« Je me suis bien amusé » : rencontre avec Pierre Agostini, prix Nobel de physique

« je me suis bien amusé » : rencontre avec pierre agostini, prix nobel de physique

«Ã‚ Je me suis bien amusé » : rencontre avec Pierre Agostini, prix Nobel de physique

Une poignée de main ferme et franche avant d’atterrir dans un havre de paix, tapissé d’albums de John Coltrane comme de livres de Joseph Conrad et de Jack Kerouac. Quand on pose les yeux sur la table basse, on se retrouve face à The Pole, « le Polonais », le livre du romancier sud-africain J. M. Coetzee. « Cela me fait penser au rasoir d’Ockham, il raconte les choses sans fioriture », confie Pierre Agostini. Ce qui frappe lorsqu’on le rencontre pour la première fois dans son appartement parisien, c’est son extraordinaire simplicité. « À l’université de l’Ohio, où je continue d’enseigner comme professeur émérite, on m’a dit que j’étais un dieu. Or, dans ma vie, rien n’a changé, explique le scientifique de 82 ans, qui paraphrase volontiers une citation de Pierre Dac. L’avenir, il est derrière moi. »

Et pourtant, il y a tout juste cinq mois, il a reçu le prix Nobel de physique. Le champ d’observation de celui qui interviendra le 29 février au Paris-Saclay Summit ? Avec la Française Anne L’Huillier et l’Austro-Hongrois Ferenc Krausz, ses deux corécipiendaires, ce chercheur, qui a passé une grande partie de sa carrière au Commissariat de l’énergie atomique (CEA), s’est mis en tête de percer les secrets de l’infiniment petit. Et s’est notamment penché sur les électrons, qui, gravitant autour des noyaux, forment les atomes. Pour cela, les chercheurs ont bombardé ces électrons avec des photons, avec des impulsions de durée de plus en plus courte, la dernière frontière étant l’attoseconde, soit 10-18 seconde.

L’électron, pièce fondamentale

«Â Pour comprendre à quel point c’est un challenge important, il faut avoir à l’esprit qu’il y a le même écart entre une seconde et une attoseconde qu’entre l’âge de l’univers et la durée d’un battement de c?ur », expliquait au Point le directeur de recherche au CNRS Franck Lépine, lors de l’annonce du prix Nobel en octobre 2023. « Concrètement, on parle d’utiliser la lumière pour observer et contrôler les propriétés de la matière en agissant directement sur les électrons. Des particules qui, à l’origine de la création des liaisons chimiques, constituent une sorte de glu maintenant les molécules et la matière ensemble. L’électron, c’est vraiment la pièce fondamentale de tous les mécanismes, à la fois dans la nature et dans les technologies », précisait le scientifique, qui collabore régulièrement avec Anne L’Huillier et ses colauréats. Et tout cela pour quoi faire ? « C’est un domaine de recherche fondamentale ? qui permet, par exemple, de tester les lois de la mécanique quantique ?, mais dont on voit aussi déjà très bien les applications concrètes dans des domaines aussi variés que la science des matériaux, l’électronique, le diagnostic précoce des maladies, l’optimisation de cellules solaires, etc. »

Cette passion pour les secrets de l’infiniment petit est venue à Pierre Agostini sur le tard. « J’ai grandi à Tunis, avec mon jeune frère et mes grandes s?urs. Je me souviens des étés très chauds et de la plage des officiers à Salambo. Le collège Alaoui n’était pas très loin. Pour aller au lycée Carnot il me fallait un vélo ! » explique celui qui, lorsqu’il habite à Paris (c’est-à-dire la moitié de l’année, il passe le reste du temps aux États-Unis), se livre toujours à une séance d’entraînement trente minutes par jour.

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«Â J’étais plutôt un bon élève. À 17 ans, j’ai quitté la Tunisie pour le Prytanée national militaire, dans la Sarthe, et des études plutôt littéraires pour une première plus orientée vers les maths. Un changement de vie radical que j’ai supporté trois ans ! » raconte-t-il. À l’époque, ce fils de militaire se montre un peu rebelle, surtout lorsqu’il découvre la contre-culture. « J’aimais bien les romans et la musique de jazz que mes parents détestaient », poursuit celui qui découvre Le Bruit et la Fureur, le roman de l’Américain William Faulkner, à 17 ans.

