La philosophe Élisabeth Badinter et son époux (ici en 2005) s’étaient mariés en 1966. Hélène Bamberger/Opale via Leemage
Il y a des grands hommes, des femmes d’exception… et des couples inoubliables. Si les deux premières catégories sont déjà réservées à des membres triés sur le volet, dans la troisième, l’espace se réduit comme un carré or. Quelques duos constituent une espèce rare, toujours en voie de disparition ou d’apparition. Les Badinter, dans l’histoire intellectuelle de la France, font partie du paysage lumineux et défricheur de ces couples hors-norme et avant-gardistes des idées neuves et des grands combats politiques, dans la descendance de Sartre et Beauvoir.
Moins de chefs-d’œuvre absolus dans la bibliothèque, mais Robert, mort ce vendredi 9 février, et Élisabeth Badinter n’ont pas moins œuvré pour la postérité : il a aboli la peine de mort, elle a cherché à abolir, avec d’autres… le patriarcat. Cela pèse aussi lourd dans le réel que « Les mots » ou « Mémoires d’une jeune fille rangée ». Après Simone de Beauvoir, celle qui n’était pas d’abord femme de ministre ni ministre des élégances dans ses tailleurs de grands couturiers, mais autrice fondatrice du premier féminisme, a su taper fort et viser large, au-delà du cercle universitaire.
VIDÉO. « J’ai l’honneur de demander l’abolition de la peine de mort » : le discours historique de Badinter
Sur les plateaux télés, de Bernard Pivot à « L’Heure de vérité », elle ferraillait sabre au clair, comme lui, avocate de causes essentielles : le droit des femmes à dire non, à choisir leur vie et à en changer, à faire des enfants ou pas. Et sa grande idée : il n’existe pas d’instinct maternel. Tout s’apprend, on se déprend des idées reçues. Elle refusait l’assignation à un genre, et leur couple joignait la pratique à la théorie : ils n’ont pas travaillé ensemble, sauf pour une biographie de Condorcet — l’esprit des Lumières — mais ont porté le fer dans la plaie, travaillé à parité pour appuyer là où la société française avait et a toujours mal. Le vivre ensemble dans une République fermement laïque. Rien ne mérite la peine de mort, pas même le crime le plus abject. Rien non plus ne justifie qu’une femme subisse le joug d’un homme.
Ses yeux bleu acier à elle, sa prestance inégalable à lui
Eux se sont choisis pleinement, lui divorcé, elle étudiante. Ils se connaissent depuis l’enfance de la jeune fille. Robert, plus âgé, est un habitué de longue date des repas dominicaux dans la maison des parents d’Élisabeth, Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis, dont il est l’un des avocats, et Sophie Vaillant, petite-fille du député socialiste Édouard Vaillant. Ils se marient le 1er juillet 1966, à la synagogue de la Victoire à Paris. Elle a 22 ans, lui 38. Ils font trois enfants en quatre ans. Tambour battant : elle accouche deux fois entre l’écrit et l’oral, au Capes et à l’agrégation de philosophie. Carpe Diem. Aisance matérielle, puissance intellectuelle. Ils vivent à partir de 1972 dans un grand appartement donnant sur le jardin du Luxembourg, chacun son étage et son bureau.
Beaux quartiers, couple sublime, ses yeux bleu acier à elle, sa prestance inégalable à lui. Sans doute n’était-il pas facile de grandir parmi tant de grandeur et de hauteur de vue. En 1987, leur fille Judith âgée de 20 ans disparaît une journée entière sans prévenir, dans leur propriété familiale de l’Oise. Les téléphones portables n’existent pas, et celui qui préside alors le Conseil constitutionnel s’inquiète au point qu’une centaine de gendarmes et trois hélicoptères sont mobilisés pour retrouver la jeune femme, finalement rentrée d’elle-même à la maison autour de minuit. Comme une fugue dans une symphonie trop magistrale. Chaque famille a ses secrets, même les plus modèles. Les plus que parfaits conjuguent aussi des verbes irréguliers. Judith deviendra psychanalyste.
Il lui (re) passait régulièrement la bague au doigt
S’afficher en couple ou en famille, pas leur genre. Pour lui, elle était Mimi, mais en privé. En public, chacun sa vie, son micro, sa tribune, ses plaidoiries et ses ouvrages. Si les interviews télévisées de l’un ou de l’autre pullulent, c’est toujours séparément. Pas leur tasse de thé. Il n’infuse qu’entre quatre murs, chez eux. À deux, entre eux. « L’amour est comme un bail de neuf ans. C’est pourquoi Robert me passe régulièrement la bague au doigt », confie l’autrice de « l’Amour en plus » dans la biographie qu’Alain Frèrejean leur a consacré, « Robert et Élisabeth Badinter, deux enfants de la République ». Un livre que ces discrets ne voulaient pas.
Vive la République ! Voile de tristesse sur ce regard bleu. Madame Badinter aura 80 ans, le 5 mars prochain. Chaque année, son mari lui offrait rituellement un petit éléphant, babiole, sculpture, peluche, en clin d’œil à son beau-père, né sous le signe du Lion, qui en recevait aussi en papier ou en bronze. Le grand fauve politique ne boira plus l’eau fraîche de cet amour romantique. Eux qui, en peine lumière, surent vivre cachés pour vivre heureux.
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