Guerre en Ukraine : sans soutien supplémentaire, le spectre de la défaite militaire

Un soldat ukrainien blessé près de la ville de Chasiv Yar, dans le Donbass.

Les recherches dans les décombres de Tchernihiv se sont achevées jeudi matin, 24 heures après la triple frappe aérienne russe. Dix-huit personnes ont été tuées et 77 blessées, dont 4 enfants. Tchernihiv, 300 000 habitants, à 150 kilomètres au nord de Kyiv, est proche de la frontière biélorusse et loin de la première ligne de front. Mercredi matin, l’armée russe l’a visée avec trois missiles balistiques Iskander, qui se sont abattus sur le centre-ville. Un hôtel, des immeubles d’habitation et un hôpital ont été détruits. Moscou a affirmé qu’elle visait une réunion de gradés ukrainiens. Kyiv a démenti.

Ces 18 personnes seraient-elles toujours vivantes si l’augmentation de l’aide occidentale, tant réclamée par les dirigeants ukrainiens ces derniers mois, se concrétisait ? Oui, a affirmé le président Volodymyr Zelensky dans un communiqué : «Cela ne serait pas arrivé si l’Ukraine avait reçu suffisamment d’équipements de défense antiaérienne et si la détermination du monde à résister à la terreur russe avait été suffisante.»

Des vagues de drones et de missiles

Depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne cet été, et plus encore depuis la réélection écrite d’avance de Vladimir Poutine le 18 mars, l’armée russe a relancé ses assauts le long des lignes de fronts et ses bombardements sur les grandes villes, dont Kyiv et Kharkiv. Les cibles de ses vagues de drones et de missiles sont loin d’être uniquement militaires. Des habitations civiles sont visées, tout comme les infrastructures, centrales électriques en premier lieu. Jeudi 18 avril, le ministère de l’Energie a demandé aux habitants et aux entreprises de réduire leur consommation d’électricité, le réseau risquant la saturation.

Usée par plus de deux ans de guerre, l’Ukraine peine à contenir cette nouvelle offensive russe. Elle manque d’hommes, d’armes et de munitions. Sa défense antiaérienne s’épuise. Si l’aide américaine de 61 milliards de dollars, gelée au Congrès depuis janvier, ne se débloque pas, une défaite se profile. «Je peux vous le dire franchement, sans cette aide, nous n’aurons aucune chance de gagner», a affirmé mardi 15 avril Volodymyr Zelensky lors d’une interview à la chaîne PBS.

Son amertume est d’autant plus marquée qu’il a observé le soutien décisif apporté à Israël, notamment par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Jordanie, lors de l’attaque iranienne dans la nuit du 13 au 14 avril. Les plus de 300 drones et missiles balistiques et de croisière envoyés par Téhéran ont été interceptés à 99 %, selon l’état-major israélien. «En défendant Israël, le monde libre a démontré qu’une telle unité est non seulement possible, mais aussi efficace à 100 %, a noté Volodymyr Zelensky lundi soir. La même chose est possible pour protéger l’Ukraine.»

Le parallèle est un peu rapide. L’Ukraine est trente fois plus étendue qu’Israël (près de 604 000 kilomètres carrés contre un peu plus de 22 000). Et lors de l’attaque iranienne, une grande majorité de drones et missiles ont été neutralisés avant qu’ils atteignent le territoire israélien, que ce soit en Irak, en Syrie ou en Jordanie. L’Ukraine, elle, est accolée à la Russie. Elle n’est pas non plus «un allié majeur hors OTAN» des Etats-Unis, comme l’est Israël.

L’Etat hébreu a investi massivement dans sa défense antiaérienne depuis des décennies. Il dispose aujourd’hui d’une protection où se superposent le «Dôme de fer», contre les roquettes, la «Fronde de David», contre les missiles balistiques de courte portée, et les systèmes Arrow, contre ceux à longue portée. Si un tel niveau de protection ne peut être déployé à court terme, une solution, poussée par Volodymyr Zelensky, serait la livraison de systèmes de défense antiaérienne Patriot, de fabrication américaine, ou équivalents.

Une situaution considérablement dégradée dans

«[L’Ukraine] a un besoin urgent et important de dГ©fenses antiaГ©riennes supplГ©mentairesВ», a appuyГ© jeudi le secrГ©taire gГ©nГ©ral de l’Otan Jens Stoltenberg, tout en notant des signes В«encourageantsВ». Samedi 13 avril, l’Allemagne avait annoncГ© l’envoi d’un troisiГЁme systГЁme Patriot. В«C’est utile tout de suite et nous voulons encourager les autres (EuropГ©ens) Г  le faireВ», a dГ©clarГ© le chancelier allemand Olaf Scholz. В«Merci Olaf, pour votre efficacitГ©, a rГ©pondu Volodymyr Zelensky. Cependant, nous avons besoin de plus.В» Kyiv estime que 25 de ces systГЁmes seraient nГ©cessaires pour protГ©ger les grandes villes du pays.

L’Ukraine a également un besoin urgent de munitions et d’aviation pour le front du Donbass, dans l’est du pays. Son état-major reconnaît une situation «considérablement dégradée» dans la région, avec des troupes en infériorité numérique. Les assauts russes se concentrent depuis plusieurs semaines sur la ville industrielle de Tchassiv Iar, 12 000 habitants avant la guerre et probablement quelques centaines aujourd’hui, à 12 kilomètres de Bakhmut, prise par les Russes en mai après plus d’un an de combats et des milliers de soldats tués. «L’effort offensif pour s’emparer de Tchassiv Iar offre aux forces russes la meilleure perspective de parvenir à des avances opérationnelles significatives […] Sa capture leur permettrait de lancer des opérations contre les villes qui forment “la ceinture défensive” de la région de Donetsk», indique l’Institute for the study of war dans sa note du 13 avril. Si l’armée russe parvenait à s’emparer de Tchassiv Iar, d’ores et déjà en ruines, elle menacerait alors Kramatorsk, plus grande ville du Donbass contrôlée par les forces ukrainiennes.