Aux manettes du dispositif de prime à l’embauche des apprentis en 2020, Muriel Pénicaud appelle désormais le gouvernement à revoir le mécanisme. LP/Frédéric Dugit
Quatre ans après son initiative, Muriel Pénicaud appelle finalement à rétropédaler. L’ancienne ministre du Travail exhorte l’exécutif à « réduire ou supprimer » la prime à l’embauche des apprentis « pour les grandes entreprises ». Un dispositif destiné à doper l’apprentissage, qu’elle avait elle-même mis en place en 2020, alors membre du gouvernement d’Édouard Philippe.
La mesure avait été lancée « dans l’esprit que cela ne serait que pour la crise Covid » et n’est plus pertinente en l’état aujourd’hui, à l’heure où l’État cherche à faire des milliards de coupes budgétaires, a-t-elle jugé dans un entretien à l’émission « Complément d’Enquête », diffusée jeudi soir sur France 2.
Après une réforme de l’apprentissage lancée en 2018, la prime à l’embauche d’apprentis avait été créée en juillet 2020, puis reconduite à plusieurs reprises, jusqu’à maintenant. « L’apprentissage, c’est la garantie d’un travail qualifié », avait assuré au Parisien Muriel Pénicaud cette année-là, quelques mois avant d’être remplacée par Élisabeth Borne.
Cette prime s’est un temps élevée à 5 000 euros pour un mineur et 8 000 pour un majeur, avant d’être ramenée à 6 000 euros quel que soit l’âge. Elle est distribuée aux entreprises peu importe leur taille, rappelle « Complément d’enquête ». La part d’apprentis n’a depuis cessé de progresser, passant de quelque 856 000 en 2021 à plus d’un million en janvier 2024.
Mais, face à l’ampleur des économies à réaliser aujourd’hui, l’ex-ministre avance désormais « une piste ». « Comme il faut faire des priorités, il vaut mieux investir plus sur la formation des aides-soignantes, ou du cuisinier ou du boulanger, qui sont toutes pénalisées aujourd’hui, et au contraire peut-être arrêter les primes à l’embauche d’apprentis pour les grandes entreprises », a-t-elle posé.
« Participer à l’effort de la nation »
«Ã‚ C’était exceptionnel pour la crise Covid, on n’y est plus », a-t-elle aussi argué, estimant donc que ce n’était « plus la peine » de verser ces coups de pouce aux grandes entreprises. Ces dernières « peuvent prendre leurs responsabilités sur ce sujet-là », a-t-elle appuyé, estimant qu’il « ne faut pas baisser la qualité de la formation des jeunes, c’est la priorité ».
Questionnée sur le cas spécifique de l’apprentissage chez Carrefour, auquel ce numéro de Complément d’Enquête était en partie consacré, Muriel Pénicaud a reconnu que le versement de primes à l’embauche « encourage (ait) » le groupe à recruter des apprentis. « Mais s’ils peuvent participer à l’effort de la nation pour former les jeunes, (…) il faut mettre les priorités », a-t-elle pointé, rappelant être « libre et indépendante » dans ses opinions depuis son départ du gouvernement.
Selon l’enquête de l’émission de France 2, Carrefour laisserait ses apprentis réaliser des tâches similaires à celles d’employés ordinaires, pour un salaire moindre, et sans leur livrer les heures de formation promises. Dans un hypermarché de Marseille, des alternants n’auraient même pas eu du tout de cours depuis près d’un an et auraient terminé leur année sans diplôme. Un « cas unique », pour lequel « une solution a été trouvée », a assuré de son côté la direction au magazine.
Le groupe présenterait aussi le contrat d’apprentissage comme un passeport vers le CDI, « le nombre de CDI signés par des jeunes dans l’année suivant leur alternance représentait 8 % du nombre d’apprentis embauchés entre 2021 et 2023 », selon l’émission. Une situation « choquante » pour Muriel Pénicaud, qui a estimé que si les faits reprochés étaient confirmés par l’autorité de régulation, Carrefour « sera sanctionné par les pouvoirs publics ».
Maintenir la prime pour les « jeunes handicapés »
L’ex-ministre a toutefois estimé que les primes à l’embauche devraient être maintenues dans un cas en particulier, celui de « l’accueil des jeunes en situation de handicap », un « sujet qui n’est pas encore là ». Au total, « 8 % des jeunes ont un handicap visible ou invisible », or ils ne représentent qu’« un peu moins de 2 % » des jeunes en centres de formation d’apprentissage, même si ce chiffre a « un peu augmenté » récemment. « Même pour les grandes entreprises, si c’est pour accueillir des jeunes handicapés, là je veux bien garder la prime », a-t-elle résumé.
Ces déclarations interviennent quelques jours après l’envoi d’un projet de décret par le ministère du Travail aux partenaires sociaux, en vue de supprimer l’aide à l’embauche pour les alternants en contrat de professionnalisation, à compter du 1er mai et jusqu’à la fin de l’année. Des primes à l’embauche de salariés en contrat de professionnalisation de moins de 30 ans avaient été créées en même temps que celles pour les apprentis.
L’aide unique de 6 000 euros serait donc réservée dès la semaine prochaine au recrutement des apprentis en formation initiale, en vue de réduire les dépenses de l’État. En actant en février 10 milliards d’euros de coupes budgétaires, le gouvernement avait prévu 1,1 milliard de crédits annulés pour la mission « travail et emploi ».
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