« Il faut sonner l’alarme sur la mainmise islamiste à l’école »

« il faut sonner l’alarme sur la mainmise islamiste à l’école »

«Ã‚ Il faut sonner l’alarme sur la mainmise islamiste à l’école »

Dans ce film plus que jamais d’actualité, le réalisateur belgo-marocain Jawad Rhalib, connu pour ses documentaires (El Ejido ? La loi du profit. Au temps où les Arabes dansaient), brosse le portrait d’une enseignante, Amal, aux prises avec l’intégrisme naissant de certains de ses élèves musulmans. Entre violences en classe, menaces des parents d’élèves et silence de sa direction, c’est le parcours devenu familier d’une professeure de plus en plus isolée dans son combat que retrace ce film glaçant.

Porté par l’actrice belge Lubna Azabal (Incendies, Tueurs) dans le rôle principal, Amal : un esprit libre,en salle mercredi, prend à bras-le-corps le danger du fanatisme religieux dans les écoles et y oppose le discours rempli de dignité de cette professeure qui veut rester libre? au risque d’en payer le prix. Un film qui n’a pas fini de faire parler de lui, et dont Le Point reçoit le réalisateur, Jawad Rhalib, et l’actrice principale, Lubna Azabal, pour un entretien croisé.

Le Point : Comment est né ce film ?

Jawad Rhalib : Le film est né d’un constat, celui d’une perte de respect au sein de l’institution scolaire. Quand j’étais jeune et que le professeur rentrait en classe, je me levais. On n’osait même pas contester un seul mot du cours, sous peine d’être puni non seulement en classe, mais aussi, plus tard, par les parents, qui prenaient toujours le parti de l’enseignant. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : beaucoup de professeurs vivent la peur au ventre et n’osent plus aborder certains sujets de peur de devenir des cibles. Il y a donc urgence à leur donner la parole. Il faut montrer cette réalité, tirer la sonnette d’alarme sur la mainmise religieuse et islamiste au sein de l’école ? quand bien même elle serait « minime », « rare ». On sait qu’il suffit d’un seul élève ou parent radicalisé pour qu’il y ait un danger?

À LIRE AUSSI De Samuel Paty au lycée Maurice-Ravel : fatwa sur l’école de la RépubliquePourquoi ce choix d’interpréter Amal, la professeure de français en tête d’affiche du film ?

Lubna Azabal : Pour moi, l’école était une bouffée d’oxygène, un lieu d’apprentissage infini. J’ai toujours eu un amour dingue pour mes profs. Et les voir aujourd’hui faire le plus beau métier du monde avec la peur au ventre, vivre au quotidien cette actualité morbide parfois dans une grande solitude? Il m’a semblé évident de raconter cette histoire, qui est bien plus qu’une histoire tant ce phénomène est ancré dans la réalité des professeurs qu’on a rencontrés.

Les projections en France et en Belgique ont-elles reçu un écho similaire ?

L. A. Oui, les problèmes rencontrés sur ce sujet en France et en Belgique étant plus ou moins les mêmes. On est même plus communautarisés en Belgique, mais les politiques, la presse et les Belges en général en parlent moins qu’en France.

J. R. On voit beaucoup de professeurs assister aux projections, heureux qu’on leur donne la parole sans qu’ils aient peur de la prendre. Ce film est une fiction, certes, mais une fiction qui est dans le réel, à la fois pour la France et la Belgique.

Cet ancrage dans le réel est visible dans le film, qui semble s’inspirer d’événements récents en France. Est-ce fortuit ?

L. A. Le film fait le focus sur une certaine réalité qui, bien sûr, n’est pas partagée par les 3 700 lycées de France, mais dénote l’existence d’une hémorragie.

J. R. Il suffit d’un personnage comme celui de Nabil [le professeur de religion, « salafiste en costume » dont le discours affiché face à ses collègues change du tout au tout en classe de religion, NDLR] pour faire énormément de dégâts. Nous qui avons baigné dans la culture musulmane avec des parents pratiquants, on voit venir les radicalisés comme lui ; son costume cravate, sa barbe taillée qui le font passer pour un « moderne » et un « gentil » ne nous dupent pas. Vous avez eu, en France, un personnage similaire qui a été invité dans beaucoup d’émissions pour prôner un discours d’ouverture en français puis qui racontait tout autre chose en arabe. C’est sur ce modèle que j’ai construit le personnage de Nabil avec l’acteur Fabrizio Rongione.

À LIRE AUSSI Après Arras, Bruxelles endeuillée par la violence djihadisteD’un point de vue français, il est surprenant de voir que ces cours de religion, obligatoires, échappent à tout contrôle de l’État?

J. R. Il y a un gros débat aujourd’hui sur ce sujet. Tous les politiques se renvoient la balle : certains veulent remplacer ce cours de religion par un cours mêlant citoyenneté, philosophie et morale, d’autres votent contre? Chacun cède sur un terrain, mais campe ses positions sur un autre. Aujourd’hui, les professeurs de religion sont désignés par un organisme religieux, qui demande à être entièrement indépendant de l’État et de ses aides. Et puis il y a trois inspecteurs d’origine marocaine, qui non seulement ne sont pas assez nombreux, mais sont surtout absents de certaines écoles, qui n’en ont pas vu depuis des années.

Comment, dès lors, avez-vous pu retranscrire avec fidélité le contenu de tels cours ?

