The Dandy Warhols : quand un groupe de rock enterre ses utopies

Courtney Taylor-Taylor, singer (R), Brent DeBoer (C), drummer, and Zia McCabe (keyboard) of US Rock band The Dandy Warhols perform on stage during the Rock-en-Seine music festival on August 26, 2012, in Saint-Cloud, near Paris. AFP PHOTO / THOMAS SAMSON (Photo by THOMAS SAMSON / AFP)

Dans le monde souvent sombre du rock, les Dandy Warhols représentèrent une belle trouée de soleil à la fin du XXe siècle, grâce à deux albums lumineux, Come down (1997) et Thirteen tales from urban bohemia (2000). Leur nom, choisi en référence à la star du pop art Andy Warhol, amusait comme leur musique légère et irradiante, faite de pluie de guitares et de nappes synthétiques.

Né pendant « l’été de l’amour », en 1967, le fondateur du groupe, le guitariste et chanteur Courtney Taylor-Taylor, rêvait de vivre dans un monde romanesque, extravagant, l’une de ces trois époques mythiques, le Londres des swingin’sixties, le San Francisco allégorique de Haight-Ashbury ou le New York bouillonnant de Warhol. Son jeune âge bien sûr ne le permettait pas, et de toute façon, il n’avait pas atterri au bon endroit. Son univers à lui, c’était la pluie qui tombait sans discontinuer, la pluie collante et inondante de Portland en Oregon, où il grandissait en contemplant depuis le quai les énormes tankers.

L’odeur des dernières fumeries d’opium flottait encore dans les rues de la grande ville industrieuse. Courtney Taylor-Taylor semblait n’avoir pas d’autre choix que travailler sur les chantiers navals comme son grand-père. Mais une passion pouvait l’éloigner de cet avenir tout tracé : il écrivait des chansons sur le chemin de l’école. « Vous avez plus de chance de rencontrer la gloire à New York, et aussi la dépression. Personne, à Portland, ne s’attend à devenir célèbre, mais chez nous, il y a plus de joie », confierait-il au Figaro en 2000.

Machine de guerre

Cet état d’esprit inconséquent et ludique porte les groupes qui habitent la cité, Gossip, The Decemberists, Elliott Smith ou Pink Martini. Il anime aussi The Dandy Warhols, qui débutèrent en 1990 au « Satyricon », une salle dans la vieille ville. Courtney réunit une bande heureuse, son cousin batteur Brent DeBoer, son ami Peter Holmström et la jolie claviériste Zia McCabe, amateurs de vin et de champagne. Ils obtinrent l’autorisation des ayants droits du peintre, mort quelques années plus tôt, de jouer avec son nom.

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Ils n’auraient jamais pu imaginer qu’une major, Capitol, accueillerait un « groupe électropsychédélique à guitares qui donnent envie de baiser et de jouer du clavier nu », comme ils se définissaient, ni que le public les apprécierait. Leur musique empruntait aux Rolling Stones et à David Bowie, passait du folk joyeux au gothique éclairé, mêlait guimbarde et cuivres, l’exact contraire d’une autre illustre formation de l’époque venue du Massachussetts, le funèbre Morphine. Les Dandy Warhols produisaient une musique plus excitante que celle de leurs célèbres rivaux anglais Oasis. David Bowie les invita même à tourner avec lui.

Mais leur éclatante odyssée allait cependant perdre peu à peu de son lustre. Courtney parvint à mener à bien l’épique et splendide Odditorium or warlords of Mars (2005) contre l’avis de Capitol qui trouvait ses morceaux trop sinueux. Les disques suivants, This Machine (2012) ou Distortland (2016), publiés sur un label indépendant, déçurent. Les Dandy Warhols mirent au clou leurs manteaux de fourrure et ne goûtèrent plus au Château Margaux. Si la formation, stable (c’est assez rare pour être souligné) a échappé aux querelles d’égo qui guettent le rock, elle a pris de plein fouet les crises.

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Courtney Taylor-Taylor a vécu un mauvais été en 2020. Il a vu les incendies ravager les belles forêts de l’Oregon où il aimait se promener jeune (40.000 personnes évacuées et un nuage empoisonné sur Portland), puis les émeutes secouer sa ville après l’élection de Donald Trump et l’assassinat de George Floyd.

Lourd et brûlant

« C’était sombre et oppressant », dira-t-il pendant qu’il élaborait son douzième album et y conviait – signe que l’aura du groupe demeure élevée malgré tout – d’illustres signatures, Slash, le guitariste des Guns N’Roses, Frank Black des Pixies et Debbie Harry de Blondie. Le résultat, Rockmaker (fabricant de rock), au titre cynique, est sorti ce printemps. Les Bohémiens conteurs ont déposé les fleurs. Ils bombardent, crachent un son métallique d’usine, un beat pesant et moite, des chansons brutes post-punk. Le lourd et brûlant Danzig with myself, torturé par les riffs de Frank Black, traite de l’Apocalypse et des menteurs.

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Le sifflement d’un réacteur menaçant fuse dans Teutonic wine, et The summer of hate, à l’intense pulsion mécanique, enterre les utopies des années 1960. « Je suis né pendant l’été de l’amour et j’ai vécu l’été de la haine », nous rappelle Courtney à la tête de sa machine de guerre bruitiste et sombre. « Je ne sais pas où s’arrête l’artificiel et où commence le réel », disait Andy Warhol. Le réel aura fini par percuter violemment la bohème romantique des Dandy Warhols, même si l’ultime et splendide morceau, I will never stop loving you, chanté avec l’iconique Blondie, laisse une note d’espoir.

The Dandy Warhols, Rockmaker, Beat the World.