Le syndrome de Münchhausen : ces malades imaginaires prêts à tout

le syndrome de münchhausen : ces malades imaginaires prêts à tout

Le syndrome de Münchhausen : ces malades imaginaires prêts à tout

Dans cette série inédite, les psychiatres Hugo Bottemanne (1) et Lucie Joly (2) nous font découvrir ces troubles hors du commun qui frappent, souvent dans le secret, aussi bien l’anonyme que le proche, le parent, l’ami? À travers un récit passionnant et sensible, les deux médecins décryptent les cheminements obscurs et souvent inquiétants de la maladie mentale.

Le professeur Grandmont, chef de service de médecine interne à l’hôpital Bicêtre, est circonspect. Dans toute sa prestigieuse carrière universitaire, il n’a jamais été confronté à une maladie aussi complexe que celle d’Alexandrine, sa patiente. Malgré tous les examens réalisés, il ne trouve aucune explication aux pertes de connaissance brutales qui se répètent, la plongeant dans de profonds comas. Celle-ci a consulté dans tous les grands services parisiens sans qu’un de ses confrères et cons?urs ne parvienne à percer ce mystère médical.

Des examens de plus en plus invasifs sont réalisés, à la recherche d’une tumeur ou d’une maladie rare. En vain. Lorsqu’il la reçoit dans son bureau pour lui signifier son impuissance, elle est en larmes, et l’implore de poursuivre les explorations, arguant que sa « vie est en danger » et que cette insidieuse maladie va ruiner son couple et sa carrière professionnelle.

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Si l’histoire du professeur Grandmont et de sa patiente a été imaginée pour les besoins de cette chronique, le mystère médical évoqué est, lui, bien réel.* Il dissimule un trouble psychiatrique rare mais fameux en santé mentale : le syndrome de Münchhausen, une « pathomimie » (du grec ????? « passion » et ???????? « imiter ») caractérisée par la simulation volontaire d’une maladie en s’infligeant des sévices ou en ingurgitant des traitements pour générer artificiellement des symptômes. Ce trouble reste relativement méconnu jusqu’au XXe siècle, mais a probablement existé depuis les prémices de la médecine.

On doit la première description au médecin britannique Richard Asher, en 1951, qu’il baptise en hommage au baron de Münchhausen, un militaire allemand dont le nom est resté célèbre pour ses récits d’aventures grotesques, invraisemblables, marquées par le sceau du factice et de la mythomanie.

Avant d’être un simulateur, le malade est un menteur

La fabulation est d’ailleurs l’une des clés pour comprendre le trouble : avant d’être un simulateur, le malade est un menteur. Il va tisser des n?uds de récit tortueux qui s’infiltrent dans sa biographie, avec une fantasmagorie digne du romanesque, réécrivant sa propre histoire à l’aune du symptôme. Il convoque légendes familiales, mythologies sociétales, et préceptes scientifiques, dans un pêle-mêle de significations qui perdent tous les médecins qui s’y aventurent. La maladie mystérieuse prend forme à partir de ce magma d’informations chimériques, comme le « rêve éveillé » d’une médecine de l’imaginaire.

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Mais ce rêve vient aussi s’épancher dans la réalité pour y inscrire son empreinte. Le malade s’inflige alors des sévices médicaux ou ingère des traitements pour provoquer les symptômes qui deviendront le c?ur de sa « maladie imaginaire ». Il s’abreuve à la pharmacopée contemporaine : les émétiques déchaînent des vomissements irréductibles, les anticoagulants un syndrome hémorragique inexpliqué, l’insuline des comas énigmatiques. La fièvre, les lésions cutanées, les diarrhées, tout devient prétexte à faire « symptômes », et cette sémiologie burlesque attise la curiosité médicale, métamorphosant l’ordinaire de la souffrance en objet de fascination scientifique.

