Ni mignonne ni gentille : la beauté d’outre-tombe du heavy metal

Féminin et féministe, le heavy metal – à l’honneur à la Philharmonie de Paris – propose un rapport subversif au beau, transcendant l’idée de séduire.

Le teint blafard, les yeux fardés de noir et les cernes accentués, c’est un glamour cadavérique qui fait connaître la mannequin Gabbriette, prêtant son visage à Dolce & Gabbana, Diesel, Heaven by Marc Jacobs ou encore Zalando. Outre-Manche, la dernière campagne de la créatrice Dilara Findikoglu, affiche des modèles à la peau entièrement blanchie, les sourcils gommés, les lèvres effacées et une allure livide qui flirte avec le roman gothique.

La maquilleuse Isamaya Ffrench, quant à elle, se dessine non pas un cat’s eye, mais un bat’s eye pour promouvoir sa ligne de beauté éponyme – soit des ailes de chauve-souris pour orner son visage de la créature nocturne, le tout agrémenté des piercings sur les arcades sourcilières. Sans oublier Julia Fox, pin-up metal qui arbore des paupières scintillantes brumeuses et des sourcils soigneusement épilés formant des arcs menaçants, prête pour un bal masqué macabre.

Alors que la Philharmonie de Paris présente jusqu’au 29 septembre sa toute dernière exposition, Metal, qui retrace l’histoire du heavy metal – le genre musical et sa culture visuelle –, son esthétique monte en puissance depuis plusieurs années, et émerge aujourd’hui sur de plus en plus de visages. L’idée de cette beauté d’outre-tombe ? S’imposer comme le contrepied de la tendance healthy, no makeup et sa promotion de valeurs saines et naturalistes.

Là, il s’agit d’une réactualisation pop et 3.0 du courant débutant vers la fin des années 60, à commencer par les groupes Deep Purple, Led Zeppelin et Black Sabbath. Ce rock distordu est fier de ses dissonances, de ses subversions, jouant avec le bon et le mauvais goût, mais aussi les tabous de la mort, du sang, de l’occulte et de la violence. Et avec, un champ esthétique hautement codifié distordant la place du beau.

Ni doux ni gentil : la subversion de la beauté

Fluide de nature, le metal s’arbore chez les hommes par le port de longs cheveux. “Le cheveu long recouvrant les yeux, participe au jeu de scène, à la danse… il y a tout un enjeu libertaire, une rébellion contre l’ordre établi du cheveu, contre les têtes rasées militaires autant que la morale chrétienne bien peignée” explique Milan Garcia, co-commissaire de l’exposition Metal.

Le maquillage se résume souvent à une peau blanchie et des yeux peints en noir, creusés, des lèvres également ébène, évoquant crâne, squelette et iconographie fantomatique qui inspirera par la suite Edward aux Mains d’Argent de Tim Burton. Les oreilles sont souvent cloutées, le visage aussi, l’idée étant de se distancer, coûte que coûte, du sain, du soigné, du corps rangé et réglementé par la société bourgeoise.

Si le genre musical est de prédominance masculine, les femmes aussi s’y attèlent, et cette esthétique permet aussi de défaire certains mythes de beauté et de bienséance féminine.​ Souvent arrivées par le biais de la musique classique apposée à de la musique metal, elles participent notamment à faire émerger un nouveau genre, le “symphonic metal”. Dans cette fusion, elles empruntent au vestiaire autant qu’aux fards des imaginaires historiques alternatifs – les sorcières et les méchantes chères aux contes et aux films Disney. De Maléfique cornée à Cruella à la coiffe bicolore, la quête de la beauté est de se distancer, justement, de la séduction. Et ce, en 4 volets esthétiques.

Medievalcore : beauté metal(isée)

Force est de constater que l’histoire – et ses relectures pop – dispose d’un grand pouvoir d’inspiration et de retournement. Tarja Turunen, Simone Simons du groupe Epica, Sharon Den Adel de Within Temptation croisent voix soprano et sonorités heavy metal, le tout dans un vocabulaire scénique et esthétique médiéval chimérique, aussi baptisé meta-medieval.

ni mignonne ni gentille : la beauté d’outre-tombe du heavy metal
Simone Simons du groupe Epica au festival Lowlands au Pays-Bas, le 19 août 2006. Photo de Peter Pakvis/Redferns/Getty Images

Yeux fardés de teintes cuivrées, argentées – c’est par ces teintes irisées que le metal(isé) rejoint leur beauté faussement Ancien Régime. Les cheveux sont portés en cascades d’ondulations, raie au milieu, supposant un classicisme savamment chahuté, soigné pour être mieux secoué. Le tout parle d’un passé relu, où la place de la femme est réécrite, et, où, cette fois-ci, c’est elle qui tient le micro, conjugue diadème et guitare éléctrique.

