Comment O.J. Simpson a été acquitté malgré des preuves accablantes

Comment O.J. Simpson a été acquitté malgré des preuves accablantes

Il a emporté son secret dans la tombe. Le décès d’O.J. Simpson, des suites d’un cancer, à 76 ans, a été annoncé jeudi par sa famille. Il y a près de 30 ans, son procès ultra-médiatisé pour le double meurtre de son ex-femme et d’un serveur avait passionné l’Amérique. Et son acquittement, déchiré un pays coupé en deux, entre une population blanche persuadée de sa culpabilité face à des preuves ADN accablantes, et des Afro-Américains convaincus de son innocence, trois ans après le passage à tabac de Rodney King par la police de Los Angeles. Retour sur le « procès du siècle ».

Une superstar adulée

O.J. (Orenthal James) Simpson, c’est d’abord une success-story comme en raffole l’Amérique. Celle d’un gamin abandonné par son père, élevé par une mère célibataire dans un quartier pauvre de San Francisco, qui souffre de rachitisme et porte des attelles de fortune jusqu’à 5 ans. Ce qui ne l’empêche pas de devenir un athlète formidable ? 96 kg pour 1m85 ? qui court le 100 yards (91 m) en 9,3 secondes.

Star du football américain universitaire à USC (Los Angeles), « The Juice » (ses initiales sont les mêmes que l’abréviation de orange juice, « jus d’orange », en anglais) perfore les défenses avec une grâce infinie et bat de multiples records chez les pros en dix ans de carrière NFL. Le beau gosse au grand sourire poursuit également une carrière d’acteur sans relief à Hollywood puis de consultant sportif sur ABC.

Un double meurtre brutal

O.J. trompe sa femme Marguerie avec une jeune serveuse blonde de 18 ans : Nicole Brown, qu’il épouse en 1985, avec laquelle il a deux enfants. Leur relation est toxique. En sept ans, elle appelle la police plus d’une demi-douzaine de fois. En 1985, pour un pare-brise fracassé avec une batte de baseball. En 1989, des agents du LAPD arrivent à 3 heures du matin et constatent que la jeune femme a un ?il au beurre noir, une lèvre ouverte et de multiples ecchymoses. Elle est paniquée et crie « Il va me tuer, il va me tuer ».

O.J. Simpson,  Nicole Simpson Brown et leurs deux enfants, photo non datée. © AP/SIPA / SIPA / AP/SIPA

O.J. Simpson,  Nicole Simpson Brown et leurs deux enfants, photo non datée. © AP/SIPA / SIPA / AP/SIPA

O.J. Simpson ne conteste pas les faits et écope d’une amende et d’une mise à l’épreuve. Nicole demande le divorce en 1992. Leur relation continue pendant 18 mois sur courant alternatif. La police intervient une nouvelle fois : l’ancien footballeur aurait enfoncé la porte du domicile de son ex-épouse.

Le 12 juin 1994, Nicole Brown et O.J. Simpson assistent séparément au récital de danse de leur fille. Nicole dîne avec sa famille dans un restaurant où elle oublie ses lunettes. Ronald Goldman, un serveur qu’elle connaît, propose de les ramener vers 21h45.

Un peu après minuit, le corps de la jeune femme est découvert par des voisins dans une mare de sang dans la cour de son appartement. Celui du serveur gît un peu plus loin. Selon le rapport d’autopsie, Nicole Brown a reçu sept coups de couteau, dont un qui lui a tranché la gorge et les deux artères carotides sur près de 14 cm. Ron Goldman, lui, a été poignardé à 22 reprises.

Course-poursuite diffusée en direct

O.J. Simpson fait figure de suspect numéro 1 et est inculpé cinq jours plus tard, le 17 juin, après la découverte d’un gant maculé de sang. Mais alors que ses avocats négocient pour qu’il se rende à la police, il se volatilise. Un de ses conseils et ami, Robert Kardashian ? le père de Kim, qui a alors 14 ans ? lit devant les médias une lettre de son client, qui ressemble à une note de suicide. O.J. Simpson jure qu’il est innocent et termine par « Merci pour avoir rendu ma vie aussi spéciale. J’espère que j’ai fait pareil pour vous. Peace and love, O.J. ».

Le suspect s’est en fait enfui à bord d’un Ford Bronco conduit par un ami. Une vingtaine de voitures de police du LAPD et plusieurs hélicoptères les prennent en chasse. Toutes les chaînes américaines diffusent en direct cette incroyable course-poursuite à vitesse réduite, y compris NBC, qui interrompt la retransmission de la finale NBA. 95 millions d’Américains ? un tiers du pays ? sont collés à leur écran pendant près d’une heure. Le chauffeur dit aux policiers qu’O.J. Simpson est vivant mais qu’il menace de se suicider avec un pistolet. Il finit par se rendre devant son domicile.

Un jury à 75 % afro-américain

Le meurtre s’étant produit à Brentwood, un quartier huppé de l’ouest de Los Angeles, le procès aurait pu avoir lieu dans le district voisin de Santa Monica, à la population majoritairement blanche et aisée. Mais les procureurs choisissent ? pour une raison qui continue de faire débat ? le tribunal de downtown Los Angeles, où « la jury pool » est beaucoup plus diverse avec, à l’époque, 40 % de jurés potentiels blancs, 28 % afro-américains, 17 % hispaniques et 15 % asiatiques.

