« Les cagoules, c’est le côté antisystème » : quand les bodybuildeurs de Bercy impressionnent les touristes

Le bus en provenance de l’aéroport Roissy – Charles-de-Gaulle se gare dans la gare couverte de Bercy (XIIe). À la sortie du véhicule, les touristes s’extirpent de ce hub délabré — qui fermera après les Jeux de Paris 2024 —, accueillis par les airs des classiques du rap français. « On dirait une scène d’un film qui se déroulerait en prison », glisse une voyageuse néerlandaise, dès qu’elle met un pied dehors, dans le parc de Bercy.

Voilà la scène qui se présente devant elle. Les équipements publics de musculation sont pris d’assaut. Mamadou fait des tractions, des poids attachés à la ceinture. Ludo, encagoulé, enchaîne les pompes et Youssouf exerce ses triceps aux barres parallèles. Les trois hommes sont des athlètes, leur corps sculpté, et des stars sur les réseaux sociaux.

Le premier cumule près de 2 millions d’abonnés sur TikTok. Chacune de ses séances est diffusée en direct sur son compte. En fond, les tubes de Kaaris et autres rappeurs à succès rythment leurs exercices. « En passant devant, je me suis dis qu’il y avait beaucoup d’hommes et que c’était potentiellement dangereux », souligne une jeune femme.

« C’est gratuit, on s’entraide et on avance ensemble »

Au premier abord, « on peut choquer », assume Ludo, « mais on met une bonne ambiance ! » En première année d’études supérieures, Armand, 20 ans et originaire du Val-d’Oise, s’entraîne deux à quatre fois par semaine sur ce site de street workout aménagé il y a une petite dizaine d’années. « La première fois, j’ai attendu dix minutes avant d’avancer vers les structures, je n’osais pas », se souvient le jeune homme, encore impressionné par ses partenaires de muscu.

Parc de Bercy (XIIe), avril 2024. Pompes, tractions, développé couché… Les bodybuilders de Bercy s’entraînent tous les jours.

« Ce sont des Français, des Maliens, des Syriens, des Afghans », liste « Medhy de Bercy ». Ici, cet ancien sans-abri qui travaille dans les transports est un peu le shérif de « Bercy Street Workout », le « frérot » pour certains, le « boss » pour d’autres. « Ce terrain, on l’a créé avec des sans-abri, des personnes issues de l’immigration. C’est gratuit, on s’entraide et on avance ensemble, tout le monde est le bienvenu. »

« C’est ambiance Prison Break mais on ne fait rien de mal »

Robert a appris à les connaître. Cet actif parisien de 54 ans parcourait le parc lors de ses sorties running lorsqu’il a découvert l’ambiance qui régnait autour de ce spot aujourd’hui devenu une référence en France. Des clips de rap y ont été tournés. « J’habite le XIIIe, je viens m’exercer presque tous les jours, ils sont très sympathiques. Et je découvre des sons de rap, j’aime beaucoup ! »

Parc de Bercy (XIIe), avril 2024. Chaque jour, des amateurs de muscu, parfois cagoulés, s’entraînent. Leurs exercices filmés sont vus en direct par des milliers d’internautes.

« On n’est pas des gangsters, appuie Medhy. Les voyageurs qui sortent de FlixBus sont impressionnés, ça fait penser aux ghettos, à Harlem, c’est ambiance Prison Break (deux murs en bêton de la gare encadrent une partie du terrain). Mais on ne fait rien de mal. La police passe souvent nous voir, d’ailleurs, certains sportifs qui s’entraînent sont des policiers, des militaires, des fonctionnaires. » Et la cagoule ? « C’est pour le fun, le côté un peu antisystème. Peut-être pas l’idéal en période Vigipirate », reconnaît-il.

Tout le matériel provient de la rue

« On m’a déjà dit que je faisais peur, remarque Youssouf. Mais j’enlève la cagoule, je leur explique. Je coache des jeunes, des filles aussi, qui se mettent à la musculation », poursuit l’athlète, qui pousse une barre d’environ 105 kg. Tout le matériel provient de la rue. « Ce sont des poids et des barres de chantier », sourit Mehdy.

Ici, « le corps est plus qu’un outil de sport », appuie le « boss » des lieux. Il est sculpté, travaillé telle une œuvre. Les bodybuildeurs de Bercy ont d’ailleurs été photographiés par l’artiste Marine Peixoto. Ses clichés sont exposés au BAL, plateforme culturelle installée dans le XVIIIe arrondissement. L’exposition, disponible jusqu’au 19 mai 2024, a même été labellisée Paris 2024.