"Tout ça pour ça": insuffisamment accompagnées, elles regrettent leur chirurgie de l'obésité

La Haute autorité de Santé a rappelé en février que les chirurgies bariatriques ne doivent être effectuées qu’en dernier recours. Leur nombre a augmenté en France ces dernières années alors que la moitié des patients ne bénéficient pas du suivi nécessaire deux ans après ces opérations. Au point que certains regrettent d’être passés par ces chirurgies.

Une opération de chirurgie (photo d’illustration)

“On croit trop au miracle et on ne se rend pas compte des risques. Tout ce que j’ai eu, jamais je n’y aurais pensé”. Onze ans après, Élodie, 35 ans, se dit que la chirurgie de l’obésité qu’elle a subie en septembre 2013 n’était peut-être pas la meilleure voie pour elle. Cette opération, appelée chirurgie bariatrique, consiste à modifier l’anatomie du système digestif, afin de diminuer la quantité d’aliments consommés et/ou l’assimilation des aliments par l’organisme.

À 24 ans, atteinte de cette maladie, Élodie a essayé “plein de régimes, vu plein de diététiciennes”: “J’avais tellement privé mon corps que plus rien ne marchait”, raconte-t-elle.

Alors, lorsqu’un hôpital privé lui propose d’effectuer un bypass, elle accepte directement: “J’avais tellement envie de maigrir, j’étais tellement mal dans ma peau”, se souvient-elle. Elle suit de manière rapide le parcours classique de préparation pour ces opérations: rendez-vous médicaux avec une nutritionniste, une psychologue…

“Ça n’a duré que trois mois et je réalise maintenant que psychologiquement, je n’étais pas prête”.

Trois mois après son opération, Élodie a commencé à avoir des remontées acides et à constater que son corps n’arrivait plus à supporter de nombreux aliments. Une décennie plus tard, le bilan est lourd: “Je suis devenue intolérante aux légumes, aux fruits, aux légumineuses, aux crudités et aux laitages”. “À cause des reflux gastriques, je n’ai plus une seule dent à moi” et “j’ai subi une grosse fatigue, malgré les compléments, les vitamines, j’ai eu de grosses carences en fer”, détaille-t-elle.

“Je n’ai plus de vie sociale depuis ce moment-là. Je n’ai jamais profité comme une fille de mon âge -je vais avoir 35 ans. Je ne sors pas, je ne fais rien, je ne vais pas au bar, au resto, en boîte. Les douleurs chroniques, les angoisses d’être malade si je mange, me créent des angoisses, de l’agoraphobie”, témoigne-t-elle.

“Une agression au corps”

En février 2024, la Haute autorité de Santé (HAS), une autorité publique indépendante, a justement émis de nouvelles recommandations pour le suivi des personnes subissant des chirurgies bariatriques, soulignant qu’elles ne sont pas indiquées dans toutes les situations.

Plusieurs techniques existent, comme la pose d’un anneau gastrique, l’ablation partielle de l’estomac (aussi appelée sleeve), ou encore le bypass, qui crée une dérivation du tube digestif et court-circuite une partie de l’estomac et de l’intestin.

Majoritairement effectuées sur des femmes, elles permettent la plupart du temps des pertes de poids notables qui peuvent améliorer la vie des personnes obèses souffrant par exemple de diabète, d’arthrose ou d’apnée du sommeil. L’obésité est une maladie chronique qui touche en France 17% des adultes, selon la HAS.

Mais il s’agit de chirurgies lourdes, qui ont des effets très importants. Elles entraînent notamment une modification à vie des habitudes alimentaires, peuvent créer des carences, des troubles psychologiques liés au changement drastique de l’apparence, des reflux acides, sans compter les complications techniques qui peuvent advenir comme après toute opération.

“Une chirurgie bariatrique, c’est une agression au corps monstrueuse, lourde à porter et avec des séquelles définitives, et aussi un bénéfice important: une perte de poids majeure”, résume auprès de BFMTV.com le professeur Pierre-Louis Druais, vice-président de la Commission recommandations, pertinence, parcours et indicateurs de la HAS.