Biker beauty : androgynie on the road

Il y a d’autres variantes, plus brutes. En témoigne le look de la chanteuse Doro Pesch, la reine du heavy metal qui porte du cuir, arbore des cheveux et un maquillage tout terrain : frange nette coupée d’un coup de ciseau, gardée loin du peigne et du lisseur, le tout agrémenté d’eye-liner coulant, partagé avec ses homonymes masculins.

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Doro Pesch de Warlock sur scène à l’Aragon Ballroom à Chicago le 5 mai 1988. Photo de Paul Natkin/Getty Images

Quant au girlband Girlschool, entre heavy metal et hard rock britannique, c’est le mullet androgyne bouclé, assorti de franges bouffantes et de crinières peroxydées et le Kohl qui sont à l’honneur. Le résultat ? Un message a priori contradictoire : durcir et non adoucir ou rajeunir les traits du visage. Les musiciennes se distancient d’un féminin assimilé à une douceur, pour adopter un physique fardé, certes, mais servant de masque, de bouclier –  un symbole de défiance. Une esthétique qui rappelle aussi les films Bounce, Mad Max ou encore Blade Runner, dans lesquels le corps voyage, survit, demande de l’agentivité. La dichotomie vierge et catin, femme objet et femme fatale font du féminin une arme de guerre.

Goth metal : le culte de l’occulte

Non loin du médiéval et toujours dans un registre historique, le metal se conjugue avec une grammaire gothique. Ainsi, Amy Lee du groupe Evanescence porte le cheveu de jais lissé, teint blafard et collier de tête ; Ji-In Cho oscille entre vamp et vampire, lèvres pourpre façon Dracula ; Floor Jansen de Nightwish porte les lèvres prune, les yeux smoky ténébreux et la chevelure rousse, réveillant des imageries de sorcières. La teinte cadavérique, la frayeur, et la mauvaise santé ici célébrées, participent à un imaginaire féminin déviant, loin d’une fétichisation d’une fraîcheur et jeunesse féconde.

ni mignonne ni gentille : la beauté d’outre-tombe du heavy metal
Floor Jansen de Nightwish se produit sur scène au Mediolanum Forum le 4 décembre 2018 à Milan. Photo de Sergione Infuso/Corbis via Getty Images

Ce jeu avec l’occulte diamétralement opposé à toute bienséance est central au metal. Jouant avec l’idée de l’occulte et du diabolique aussi, son esthétique fait écho à l’usage du triton dans ses sonorités. Cette suite de notes est aussi connue sous le nom de “l’intervalle du diable”, accords dissonants appelés au Moyen-Age le “diabolus in musica”. Diaboliquement insolentes ?

Folklore, j’adore

Si le metal offre une capacité à s’hybrider et créer des sous-genres, le folk metal dialogue avec des musiques – et des esthétiques – locales et traditionnelles. Fabienne Erni du groupe de melodic death metal suisse Eluveitie insère des codes traditionnels et régionaux. Laura Guldemond de Burning Witches joue sur le folklore germanique, reprenant des mythologies locales de guerrières avec une chevelure blonde à faire rêver les Vikings, avec des nattes piquées d’ornements métalliques. Quant à la chanteuse de pagan-folk metal, Masha Scream de Arkona, elle arbore chevelure fleurie et couronnes tissées, évoquant des cultures slaves et le paganisme – non sans rappeler le film d’horreur bucolique Midsommar.

Maquillées, féminines et féministes, les chanteuses heavy metal refusent le corps objet et imposent leur beauté comme un retournement, “d’une industrie qui voudrait les instrumentaliser, et se défendre du choix de s’habiller comme elles le veulent” rappelle Milan Garcin – pour parer de sens nouveaux des codes anciens. Le Metal et ses beautés sorcières, dissidentes, arrivent comme un souffle, un cri, et une palette – s’affirmant dans le fond et la forme.

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