Selon une analyse de la faculté de droit de l’université UMCK, la sélection du jury, qui dure deux mois, tourne à une partie d’échecs entre la procureure Marcia Clark et l’avocat afro-américain de la défense, Johnnie Cochran. Ce dernier accuse systématiquement Marcia Clark de discriminer les jurés noirs, ce qui est interdit. Au final, dans ce qu’elle présente comme une affaire de violences conjugales, la procureure semble faire le pari de sélectionner avant tout des femmes, quelle que soit la couleur de leur peau.

Quand l’audience s’ouvre, le 24 janvier 1995, le jury (10 femmes et 2 hommes) est composé de 9 personnes noires, deux blanches et une hispanique.

Des preuves ADN accablantes

L’arme du crime reste introuvable ? et n’a jamais été retrouvée ? et aucun témoin n’a assisté au meurtre. Mais un gant (gauche) ensanglanté est retrouvé sur la scène du crime, et le droit chez O.J. Simpson. Selon les tests ADN, ce dernier est recouvert du sang des victimes et de celui de l’accusé. Du sang de Nicole Brown se trouve également sur une chaussette découverte chez son ex-mari lors d’une perquisition. Et du sang des deux victimes est retrouvé dans la voiture d’O.J. Simpson. Enfin, des traces de pas ensanglantées laissées dans la cour de l’appartement correspondent également à sa pointure (46).

Une « dream team » d’avocats qui joue la carte raciale et sème le doute sur les preuves ADN

En 1994-1995, Los Angeles reste sous le choc du passage à tabac de Rodney King par des officiers du LAPD, en 1991, puis des émeutes raciales qui embrasent la ville l’année suivante après l’acquittement des policiers.

À LIRE AUSSI Le verdict racial de l’image : retour sur les affaires Rodney King et O. J. SimpsonO.J. Simpson est défendu par des stars du barreau, Robert Shapiro et Johnnie Cochrane, habitués des procès qui se jouent devant les caméras de télévision. Cochrane assure au jury que le LAPD est gangrené par un racisme systémique et a « piégé » O.J. Simpson en plaçant le fameux gant sur la scène du crime. Il cible particulièrement le détective Mark Fuhrman. À la barre, ce dernier assure qu’il n’a jamais utilisé l’insulte raciste « nigger ». Mais la défense dispose d’un enregistrement, que le juge Lance Ito laisse le jury écouter. Dans sa plaidoirie finale, l’avocat qualifie le détective de « menteur raciste génocidaire » et le compare à Hitler.

Johnnie Cochrane exploite également des erreurs commises lors de la collecte des preuves matérielles pour jeter le trouble sur les résultats des tests ADN, avec lesquels les jurés ne sont pas, à cette époque, très familiers. Tout en allitération, il insiste : les échantillons ont été « compromis, corrompus et contaminés ».

Surtout, le procureur Christopher Darden ? joué par Sterling K. Brown dans la série télévisée The People v. O. J. Simpson : American Crime Story ? marque un but contre son camp en demandant à l’accusé d’enfiler la paire de gants ? un retrouvé sur la scène du crime, et un à son domicile. Devant le jury et les caméras, O.J. Simpson s’exécute. Il tire et il grimace, semblant avoir du mal à les enfiler par-dessus la paire en latex qu’il porte pour protéger ceux du procès. Il hausse les épaules et lâche « too tight » (« trop serré ») devant le jury.

Johnnie Cochrane n’en demandait pas tant. Dans sa plaidoirie, il conclut par une phrase devenue culte dans la pop-culture américaine : « If it doesn’t fit, you must acquit » (« si ce n’est pas à sa taille, vous devez l’acquitter »). Ce que le jury fait à l’unanimité après avoir délibéré moins de trois heures.

Dans les quartiers noirs de Los Angeles, à Compton ou Inglewood, la population exulte. Dans les sondages de l’époque, seul un Afro-Américain sur cinq estime qu’O.J. Simpson est coupable, contre trois sondés blancs sur quatre.

La suite : une responsabilité au civil

En 1997, O.J. Simpson comparaît au civil. Entre temps, une nouvelle preuve a émergé : des photos sur lesquelles il porte une paire de Bruno Magli, les mêmes chaussures que celles qui ont laissé des traces ensanglantées, que Simpson avait nié posséder. Il est jugé responsable du meurtre de Nicole Brown et Ron Goldman et condamné à verser 33 millions de dollars aux familles, ce qu’il ne fera jamais. Aujourd’hui, une majorité de la population américaine est convaincue de sa culpabilité (83 % de la population blanche et 57 % des Afro-Américains). O.J. Simpson, lui, n’est jamais passé aux aveux, malgré une étrange biographie parue en 2007, qu’il avait qualifiée de récit « hypothétique ». Son titre ? If I did it : Confessions of the Killer (Si je l’avais fait : confession du tueur).