Carences, difficultés psychologiques…

Des effets secondaires qui ne sont pas toujours bien compris par les patients. Anne-Laure, par exemple, a subi une sleeve en 2014. Elle a eu neuf mois de parcours avant l’opération, mais juge ne pas avoir été assez suivie face aux impacts qu’elle ressent encore aujourd’hui.

“Je suis contente de ma perte de poids parce que je ne pouvais pas rester comme j’étais, mais la digestion, c’est compliqué, comme les carences en fer et en vitamines”, décrit celle qui prend des compléments alimentaires tous les jours.

Ces carences lui font notamment perdre “beaucoup de cheveux” et lui causent une fatigue quotidienne. Anne-Laure aurait voulu être mieux accompagnée sur le plan psychologique:

“J’ai été suivie mais peut-être pas assez. Quand je demandais la psy de l’hôpital, elle était débordée”.

Peggy, 50 ans, estime aussi ne pas avoir été assez prévenue des carences qu’elle allait avoir après sa sleeve en 2015. Des manques qui ont des effets très concrets sur sa vie: perte de cheveux, sentiment de faiblesse “comme une voiture quand on ne met pas l’essence qu’il faut”, perfusions de fer tous les quatre mois…

Elle a également repris 15 kilos, sur les 40 qu’elle avait perdus les deux premières années après l’opération. “Je me dis: ‘tout ça pour ça’, soupire Peggy. Je pense qu’ils font beaucoup d’examens avant mais pas beaucoup après”.

Des alertes sur un défaut de suivi

En 2017, sans remettre en cause l’intérêt de ces chirurgies, un rapport de l’Inspection générale interministérielle du secteur social (Igas), alertait sur les “lacunes significatives dans la préparation des personnes” subissant ces chirurgies, “dont une partie importante ne bénéficierait par ailleurs pas d’un suivi postopératoire approprié, voire même de suivi”.

En 2016, avant leur opération, 20% des patients n’avaient pas reçu des informations “pourtant cruciales” sur “le suivi postopératoire, la nécessité de modifier son comportement alimentaire et son mode de vie avant et après l’intervention”, alertait ce rapport. Pour le professeur Pierre-Louis Druais, “un patient qui n’a pas eu au minimum six mois d’accompagnement préalables ne doit pas être opéré”.

Aujourd’hui, seuls 50% des patients bénéficient d’un suivi deux ans après leur opération, une proportion qui diminue encore après cinq, dix, quinze ans, alors que ce suivi est supposé durer à vie, selon la HAS. Ces patients sont soit “abandonnés” par le circuit médical, soit ils y “échappent”, explique le docteur Druais: “On n’a pas forcément envie de continuer à être dans le circuit de l’obésité quand on a perdu 40 kilos; mais un patient obèse restera obèse dans sa tête toute sa vie, il faut l’aborder avec les patients”.

Une opération de dernier recours

Cette chirurgie n’est pas non plus toujours bien indiquée, alors que son recours n’a cessé d’augmenter lors de la dernière décennie. Le nombre de chirurgies bariatriques a été multiplié par trois depuis 2012, pour atteindre les 40.000 en 2022, selon la HAS, même si une baisse “relativement significative” commence à s’opérer, d’après les mots de Pierre-Louis Druais.

Une hausse qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs, au-delà de la hausse du nombre de personnes obèses en France. Le médecin généraliste souligne notamment un discours sur les réseaux sociaux qui tend à vanter les bienfaits de cette chirurgie en ne montrant que des pertes de poids spectaculaires et sans parler de son impact sur la vie quotidienne.

Mais il y a également eu “du business” de la part de certains centres médicaux, d’après le membre de la HAS. “Trop de chirurgies bariatriques ont été considérées comme une solution initiale alors que c’est une solution de dernier recours; on a eu trop de chirurgies bariatriques effectuées de façon presque sauvages et pas structurées”, déplore-t-il.

Élodie estime que c’est ce qu’il lui est arrivé. “Aujourd’hui je me dis que même si ça avait dû prendre 10 ans pour que je maigrisse doucement, et même moins, mais en pouvant manger de tout, je préférerais faire ça”.

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