Des médecins souvent dupés par l’exotisme des symptômes

Toutefois, lorsqu’il se confronte à la réalité médicale, cet imaginaire s’étiole, se craquelle, se fissure. Les médecins sont souvent dupés par l’exotisme des symptômes, mais la multiplication des examens, scanners, bilans sanguins, biopsies fait poindre le danger d’une brisure soudaine du rêve. Ce syndrome est ainsi caractérisé par un nomadisme médical, au cours duquel le malade va voguer d’hôpital en hôpital, de médecin en médecin, répétant chaque fois son triste jeu de comédien. On le retrouve criblé de cicatrices d’opérations inutiles, de lésions auto-infligées, racontant avec une verve et un savant lexique scientifiques son parcours de souffrance.

Plusieurs explications psychologiques ont été proposées pour comprendre ce trouble, lié notamment à un désir d’attirer l’attention ou de susciter de la compassion. Le regard circonspect du mandarin, la patience attendrie de l’infirmière, l’inquiétude légitime des proches, tout participe à la dramaturgie de la souffrance. Quel bonheur de retrouver pour quelques instants la douceur de la main qui vient cajoler notre front fiévreux, antique souvenir de l’enfance où nous pouvions nous livrer à la dépendance absolue et disparaître dans les méandres du temps lorsque nous étions malades ! Il y a quelque chose de la position infantile du malade qui s’abandonne à l’autre, à celui qui prendra soin, dans le syndrome de Münchhausen.

À LIRE AUSSI Daniel Zagury, orfèvre de l’expertise pénale et psychiatre en colèrePlus grave encore, certaines formes de syndromes de Münchhausen dits « par procuration » impliquent des troubles volontairement provoqués par un parent chez son enfant. Ainsi, une mère pourra secrètement administrer des laxatifs à son nourrisson jusqu’à provoquer une dénutrition totale, l’accompagnant à tous les rendez-vous médicaux avec les oripeaux de la maternité bienveillante, dupant les soignants qui compatissent pour sa souffrance maternelle. Cette fois, le malade entraîne un autre dans son rêve démoniaque, le faisant basculer de l’autre côté de la frontière qu’il a tracée entre lui-même et le monde des bien portants.

Sa mère lui administrait à son insu des anticoagulants

Parmi les cas historiques restés tristement célèbres, on peut citer celui de cette jeune fille de 12 ans hospitalisée à répétition en pédiatrie pour des saignements inexpliqués dans les urines, les selles, les gencives et le nez, subissant pendant de longs mois des analyses poussées, des examens répétés, jusqu’à ce que l’on découvre que sa mère lui administrait à son insu des anticoagulants. Celle-ci jouait sa partition théâtrale devant tous les soignants rencontrés, se présentant comme une mère éplorée, ravagée par l’inquiétude. C’est d’ailleurs cette théâtralité qui aiguisera la suspicion de certains soignants, motivant l’analyse de la présence d’anticoagulants dans le sang de la fillette. La pièce de théâtre s’est arrêtée avant sa fin dramatique.

Si le professeur Grandmont avait inspecté les pieds de sa patiente, il aurait probablement observé les multiples traces de piqûre, vestiges des injections répétées d’insuline à l’origine de ces mystérieux comas.À LIRE AUSSI La psychiatrie française en état d’urgence absolue Il aurait alors probablement adressé Alexandrine à un psychiatre pour tenter de briser la course effrénée de sa patiente. Malgré ses efforts, l’issue serait demeurée incertaine, car la recherche à propos de ce trouble est balbutiante et que l’on ne comprend pas encore tout à fait son origine ni les méandres de son évolution clinique. Certaines formes gravissimes peuvent mener à la mort, notamment lorsque le diagnostic n’est pas posé et que le rêve poursuit sa course, emmenant le fabulateur vers une nuit sans réveil.

*L’histoire clinique rapportée est fictive mais basée sur des faits réels qui ont été assemblés sans possibilité d’identification individuelle

(1) Hugo Bottemanne est psychiatre à l’hôpital Bicêtre et chercheur associé à l’Institut du cerveau (ICM) et dans l’équipe Moods de l’université Paris-Saclay.

(2) Lucie Joly est psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine et Trousseau, spécialisée dans la santé mentale des femmes, et enseignante à Sorbonne Université.

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