L’artiste américain Richard Serra est décédé le 26 mars 2024, à l’âge de 85 ans. Ici en 2010, avant la remise des prix du Prince des Asturies.
Il a fait du poids avec la légèreté visuelle de ses œuvres qui pesaient jusqu’à des centaines de tonnes et où l’expérience de la visite restait souvent gravée à jamais dans les cœurs des spectateurs. Mardi 26 mars, l’artiste américain reconnu dans le monde entier est mort d’une pneumonie, à l’âge de 85 ans, à Orient, New York.
Lion d’or à la Biennale de Venise, grandes rétrospectives au Centre Pompidou à Paris et au Museum of Modern Arts à New York, installation gigantesque permanente de spirales et de labyrinthes au musée Guggenheim de Bilbao, commande monumentale de murs d’acier pour le Grand Palais à Paris ou des tours dans le sable du Qatar… Heureusement pour lui, Richard Serra a pu profiter encore de son vivant de son entrée dans l’histoire de l’art comme l’un des plus grands sculpteurs de son époque. Un artiste qui a créé, en tordant les volumes, des formes jamais vues auparavant.
Né sur la côte ouest, à San Francisco, le 2 novembre 1938, Richard Serra a étudié les beaux-arts à Yale, dans le sud, avant de vivre et travailler à New York, sur la côte est des États-Unis. Est-ce cette vie alimentée et agitée par les différents pôles géographiques qui se retrouve dans ses œuvres, célébrées pour leur tension si forte et mystérieuse ?
Un monstre en acier échoué à terre
Tous ceux qui l’ont rencontré évoquent le regard d’acier des yeux bleus de Richard Serra. Fils d’une mère juive d’Odessa, en Ukraine, et d’un père d’origine espagnole de Majorque, le petit Richard a un déclic sur le chantier naval de San Francisco. Là où son père travaille, il voit sortir, à l’âge de 4 ans, un cuirassé des chantiers navals. Être face à un monstre en acier échoué à terre, et le tremblement de sens par la matière qui va avec, une expérience qui n’a plus jamais lâché l’artiste. Ce n’est pas un hasard qu’il travaille pendant sa jeunesse tous les étés dans une aciérie…
Quand Serra posait en 2008 pour la manifestation Monumenta dans les 13 000 mètres carrés du Grand Palais de Paris cinq plaques en acier à la fois fines – avec une épaisseur de seulement 13 centimètres –, mais aussi gigantesques – 17 mètres de haut et 4 mètres de large, pesant chacune 73 tonnes –, il expliquait au micro de RFI sa gigantesque installation Promenade : « Le contenu de l’œuvre se trouve en vous, en tant que spectateur. Et non pas dans ces grandes plaques. Le sujet, c’est l’expérience que vous avez en rentrant dans cet espace et en vous y déplaçant. C’est votre expérience de cette œuvre. Ces cinq plaques en acier ne signifient rien. Le véritable contenu de l’œuvre est le spectateur qui s’y déplace à travers l’œuvre. L’expérience qu’il a dans la durée. Le temps devient une valeur en lui-même. »
Une sensation intime transformée en œuvre partagée
Avec chaque création, Richard Serra veut provoquer chez le spectateur une sensation intime dans un lieu public, destiné à se transformer lui-même en œuvre partagée. Une équation qui ne fonctionne pas toujours comme il l’a imaginé ou espéré. Certaines de ses installations provoquent des réactions violentes. L’exemple le plus emblématique est sa sculpture monumentale Tilted Arc, inaugurée en 1981 sur la Federal Plaza, une place d’affaires de New York, et très vite contestée par les riverains. Huit ans après, et à la suite de nombreuses pétitions et de batailles judiciaires contre l’œuvre, l’artiste doit démonter cette plaque de métal de 3,6 mètres de haut sur 36,6 mètres de long. Et bien d’autres pièces de Serra provoquent l’incompréhension : Octagon for Saint Eloi, par exemple, posée en 1991 sur la place de l’église de Changy en Saône-et-Loire en France, sera surnommée « le boulon » par les habitants.
En revanche, à Berlin, suite à une dispute, c’est lui-même qui a retiré son projet pour le mémorial de l’Holocauste. Lorsque son projet a été modifié, Serra l’a retiré fin des années 1990 « pour des raisons privées et artistiques ». Par contre, l’idée de représenter une mer de stèles est restée.
