Alors que les procès de propriétaires de logements indignes se multiplient à Marseille depuis le drame de la rue d’Aubagne, les services de police peinent à suivre le rythme
Marseille compte 40.000 logements indignes, soit 10% du parc immobilier. (Illustration)
Taudis – Alors que les procès de propriétaires de logements indignes se multiplient à Marseille depuis le drame de la rue d’Aubagne, les services de police peinent à suivre le rythme
A Marseille, les « marchands de sommeil » dorment désormais moins paisiblement. Face au fléau du logement indigne qui gangrène la deuxième ville de France depuis des décennies, la justice a durci le ton, multipliant poursuites, condamnations et confiscations.
Si le projet de loi contre l’habitat dégradé, qui arrive au Sénat cette semaine, est adopté, les juges pourraient disposer de sanctions pénales encore plus lourdes contre ceux qui exploitent des personnes vulnérables en leur louant des logements risquant de s’effondrer, infestés de rats, privés d’eau…
10 % du parc immobilier concerné
Dans la cité, « les magistrats ont désormais une vraie connaissance technique et une vraie volonté de lutter contre cette criminalité, surtout depuis le drame de la rue d’Aubagne », souligne l’avocat marseillais Aurélien Leroux, figure du combat contre l’habitat indigne.
Il y a un avant et un après 5 novembre 2018, lorsque deux immeubles vétustes de cette rue, dans le quartier populaire et paupérisé de Noailles, au centre-ville, se sont soudainement effondrés, provoquant la mort de huit occupants. Un choc pour la ville qui, a découvert le secret de Polichinelle : Marseille compte 40.000 logements indignes, soit 10 % du parc immobilier.
«Ã‚ Rue d’Aubagne a été comme un catalyseur d’une politique pénale du parquet plus active, plus large et plus offensive en la matière », assure àMatthieu Grand, l’un des trois juges d’instructions chargé de ce dossier symbolique. Entre 2011 et 2019, le nombre de poursuites liées au logement indigne était infime. Mais depuis 2019, plus de 23 affaires ont été traitées – pour refus d’exécution de travaux, soumission de personnes vulnérables àdes conditions d’hébergement indignes ou refus de relogement – et déjà11 sont prévues pour 2024.
Désormais « une dizaine de condamnations » sont prononcées par an, se félicite le procureur adjoint de Marseille Jean-Yves Lourgouilloux. Elles sont aussi plus lourdes, les procédures s’appuyant davantage sur le Code pénal, où les prévenus risquent jusqu’à dix ans d’emprisonnement, que sur le code administratif aux sanctions moins sévères.
Prison ferme et confiscation de biens
L’une des plus symboliques fut celle fin janvier de Gérard Gallas, ex-policier condamné à cinq ans de prison, dont quatre ferme, pour avoir loué ses taudis à des personnes vulnérables. En sus, deux de ses immeubles ont été confisqués. « Taper sur les gros permet de faire réaliser aux petits qu’ils ne peuvent pas continuer à laisser leur logement dégradé en toute impunité », estime Francis Vernède, de la Fondation Abbé Pierre.
Une des difficultés est que les victimes, souvent des personnes en situation irrégulière ou de pauvreté, « ne vont pas se plaindre de leur condition de vie indigne », explique Jean-Yves Lourgouilloux. Aux pouvoirs publics alors d’alerter. Or, juges et procureurs soulignent que l’ancienne municipalité de droite n’avait fait « pratiquement aucun signalement » basé sur l’article 40, qui permet à tout agent public de saisir la justice sur des faits constitutifs d’un crime ou délit. « Pour ouvrir une enquête, il nous faut des signalements », martèle le procureur adjoint Jean-Yves Lourgouilloux.
Depuis l’arrivée en 2020 de la nouvelle municipalité de gauche, « plus de 150 signalements à la justice ont été faits en trois ans et demi » visant des propriétaires, s’enorgueillit Patrick Amico, adjoint au Logement.
Des services de police débordés
Mais, face à l’ampleur des signalements (hors article 40), effectués via avocats, locataires ou lettres de dénonciation, les services de police sont débordés : seuls deux officiers de police judiciaire sont dédiés aux enquêtes d’habitat indigne, un nombre « insuffisant pour une ville comme Marseille », remarque le magistrat.
Le parquet doit donc « prioriser » ses enquêtes en se concentrant sur « les cas les plus graves ». Mais il compte un magistrat référent dédié à cette thématique devenue « prioritaire » et à ces « dossiers de longue haleine, très techniques et souvent combattus avec force » par les propriétaires. « Un dossier met environ deux ans à arriver » devant le tribunal, relève le procureur.
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