégie pour garantir que nous disposons des ressources et des intrants dont nous avons besoin pour réaliser nos ambitions sans accroître nos dépendances. »
Une mise à l’échelle continentale
Mario Draghi propose trois fils conducteurs : une « mise à l’échelle » à la taille continentale pour répondre à la puissance de mastodontes rivaux, la « fourniture de biens publics » là où aucun pays ne peut agir seuls (question de taille critique, de coûts), et la sécurisation de l’approvisionnement en ressources et en intrants essentiels.
«Ã‚ Si nous voulons réaliser nos ambitions climatiques sans accroître notre dépendance àl’égard de pays sur lesquels nous ne pouvons plus compter, nous avons besoin d’une stratégie globale couvrant toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement critique en minéraux, explicite l’Italien. Nous laissons actuellement en grande partie cet espace aux acteurs privés, tandis que d’autres gouvernements dirigent directement ou coordonnent fortement l’ensemble de la chaîne. Nous avons besoin d’une politique économique étrangère qui apporte la même chose ànotre économie. »
Sécuriser les matières et la main-d’?uvre qualifiée
Certes, la Commission a déjà mis sur pied des textes sur les matières premières critiques, « mais nous avons besoin de mesures complémentaires pour rendre son objectif plus tangible », estime Draghi. Il propose « une plateforme européenne dédiée aux minéraux critiques, principalement pour les achats conjoints, la sécurisation d’un approvisionnement diversifié, la mise en commun des financements et la constitution de stocks ».
À LIRE AUSSI UE-États-Unis : le grand décrochageIdem s’agissant des travailleurs qualifiés qui viennent à manquer. Dans l’UE, les trois quarts des entreprises signalent des difficultés à recruter des employés possédant les compétences adéquates, tandis que 28 professions représentant 14 % de notre main-d’?uvre sont actuellement identifiées comme connaissant une pénurie de main-d’?uvre.
Refonder l’Europe comme il y a 70 ans
Au fond, Mario Draghi propose aux Européens de réfléchir à leur avenir continental, sachant que 27 petits États en concurrence ne sont plus, selon lui, adapter aux défis soulevés par le match États-Unis/Chine. S’en remettre à un changement de traité est illusoire et trop long. Mario Draghi propose un outil stratégique commun, ou, à défaut, une coopération renforcée entre les États les plus motivés, ne serait-ce que pour orienter l’épargne européenne qui dort vers les investissements nécessaires en Europe. « Si nous voulons égaler [nos rivaux, NDLR], conclut-il, nous aurons besoin d’un partenariat renouvelé entre les États membres ? une redéfinition de notre Union qui ne soit pas moins ambitieuse que ce que les pères fondateurs ont fait il y a 70 ans avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. » Cela ne signifie pas, dans son esprit, qu’il faille tout fédéraliser, mais réfléchir à la répartition la plus efficace de compétences compte tenu des dangers encourus par l’Europe.
Ceci devrait être le thème majeur de cette campagne électorale européenne. Mais, une fois de plus, le scrutin se morcelle en 27 débats nationaux qui ont peu à voir avec les enjeux continentaux tels que dessinés par Mario Draghi.
News Related-
Foot: Cristiano Ronaldo la joue fair-play en Ligue des champions asiatique
-
A Panmunjom, des soldats nord-coréens munis d'un pistolet après l'annulation de l'accord militaire intercoréen
-
Assurance chômage: les partenaires sociaux ont six mois pour renégocier, notamment sur les seniors
-
«Je ne regardais les réseaux sociaux que 15 minutes par jour»: la méthode d’Ulysse, major à HEC
-
Décarbonation, souveraineté, compétitivité... Macron attendu aux assises de l'économie de la mer à Nantes
-
Sam Bennett, un sprinteur à relancer pour Decathlon-AG2R La Mondiale
-
Burkina Faso: une attaque terroriste d'ampleur vise la ville de Djibo, dans le Sahel
-
VIDÉO. Fair-play, Cristiano Ronaldo obtient un penalty avec Al-Nassr et le fait annuler
-
EXCLU EUROPE 1 - Vieillir à domicile, un luxe de plus en plus coûteux
-
Guerre en Ukraine : quel est le rapport de force avant l’hiver ?
-
Pollution : Pourquoi la qualité de l’air n’est-elle jamais « bonne » en Bretagne ?
-
Ligue des champions. Le PSG qualifié pour les huitièmes de finale de C1 si…
-
Les trois meilleurs sacs banane en 2023
-
Assurance chômage : comment l’État met la pression sur les partenaires sociaux