Laser

Il n’empêche, la science pleine de curiosités commence à l’attirer : « J’ai toujours aimé les maths, et j’ai commencé à m’intéresser à la physique à l’université. Au début, je me voyais plutôt comme un ingénieur, ce qui était mon premier titre au CEA, et la recherche, avec la fascination pour les questions ouvertes, m’a rattrapé alors que j’avais déjà 27 ou 28 ans. » Pour quelles raisons ? « C’est un intérêt qui m’est venu au fur et à mesure que j’ai multiplié les expériences », révèle-t-il.

Retracer la carrière de Pierre Agostini, c’est revenir sur l’histoire des lasers, dont l’invention est aussi marquante à ses yeux que la théorie de l’évolution ou encore les découvertes sur la structure du cosmos. D’ailleurs, ces derniers n’ont cessé de gagner en puissance. À l’époque de ses explorations, le chercheur croise sur son chemin le physicien Gérard Mourou, lui aussi Prix Nobel, spécialiste des champs électrique et du laser, venu plusieurs fois alors qu’il travaillait pour le CEA à Saclay lui emprunter du matériel. S’il adore les expériences, Pierre Agostini a aussi été marqué par la qualité des cours de Claude Cohen-Tannoudji, au Collège de France, dont il apprécie la « rigueur mathématique ». Également dans son panthéon, le physicien américain Steven Weinberg, qui a reçu le prix Nobel en 1979, « pour la clarté de ses explications même si je ne comprends pas tout ! » sourit-il, ou encore la légende écossaise de l’électromagnétisme James Maxwell (1831-1879), « pour la beauté de ses équations? ».

On ne peut s’empêcher de demander à cet homme affable quel est son rapport au temps. « Un des problèmes du temps, c’est le rapport avec le continuum : est-ce que le temps est infiniment divisible ? En dépit de l’apparence (pico, femto, atto, zepto?), il semble qu’il y ait une limite absolue avec le temps de Planck, comme les atomes limitent le continuum de l’espace. Pourtant, rassurons-nous, nous sommes encore loin de cette limite fixée à 1044 seconde ! » développe-t-il.

Passion

En quoi travailler sur l’infiniment petit nous conduit-il à revoir les certitudes du monde physique traditionnel ? « Le monde du très petit est complètement différent de ce que notre intuition nous suggère. En effet, ni l’intrication ni la superposition, bref, rien dans la physique quantique ne ressemble à ce que nous connaissons intuitivement. » Doit-on alors encourager les étudiants et les professeurs à lancer leurs projets entrepreneuriaux, comme c’est le cas dans une grande partie des facs américaines ? « J’ai vu beaucoup d’étudiants américains qui, une fois docteurs, ont créé une start-up. Il me semble que c’est une bonne chose. Même si la recherche fondamentale reste imbattable pour les découvertes », explique ce père d’une fille, Brigitte, et grand-père de deux petits-enfants âgés de 22 et de 24 ans.

Justement les découvertes et les expérimentations ne lui manquent-elles pas, lui qui se limite aujourd’hui à donner des cours tout en passant la moitié de sa vie dans l’Ohio ? Son ?il s’allume. « Je me suis bien amusé en transmettant ma passion, je continue de m’amuser », réalise-t-il, une lumière dans les yeux. L’appétit est intact. Souhaite-t-il un jour s’investir davantage en France ? « Je me tiens à la disposition de l’université de Saclay, s’ils ont besoin de moi? » Le message est passé.

Repères

23 juillet 1941 Naissance à Tunis.

1956 Arrivée en France.

1967 Soutient sa thèse et rejoint le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay.

2002 Départ à la retraite du CEA.

2005 Nommé professeur de physique à l’université d’État de l’Ohio.

2023 Colauréat du Prix Nobel de physique pour ses contributions à la science attoseconde, aux côtés de Ferenc Krausz et d’Anne L’Huillier.

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