Le choc de l’atelier Brancusi à Paris
Serra a créé des sculptures pour plus d’une centaine de lieux publics, de Philadelphie et Saint-Louis en passant par New York, Paris, Berlin ou Bilbao, ou encore São Paulo. Mais avec la France, Richard Serra entretenait une relation particulière. Grâce à une bourse, il découvre en 1965 le travail de Giacometti, l’un de ses maîtres qu’il passait « des heures à observer à la coupole, telle une groupie », a-t-il confié à RFI.
Mais Paris, c’est surtout le choc de l’atelier de Brancusi reconstitué au Musée national d’art moderne. Sa rencontre avec l’œuvre du grand artiste roumain sera cruciale pour la décision du peintre de devenir à son tour sculpteur. Mais là où Brancusi excellait à la recherche de l’élégance et légèreté avec ses socles et sa façon d’épurer ses sujets et de tracer une ligne dans l’espace, à l’image de l’Oiseau dans l’espace, Serra fera l’inverse. Il est en quête de la forme, pas de l’image. Grâce au jeu d’équilibre et l’immense poids de ses plaques en acier, l’artiste américain cherchait souvent à susciter auprès du spectateur un sentiment d’insécurité et de trouble.
En Espagne, le pays de naissance de son père, il a trouvé un autre élément clé de son futur approche artistique. Les Ménines de Velásquez lui font comprendre l’importance d’intégrer le spectateur dans la conception et la perception de l’œuvre : « Je l’ai regardé un bon moment avant de réaliser que j’étais une extension de la toile. Ça a été une révélation. »
Un équilibre à la fois menaçant et poétique
Avant que l’acier devienne son matériel fétiche, il utilisait aussi le caoutchouc et le plomb liquide. Dans une interview au quotidien Le Monde, en 2008, il expliquait comment l’acier est entré dans sa vie : « Un jour, en posant une plaque de plomb dans l’angle de l’atelier où j’étais avec Jasper Johns, j’ai vu qu’elle tenait seule, à la verticalité. Je me suis alors procuré de grandes plaques d’acier : c’est l’origine de ces pièces (Strike) qui s’insèrent, sans fixation, dans l’angle d’une pièce et transforment la perception. »
En 1969, il fait naître son œuvre fondatrice, One Ton Drop (« House of Cards »), dotée d’une fragilité apparente digne d’un château de cartes. En fait, il positionne quatre plaques de plomb de façon à ce qu’elles ne fassent que se soutenir mutuellement. De cet équilibre à la fois menaçant et poétique, il fera dorénavant sa signature.
En 1997, la Documenta à Kassel, une des plus grandes foires d’art contemporain au monde, doit commander une grue pour soulever et honorer les plus de 100 tonnes d’acier de l’œuvre de Richard Serra.
Après son décès, ses créations deviendront véritablement des œuvres « autoportantes ». Mais, même sans le soutien du maître, ses sculptures monumentales en acier brun-orangé continueront de susciter les émotions des spectateurs.
News Related-
Foot: Cristiano Ronaldo la joue fair-play en Ligue des champions asiatique
-
A Panmunjom, des soldats nord-coréens munis d'un pistolet après l'annulation de l'accord militaire intercoréen
-
Assurance chômage: les partenaires sociaux ont six mois pour renégocier, notamment sur les seniors
-
«Je ne regardais les réseaux sociaux que 15 minutes par jour»: la méthode d’Ulysse, major à HEC
-
Décarbonation, souveraineté, compétitivité... Macron attendu aux assises de l'économie de la mer à Nantes
-
Sam Bennett, un sprinteur à relancer pour Decathlon-AG2R La Mondiale
-
Burkina Faso: une attaque terroriste d'ampleur vise la ville de Djibo, dans le Sahel
-
VIDÉO. Fair-play, Cristiano Ronaldo obtient un penalty avec Al-Nassr et le fait annuler
-
EXCLU EUROPE 1 - Vieillir à domicile, un luxe de plus en plus coûteux
-
Guerre en Ukraine : quel est le rapport de force avant l’hiver ?
-
Pollution : Pourquoi la qualité de l’air n’est-elle jamais « bonne » en Bretagne ?
-
Ligue des champions. Le PSG qualifié pour les huitièmes de finale de C1 si…
-
Les trois meilleurs sacs banane en 2023
-
Assurance chômage : comment l’État met la pression sur les partenaires sociaux