« Je n’étais pas trop dans le moule » : ils ont quitté le système scolaire classique pour des écoles alternatives

« je n’étais pas trop dans le moule » : ils ont quitté le système scolaire classique pour des écoles alternatives

Chaque année, certains élèves quittent le système scolaire classique pour s’inscrire dans des écoles alternatives. (Illustration) Sebastian Arié Voortman

Inscrite au lycée Janson de Sailly, où les classes peuvent atteindre les 40 élèves, Elia avait l’impression « d’être un numéro », dans une atmosphère « d’usine » qui ne lui convient pas. « J’ai toujours été bonne élève, mais je n’avais plus envie de travailler, j’avais de mauvais résultats », raconte la jeune femme, dont le départ de sa meilleure amie, son « seul repère », accentuera encore son mal-être.

Pour y répondre, en seconde, elle intègre l’école Gusdorf, à Paris, une école qui n’accepte que des enfants HPI (Haut potentiel intellectuel), après entretien et évaluation psychologique. « J’avais passé un test en 3e, pour comprendre mes difficultés à entrer en relation avec les autres », précise Elia. L’arrivée à Gusdorf est pour elle une libération : « On était 20 par classe, avec un suivi personnalisé ». Son emploi du temps est même adapté afin qu’elle poursuive ses cours de théâtre à l’extérieur. « Dans cette école, on fait du sur-mesure, on s’adapte à ce qui est important, à l’élève. En cours, il y a un vrai échange avec les enseignants, particulièrement en philosophie. Il y a de la place pour le débat, on n’est pas uniquement passif devant une feuille. ».

On nous incite à nous impliquer dans les cours. Et les profs nous soutiennent.

Sarah, en bachelor après une scolarité au cours Montaigne

Sarah aussi cherchait un cocon, en intégrant le Cours Montaigne en 4e, après deux mauvaises expériences dans des collèges publics. « Là-bas, nous étions en petits groupes, de 15 élèves maximums, avec une seule classe par niveau. Tout le monde se connaissait. Je suis restée avec la même classe jusqu’à la Terminale », se réjouit Sarah, aujourd’hui en Bachelor à l’ESCE dont la pédagogie « met l’élève au centre : il y a beaucoup de travaux de groupe et l’élève est vraiment sur le devant de la scène. On nous incite à nous impliquer dans les cours. Et les profs nous soutiennent. »

Un besoin d’adaptation de l’école à ses élèves qui plaît beaucoup aux collégiens et lycéens comme à leurs familles, généralement aisées : certaines de ces écoles coûtent plusieurs milliers d’euros l’année. « Les familles sont plutôt critiques de l’école publique, qui propose la même chose à tout le monde. Elles veulent du sur-mesure et portent des ambitions scolaires importantes », détaille Ghislain Leroy, maître de conférences en sociologie à l’université Rennes 2, auteur notamment de « Sociologie des pédagogies alternatives », qui note que les pédagogies alternatives qui ont le plus de succès sont celles qui « ne mettent pas à distance les objectifs scolaires ».

« On peignait, on faisait de la sculpture, du modelage, de la couture et même de la forge »

Si certaines écoles proposent des pédagogies alternatives diverses et se fondent sur une volonté de s’adapter, d’autres mettent l’accent sur des compétences qui sont moins exploitées ailleurs. Oskar a passé toute sa scolarité dans une école Steiner-Waldorf et a achevé un CAP Charpente complété d’un titre professionnel construction bois. « J’ai toujours eu ce côté manuel et quand en 12e classe, qui équivaut à la terminale, j’ai dû travailler à mon chef-d’œuvre [travail de fin d’étude, NDLR], je savais que je voulais construire quelque chose de mes mains ».

Ce sera une cabane en bois, et une révélation qui va le pousser à poursuivre dans cette voie : « Je voulais créer des choses en bois, dans lequel les gens vivent, donc dans la charpente, ou de la construction ». À la fin de sa dernière année, il entame un stage d’un mois dans une entreprise de construction bois à Meudon. Dès la rentrée suivante, il intègre un CAP charpente auprès des Compagnons du Devoir. Dans ces écoles, tout au long du cursus plus long d’un an pour répondre au programme scolaire, les lycéens peuvent suivre de nombreuses activités artistiques.

Giulia était inscrite dans la même école qu’Oskar, jusqu’en première. « Il y avait toujours une recherche de sensibilité artistique quel que soit le cours. Pour parler de la photosynthèse, on allait cueillir des plantes, on faisait des croquis à l’aquarelle », illustre celle qui est aujourd’hui chanteuse lyrique, et a été touchée par la place laissée aux matières artistiques : « Tous les élèves jouaient d’un instrument de musique, on chantait en chorale. On peignait, on faisait de la sculpture, du modelage, de la couture et même de la forge ! Cette école m’a permis de canaliser ma créativité. »

Un choix de vie observé chez bon nombre d’anciens élèves des écoles Steiner-Waldorf, « plus nombreux à s’orienter vers des filières artistiques, culturelles et sociales », remarque Rebecca Shankland, professeure des universités en psychologie du développement et autrice d’une thèse sur « les pédagogies nouvelles, aide à l’adaptation ou facteur de marginalisation dans l’enseignement supérieur ». « Les élèves issus d’écoles alternatives souhaitent davantage s’engager dans des études en lien avec leurs valeurs ou leurs passions », constate la chercheuse.