J. R. Par des témoignages. Prenez cette professeure qu’un élève est allé voir pour l’informer que son professeur de religion disait qu’il fallait « brûler les homosexuels ». Il faut bien le préciser, de l’autre côté il y a des professeurs de religion qui sont très ouverts? Mais qui souvent en sont punis. Il y a l’exemple d’Hicham Abdel Gawad à Forest, qui a été licencié par sa direction et par l’instruction publique [l’équivalent de l’enseignement public, NDLR] pour avoir osé aborder la thématique de l’homosexualité en cours ; ou du père de Ihsane Jarfi, dont le fils a été massacré à Liège parce qu’homosexuel et qui aujourd’hui fait le tour des écoles pour sensibiliser les jeunes à cette question. Je trouve dommage que ces personnes ne soient pas invitées sur les plateaux de télévision en France, plutôt que des pseudo-représentants qui parlent mal et n’ont pas d’arguments.

Le film est extrêmement cru, très intime et personnel dès la première scène. Est-ce le prisme idéal pour raconter ce genre de drame ?

J. R. Je ne voulais pas d’un film lisse. Mon objectif à moi, c’est de marquer un peu les esprits. C’est de dire : la réalité elle est là. Sans faire de détours, sans retracer le parcours de chaque personnage pendant une heure. Je voulais absolument faire un film radical, à l’image de la situation. Et, surtout, dès la première image jusqu’à la fin, ne pas lâcher.

À LIRE AUSSI Violences islamistes : un assourdissant silenceVous montrez dans ce film que les convertis sont souvent les plus radicalisés.

J. R. En fait, comme ils ne lisent pas l’arabe, ils ne comprennent pas l’arabe. La plupart vont donc au Qatar, en Arabie saoudite ou en Égypte pour y étudier la religion, ou sur YouTube?

L. A. Ou même en prison, tout simplement. Un jeune qui ressort de prison, là où tous les « grands frères » sont libres de l’endoctriner, peut vite en sortir radicalisé. C’est le principe d’une secte, qui vous mange si vous tombez dedans et d’autant plus si vous avez une fêlure, un vide que le travail, la famille, la société n’ont pas réussi à combler.

J. R. C’est pour cette raison que le film ne juge pas les personnages. Chacun a ses raisons, défend son point de vue face à l’autre. Nabil a raison de dire que les jeunes ont besoin de retrouver de la dignité, eux qui se sentent souvent abandonnés, dans les banlieues, par l’État, les institutions? Ils deviennent des proies faciles pour les beaux parleurs qui les emmènent ensuite vers du trafic de drogue, ou vers un extrémisme religieux.

Ce discours sur la dignité, Amal le met également en avant en enseignant les Lumières et Le Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo, mais aussi le poète homosexuel Abu Nawas?

J. R. Complètement. Amal est passionnée, elle n’a pas abandonné comme certaines de ses collègues et a envie de transmettre aux élèves cette culture arabo-musulmane extrêmement riche qui tend à disparaître. Leur enseigner les écrits du poète Abu Nawas, c’est leur montrer qu’il y a autre chose à lire que Victor Hugo ou les philosophes des Lumières. C’est leur donner des moyens de s’identifier à un Arabe qui ne soit pas un islamiste.

L. A. Amal est un personnage intense, qui, malgré sa passion, s’éteint au fil du film. Incarner une telle femme a été un challenge tant elle est constamment confrontée à ses propres angoisses, tant elle traverse de combats extérieurs et intérieurs. Mais c’était aussi le moyen pour moi de dire « Not in my name » [« Pas en mon nom », NDLR] face à l’intolérance de certains élèves et parents d’élèves musulmans.

La fermeté et la bravoure d’Amal qui ne « lâche pas », est-ce la posture à adopter face aux discours obscurantistes ?

J. R. Complètement, avec le soutien des institutions. Il ne faut pas abandonner les professeurs comme Amal, ni les lâcher face aux élèves au risque de leur envoyer le message qu’ils ont tous les droits sur les profs, qu’ils ont tout le temps raison parce qu’on a heurté leur sensibilité. On doit savoir débattre, échanger et leur donner d’autres discours que ce qu’ils entendent dans les mosquées de quartiers.

À LIRE AUSSI Samara, icône de l’école en dangerQuelle est votre conception de la laïcité ?

L. A. C’est la liberté de croire et de ne pas croire. Si tu crois, c’est très bien, mais ne viens pas m’emmerder, et vice-versa : c’est les lois du respect, du vivre-ensemble. J’aime bien ce que dit Élisabeth Badinter sur « la connivence d’un regard et d’un sourire » quand elle parle de la burqa qui, au contraire, fait disparaître cette connivence entre êtres humains mêlant à la fois regard et sourire. Le problème chez cette jeune génération du « sur-moi » nourrie aux réseaux sociaux, c’est de penser pouvoir comprendre le Coran et ses subtilités en six mois, souvent sans même parler l’arabe ? encore moins littéraire ? et en se revendiquant interprètes de l’islam.

J. R. J’aime bien, pour répondre, utiliser des textes de la religion musulmane. Dans le Coran, il est question de « lakoum dînoukoum wa liya dîn ». Ça veut dire, textuellement, « vous avez votre religion, et j’ai la mienne ». Le texte est plus long, mais les fondamentaux sont là : je respecte votre religion, vous respectez la mienne. Cela vaut aussi pour les différentes façons de s’habiller, de manger? Chacun doit respecter l’espace de l’autre.

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