Guillaume Larrivé : « Il faut que LR se prépare à gouverner »
Il nous a donné rendez-vous au Café Lapérouse, dans la sublime enceinte de l’hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde. Cet esthète aime les beaux endroits. Malgré le menu alléchant, il se contente d’un jus de citron chaud ? à 8 h 45, ça décape ? et s’amuse de voir la carte des cocktails posée en évidence sur la table, comme une réminiscence de ses débuts d’élu local, quand il sillonnait les foires de l’Yonne avec son mentor disparu, Jean-Pierre Soisson, à coups de Bourgogne aligoté dès 10 heures du matin. « Jean-Pierre faisait ça très bien ! »
Devenu le principal conseiller politique du patron des Républicains, Éric Ciotti, Guillaume Larrivé est de ces hommes de l’ombre qui préparent activement un retour de la droite au pouvoir, à la tête de l’institut La France demain, en lien étroit avec la tête pensante Emmanuelle Mignon. Une perspective qui pourrait bien se concrétiser plus vite que prévu, si une motion de censure LR faisait chuter le gouvernement Attal et conduisait à un accord de coalition piloté par Gérard Larcher, dont le nom revient avec insistance à droite dans ce scénario.
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« Tout faire péter »
Dès lors, il faut se tenir prêt. Il y travaille d’arrache-pied, conscient que la droite n’aurait pas le droit à l’échec tant la politique crève du sentiment de l’impuissance publique. La question le taraude et constitue le fil rouge des quatre livres que cet essayiste à la plume brillante ? gamin, il rêvait de devenir journaliste politique, comme Alain Duhamel ? a déjà publiés.
«Ã‚ Gouverner, c’est quasiment devenu tweeter, commenter. Le vrai sujet, c’est la décision. Comment faire pour que le pouvoir exerce vraiment le pouvoir ? Est-ce qu’on peut gouverner vraiment sans faire semblant ? Certains se préparent àprésider ; moi, je veux gouverner, c’est mon objectif. Il faut qu’on se prépare, car gouverner, contrairement àla mode, ce n’est pas une improvisation doublée d’une incompétence », cingle cet intrépide, qui dit aimer « l’odeur de la poudre » et presse son camp de « tout faire péter ». Il cite Raymond Aron, qui appelait àélire des pouvoirs « légitimes mais capables d’action ». Ou Les Républicains au défi de la crédibilité. « Notre travail d’état-major avance avec ardeur. Promettons-nous de pouvoir bientôt le mettre en pratique, au service de la France », écrit-il dans le post-scriptum de son dernier opus, Immigrations. L’heure de la décision (L’Observatoire), publié en mars.
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« Colonisation à l’envers »
Il n’est pas anodin qu’il ait choisi le thème de l’immigration, qui tenaille le pays et a donné lieu en janvier à un fiasco pour son camp après la censure par le Conseil constitutionnel de 32 des 64 articles de la loi immigration, ajoutés par LR. Il n’entend pas laisser ce champ libre à Marine Le Pen, rebaptisée « la prétendante social-nationaliste à la direction de l’État », ni aux « identitaristes » d’Éric Zemmour. De nature à défriser ceux qu’il surnomme « les immigrationnistes », le livre se veut particulièrement décapant sur le « grand chambardement » à l’?uvre ? chacun aura compris l’allusion ?, une « sorte de colonisation à l’envers de la France », écrit-il, redoutant que, faute d’action politique énergique, « nous soyons à jamais submergés ». Il connaît son sujet : haut fonctionnaire sous le quinquennat Sarkozy, cet énarque lettré a ?uvré à la création du sulfureux ministère de l’Identité nationale, avant de rejoindre l’Intérieur comme directeur de cabinet adjoint, puis le palais de l’Élysée comme conseiller de l’ancien président.
La tiktokisation et la hanounisation du débat public ont conduit à un abrutissement et à un appauvrissementGuillaume Larrivé
Le chapitre consacré à l’ère Sarkozy est l’un des plus instructifs, tant il reflète une révolution silencieuse à l’?uvre à droite : la rupture avec son créateur. « C’est génial d’avoir été, à l’âge de 28 ou 30 ans, dans les couloirs du pouvoir, mais on ne va pas être dans la génuflexion permanente », dit-il. Si Guillaume Larrivé vante l’audace du dernier président de droite, il regrette son « inconstance » en matière d’immigration, créant puis supprimant le ministère de l’Identité, faisant voter la suppression de la double peine puis prononçant le discours de Grenoble sur la déchéance de nationalité, sous l’influence de feu Patrick Buisson.
Pour l’ancien député LR, ce mandat fut une occasion manquée. Il dévoile avoir rédigé dès janvier 2007 pour Sarkozy une note préconisant de réviser la Constitution pour y adosser une « charte de l’immigration » et imposer des « quotas » d’entrée, seul moyen selon lui de surmonter le « mur juridique » qui paralyse l’action du gouvernement, du fait des multiples jurisprudences du Conseil d’État et Conseil constitutionnel. Nicolas Sarkozy, qui avait toutes les manettes politiques et initia en 2008 une large révision constitutionnelle, n’en fit rien. De même, Larrivé révèle-t-il que l’ancien président, peu avant de quitter le pouvoir, lui commanda une note sur la dénonciation des accords de 1968 avec l’Algérie. Sans suite, encore une fois. Dès lors, plaide-t-il, la droite devra, si elle revient aux affaires, consulter les Français par référendum pour impulser ce big bang constitutionnel, en créant par ailleurs un ministère de la nationalité, de la population et des immigrations.
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Bras de fer
À le lire, une chose est claire : un accord de coalition avec Emmanuel Macron ne pourrait se faire dans les prochains mois qu’au terme d’un bras de fer. Guillaume Larrivé parle d’or : il fait partie de ces élus de droite qui ont cru un temps à la promesse de dépassement des clivages du président, avant de comprendre à leur détriment qu’il s’agissait avant tout de débauchages. À l’été 2020, après la pandémie, Guillaume Larrivé est le seul député de sa famille politique à voter la confiance au gouvernement de Jean Castex, au nom de l’union nationale.
En mars 2022, au risque de plomber la campagne présidentielle de Valérie Pécresse, il plaide à nouveau dans les colonnes du Point pour un accord avec Macron. Lequel ne lui a visiblement jamais pardonné son livre coup de poing de l’automne 2018, Le Coup d’État Macron. Le prince contre la nation (L’Observatoire). Aux élections législatives de 2022, malgré ses appels du pied, Larrivé se retrouve avec un candidat macroniste dans les pattes et perd la circonscription qu’il occupait depuis dix ans. Une meurtrissure.
Réfugié depuis au Conseil d’État, il avoue que l’Assemblée nationale lui manque parfois. Il se console en voyant ce que la politique active est devenue. « La tiktokisation et la hanounisation du débat public ont conduit à un abrutissement et un appauvrissement. » La suite de l’histoire l’inquiète autant qu’elle l’enthousiasme. Malgré les sondages qui donnent Marine Le Pen en pole position pour 2027, il croit au sursaut. Avec Emmanuelle Mignon, ils se sont promis de ne pas devenir la génération qui lui aura cédé les clés. « Est-ce qu’on est dans les années 1930 qui préparent l’effondrement de 1940 ? Ou est-ce qu’on est dans les années 1950 qui préparent la grande refondation gaulliste ? Ça m’obsède. Nos années 1920 et 1930 seront ce que nous en ferons. À nous de ne pas nous fracasser sur l’impuissance publique. »
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