Des élèves abîmés

Mais les écoles alternatives accueillent aussi un autre public, souvent abîmé dans un parcours classique, un mouvement qui pose la question de l’accueil des publics fragiles, parfois plus faibles scolairement, dans le système classique et « les pousse à chercher un refuge parfois illusoire », estime Ghislain Leroy.

« Je n’étais pas trop dans le moule de l’élève qui réussit », confie Pierre-Lou, arrivé en dernière année de lycée à l’Archipel, une école démocratique dans la Drôme, après un parcours « d’élève moyen », orienté vers une filière STMG « qui ne me plaisait pas plus que ça ». Une orientation ressentie comme « une façon de le mettre à un endroit » sans vraiment savoir si cela lui convenait. En souffrance dans le système classique, après une année de première « difficile mentalement », Pierre-Lou n’a « pas du tout envie de reprendre » à la rentrée de terminale. L’une de ses amies intègre alors l’Archipel. Il est séduit par la liberté scolaire promise par l’établissement.

Le principe des écoles démocratiques est « de faire des enfants des acteurs de leurs apprentissages et non des consommateurs d’école », explique Pauline Pelissier, cofondatrice de l’Archipel. La base de cette pédagogie est de faire confiance à l’enfant, ne pas lui imposer de choix d’activités ou d’horaires. « Sauf qu’en France, ce n’est pas possible de laisser entièrement ce choix aux élèves », détaille-t-elle. À l’Archipel, inspectée comme toutes les écoles hors contrat, 5 heures de cours sont désormais obligatoires chaque semaine.

Je me suis retrouvée en filière générale, comme dans une usine. Les profs ne connaissaient pas nos noms alors qu’on les voyait tous les jours de la semaine.

Blanche, à l’école démocratique L’archipel

Blanche, arrivée à l’Archipel en même temps que Pierre-Lou, est soulagée lorsqu’elle intègre cette « communauté » où « on est un individu à part entière » après un parcours scolaire compliqué. « Pour moi, ça s’est mal passé à partir du lycée : je voulais aller en filière ST2A, mais je n’ai pas été prise. Je me suis retrouvée en filière générale, comme dans une usine. Les profs ne connaissaient pas nos noms alors qu’on les voyait tous les jours de la semaine. » La famille de Blanche a même déménagé pour qu’elle puisse arriver à l’Archipel, après une dépression en seconde dans le Jura et une première à Paris.

« Le matin, c’est nous qui décidions ce qu’on allait travailler »

« L’idée est que les apprentissages viennent d’eux, mais il faut les nourrir. Ces écoles démocratiques peuvent devenir des années à ne pas apprendre grand-chose », met en garde Ghislain Leroy. Une mise en garde que partage le Comité national d’action laïque. Dans une enquête de 2022 sur les écoles hors contrat, le comité a épluché les rapports des inspections académiques et a relevé de nombreuses insuffisances.

Il est compliqué de savoir ce qui dans la trajectoire du jeune est lié ou non à ce qu’a fait l’école

Ghislain Leroy, sociologue

Ainsi, dans les écoles Montessori, les formateurs, qui ne sont pas enseignants, « ont des carences pédagogiques dues à une formation parcellaire ». Dans les écoles Steiner, « des pratiques non conformes aux exigences du socle commun ont cours » et « des rituels et des conditionnements semblent contredire l’affichage laïque de ces écoles et ne pas respecter la liberté de conscience des enfants ». Quant aux écoles démocratiques, deux ont été fermées pour des « manquements préoccupants ». Pour Stéphanie de Vanssay, l’une des autrices de l’enquête, si des éléments intéressants peuvent exister dans ces pédagogies, le problème du manque de contrôle est criant. « La qualité des apprentissages va différer beaucoup suivant les établissements », résume une ancienne éducatrice Montessori, qui a travaillé dix ans dans ces écoles.

De son côté, Rebecca Shankland, souligne qu’il n’existe que peu d’études comparant les différentes écoles à pédagogies alternatives mais constate que les anciens élèves et parents rapportent des compétences différentes, sur la créativité dans les écoles Steiner, ou le développement de l’autonomie dans les écoles Montessori. Quelle que soit la pédagogie proposée, « il est compliqué de savoir ce qui dans la trajectoire du jeune est lié ou non à ce qu’a fait l’école » ajoute Ghislain Leroy.

