Quand la bureaucratie kafkaïenne met en péril la scolarité d’enfants malades ou handicapés

quand la bureaucratie kafkaïenne met en péril la scolarité d’enfants malades ou handicapés

«En 2006, 100.000 élèves en situation de handicap étaient scolarisés en milieu ordinaire. On en comptait 436.000 en 2022».

Votre École chez vous (VECV) fermera son collège de Rouen cet été. 16 élèves en situation de handicap seront déscolarisés. 11 élèves sur liste d’attente et 14 élèves de l’école primaire perdront tout espoir d’y trouver une place. La faute à une bureaucratie kafkaïenne qui, en s’abritant derrière des règles inadaptées, semble plus soucieuse de masquer ses carences que d’aider ceux qui tentent de les pallier.

Depuis 70 ans, VECV, établissement privé sous contrat avec l’Éducation nationale, laïque, gratuit, scolarise à leur domicile des enfants que le handicap ou la maladie empêchent durablement de rejoindre un établissement collectif. Des enseignants diplômés se rendent chez l’élève pour lui dispenser les cours, en conformité avec les programmes officiels, et le préparer aux examens nationaux, tout en adaptant la pédagogie à son état de santé. L’admission se faisant uniquement sur critères médicaux, tous les milieux sociaux sont représentés – VECV compte actuellement trois élèves placés en foyer au titre de l’Aide sociale à l’enfant (ASE). L’objectif est toujours, quand c’est possible, d’aider l’enfant à s’insérer ensuite dans un parcours «ordinaire». Thomas, atteint d’un lourd handicap moteur, y a été élève du CE2 jusqu’au baccalauréat. Il a ensuite poursuivi de brillantes études en classes préparatoires puis à l’École normale supérieure et est aujourd’hui enseignant-chercheur en mathématiques. Noah, autiste, a été inscrit dans l’antenne normande de la grande section jusqu’à la sixième, après quoi il a pu rejoindre un collège ordinaire. Il a obtenu son brevet l’année dernière avec mention, et projette de travailler dans la police scientifique. Certains enfants décèdent avant la fin de leur scolarité : élèves jusqu’au dernier jour, ils auront, au moins, reçu la considération que notre société doit à tout enfant.

En 2006, 100.000 élèves en situation de handicap étaient scolarisés en milieu ordinaire. On en comptait 436.000 en 2022. Cette progression spectaculaire ne saurait occulter une réalité de terrain parfois difficile. Familles comme enseignants le savent : les situations de ces enfants «à besoins particuliers» sont disparates et nécessitent souvent – c’est une tautologie – une prise en charge individualisée. L’inclusion n’est pas la normalisation. Et si, grâce à des aménagements, beaucoup d’enfants peuvent heureusement fréquenter l’établissement scolaire de leur secteur, certains, du fait de la nature même de leur pathologie, n’y parviennent pas, sans pour autant trouver non plus leur place dans un dispositif spécialisé. Pour eux, il faut inventer. C’est la raison d’être de VECV, qui scolarise chaque année entre 150 et 200 élèves, souvent adressés par l’Éducation nationale ou par les structures médico-sociales, sans pouvoir, malheureusement, satisfaire tous les besoins : les listes d’attente sont longues.

Pendant longtemps, VECV n’a œuvré qu’en région parisienne. En 2011, une école primaire a vu le jour à Rouen. Elle a été mise sous contrat en 2016. L’ouverture d’un collège a suivi naturellement en 2017. Après cinq années de fonctionnement hors contrat financé principalement par une fondation privée, le collège espérait passer à son tour sous contrat, et obtenir ainsi des moyens de l’Éducation nationale. Le rectorat et le ministère l’ont refusé, au motif qu’un établissement qui n’accueille pas les élèves dans des locaux dédiés et dans une classe collective ne peut prétendre au statut d’établissement scolaire. C’est l’essence même de VECV – reconnue pour l’école, le collège et le lycée parisien, et pour l’école de Rouen – que d’enseigner à domicile à des enfants qui ne peuvent se déplacer. Et, justement pour cette raison, aux yeux de l’Éducation nationale, le collège normand de VECV n’est pas un collège. Comprenne qui pourra.

Renseignements pris, il s’avère que c’est la loi d’août 2021 «confortant le respect des principes de la République» qui s’applique. Cette loi, pour lutter contre le séparatisme, décourage en effet «l’instruction en famille». Dont acte. Les familles des élèves de VECV, dont les enfants ne trouvent place nulle part ailleurs dans le système éducatif, apprécieront. Rappelons tout de même qu’avoir un enfant malade ou handicapé n’est pas un choix, que l’inscrire à VECV ne résulte pas d’une démarche volontaire mais bien de l’absence, déplorable, d’autre option, et qu’assimiler une orientation médicale vers VECV à une forme de séparatisme ou à une quelconque idéologie pourrait faire rire si cela ne donnait pas plutôt envie de pleurer.

Sans contrat avec l’Éducation nationale, faute de moyens financiers permettant de maintenir son activité au-delà de l’été prochain, le collège normand s’apprête donc à fermer, laissant quelques dizaines d’adolescents sans scolarisation. Un petit nombre, certes, au regard des centaines de milliers d’élèves évoqués plus haut. L’administration, on le sait, n’aime guère les cas particuliers. À tout le moins, elle ne sait pas les traiter. VECV tombe sous le coup d’une loi générale qui, si l’on y réfléchit un instant, ne la concerne pas. Une aberration administrative banale. Les victimes ? Des enfants handicapés. Nous sommes en France, en 2024.

Béatrice Descamps-Latscha, docteur en médecine, directeur de recherche honoraire à l’INSERM, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, ancienne présidente de VECV.

Yves Laszlo, professeur à l’Université Paris-Saclay, ancien directeur scientifique à l’École normale supérieure.

Corinne et Arnaud Lefebvre, parents de Noah.

Isabelle Mordant, mère de Thomas, membre du conseil d’administration de VECV.

Yves Quéré, membre de l’Institut, président de VECV.

Isabelle Welcomme, ancienne responsable RH et consultante pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, ancienne présidente de VECV.

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