Pierre-Lou, lui, profite de la liberté qui lui est accordée pour alimenter sa passion pour la musique dans le studio d’enregistrement de l’établissement. Pour le reste, « l’autonomie, ce n’est pas simple à acquérir. Là-bas, personne ne nous pousse. Donc on doit le faire soi-même. » Blanche aussi est déstabilisée au début : « l’autonomie ça fait peur, on a l’impression qu’on ne va pas y arriver. » Le soutien des adultes est déterminant dans cet apprentissage de la liberté : « Le matin, c’est nous qui décidions ce qu’on allait travailler. On avait accès à des livres, des applis, des vidéos pour préparer le bac. Si besoin, on demandait aux adultes de nous aider. Ils étaient aussi là pour nous rappeler les dates importantes à ne pas louper ! »

Retour dans des cursus classiques

Passer le bac n’a pas pour autant été facile pour Pierre-Lou, seul en STMG. « Il y a quand même pas mal de fois où je ne faisais rien, ce qui est discutable vu le prix et l’opportunité que j’avais d’être là. » Finalement, après son bac et un an de césure, Pierre-Lou entame des études de sound designer à l’école Studio M de Grenoble. « Ce que j’ai fait à l’Archipel m’a aidé à arriver là car j’y ai vraiment découvert le travail autour du son. » Et s’il aime ce qu’il fait, le retour en système classique n’est pas sans heurt : « Je retrouve un cadre très lycéen dans le fonctionnement, avec un nombre d’heures à suivre. J’ai dû me remettre au travail et me faire violence alors qu’avant je pouvais juste délaisser ce qui ne me donnait pas envie. »

Je n’avais qu’une envie : que les profs me fichent la paix !

Blanche, élève à L’archipel

Blanche, à l’Archipel, a avancé dans sa pratique artistique : « J’ai repeint le plafond d’une salle, ça m’a donné un gros coup de pouce pour mon portfolio ». Après son bac, elle intègre la prépa Art du lycée Rosa Park, à Montgeron (91). L’expérience est difficile. Retour au vouvoiement, là, où, dans son établissement, le tutoiement était la règle même pour les adultes. Et cadre contraint. « Aucune liberté, résume-t-elle. Je n’avais qu’une envie : que les profs me fichent la paix ! » Finalement, Blanche a depuis intégré l’école supérieure d’art d’Annecy et a retrouvé « des profs à l’écoute qui nous laissent aller à notre rythme ».

La transition entre pédagogie alternative et classique peut parfois être difficile. « Les élèves passent d’un système où ils ont l’habitude de prendre des décisions, des initiatives, de faire des choix concernant leurs apprentissages, à un système où ces aspects sont davantage imposés », explique Rebecca Shankland. La relation personnalisée avec l’enseignant devient plus distante, les échanges diminuent.

« J’étais entouré de personnes qui avaient connu une scolarité normale, alors que moi non »

Thomas a lui fait le choix de la continuité lorsqu’il a opté pour ses études supérieures : à l’Institut Catholique de Paris, il a gardé « un cocon » dans une classe de 12 en M2 lettres. Une obligation pour lui, qui a surmonté une phobie scolaire en intégrant l’école du Pont de Pierre au lycée, après un parcours qu’il décrit comme « chaotique », dans des écoles catholiques « élitiste, qui laissaient ceux qui avaient du mal de côté ».

Arrivé à un point de non-retour, après un redoublement, du harcèlement, « il fallait que je change quelque chose ». Au cours du Pont de pierre, il a repris goût à l’école dans une petite structure, avec des encadrants « qui ont beaucoup d’empathie » : « J’avais besoin d’affection, de me sentir compris et en sécurité. J’avais loupé mon brevet, perdu tout espoir pour le bac, mais ils ont réussi à me convaincre de passer un bac littéraire ». À l’ICP, Thomas a connu « une phase de transition », marquée par son « syndrome de l’imposteur » : « J’étais entouré de personnes qui avaient connu une scolarité normale, alors que moi non. J’ai eu besoin de me prouver que j’étais digne d’être là au même titre qu’eux. »

Les études sur le devenir des anciens élèves dans le supérieur sont peu nombreuses, mais certaines montrent une meilleure réussite en première année. Un constat qui peut s’expliquer en partie par « une plus grande autonomie dans le travail et une motivation plus forte grâce à un choix de filière adapté à leurs motivations intrinsèques » selon Rebecca Shankland. Le retour d’Elia dans le système classique illustre cette autonomie : très bonne élève, elle n’a eu aucun problème à entrer en prépa, à Fénelon, avant d’intégrer une double licence philo et socio à Paris 4.

Giulia aussi a retrouvé sans trop de peine l’enseignement public en 1re pour passer son bac option musique et aussi parce qu’elle avait « besoin d’air », après 8 ans dans la même classe : « Au début, ça fait un choc, de passer d’une école de 300 enfants à un lycée de 3 000 élèves ! À la cantine, le self avait des rayons de plateaux à perte de vue, alors qu’avant, on cuisinait, on passait le balai… » Scolairement, elle n’a aucun mal à suivre et n’a pas de décalage dans ses apprentissages. Elle obtient son bac avec mention très bien, poursuit à en licence arts du spectacle tout en continuant au conservatoire. Elle est devenue concertiste en chant baroque après un diplôme d’études musicales au conservatoire de Paris.

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